Le couteau de glace
Italie, Espagne : 1972
Titre original : Il coltello di ghiaccio
Réalisation : Umberto Lenzi
Scénario : Umberto Lenzi, Luis G. de Blain, Antonio Troiso
Acteurs : Carroll Baker, Alan Scott, Evelyn Stewart
Éditeur : Le chat qui fume
Durée : 1h31
Genre : Thriller
Date de sortie Blu-ray : 15 décembre 2020
Adolescente, Martha Caldwell a réchappé d’une catastrophe ferroviaire dans laquelle elle a vu mourir ses parents, traumatisme qui l’a rendue muette. Quinze ans ont passé quand Martha, qui vit désormais avec son oncle Ralph, féru d’occultisme, dans une propriété située à Montseny, dans les Pyrénées espagnoles, reçoit la visite de sa cousine Jenny Ascot, célèbre chanteuse résidant en Angleterre. Cette dernière est mortellement poignardée durant la nuit. La police mène son enquête, tandis que d’autres meurtres surviennent. Les soupçons se portent vers une secte sataniste, à moins qu’il ne s’agisse d’un tueur en série isolé. Dans un cas comme dans l’autre, Martha pourrait bien être la prochaine victime…
Le film
[4/5]
Si Le couteau de glace s’inscrit, d’un strict point de vue chronologique, dans la vague de gialli initiée par l’énorme succès de L’oiseau au plumage de cristal réalisé par Dario Argento en 1970, en réalité, il se trouve que le film d’Umberto Lenzi va bien d’avantage chercher son intrigue et ses influences dans la vague de whodunits britanniques dérivés de Psychose d’Alfred Hitchcock (1960). En effet, suite au carton du film mettant en scène Anthony Perkins dans la peau de Norman Bates, de très nombreux ersatz se sont mis à envahir les salles de cinéma dans le monde entier.
Le couteau de glace fait donc partie de ces films d’épouvante contemporains ayant abandonné les artifices formels du cinéma gothique pour des récits psychologiques au cœur desquels la folie et les fantômes d’un passé trouble ne sont jamais très loin. Des intrigues « à la Daphné Du Maurier » ou « à la Boileau-Narcejac », riches en thématiques tirant sur la psychanalyse ou relevant de pathologies psychiatriques. Des récits à la croisée des chemins entre Rebecca et Psychose, avec secrets de famille, complots crapuleux, apparitions spectrales et twists à tous les étages…
Si l’on met de côté la présence au programme d’un enfant assassiné et d’un chaton ensanglanté, on ne trouvera point de dérives sanglantes ou sexuelles dans Le couteau de glace : le film de Lenzi n’affichera en effet aucun des excès typiques du giallo tel qu’il a été formalisé par Dario Argento avec son Oiseau fondateur. Pour autant, le film n’en demeure pas moins un excellent whodunit doublé d’un implacable récit de machination…
Brillamment mis en images par Umberto Lenzi et son directeur photo José F. Aguayo Junior – avec un soin tout particulier apporté à la profondeur de champ ainsi qu’aux contrastes, francs et affirmés, qui donnent parfois au film des allures de véritable cauchemar éveillé – Le couteau de glace impose aussi, et ce dès les premières minutes du film, une science du montage assez remarquable, vraiment calculé à la milliseconde près, et parvenant à amplifier le sentiment de malaise qui saisira le spectateur dès la séquence d’ouverture – une corrida extrêmement sanglante et dérangeante.
Par la suite, et si l’identité du coupable ne fera pas réellement de mystère aux habitués du genre, les tueurs potentiels sont nombreux au cœur de ce Couteau de glace, et le spectateur se prendra volontiers au jeu, hésitant entre le chauffeur chelou semblant constamment avoir quelque chose à cacher (Eduardo Fajardo), un jeune sataniste drogué répondant au nom de « Mason », histoire bien sûr de rappeler l’ombre de Charles Manson, toujours bien présente dans les esprits (Mario Pardo), ou encore le médecin de famille, ayant une fâcheuse tendance à disparaître quand un meurtre est commis (Alan Scott).
Mais Le couteau de glace ne serait rien s’il n’était porté par la prestation de Carroll Baker dans un rôle pourtant sacrément ingrat – elle incarne en effet une femme ayant perdu l’usage de la parole suite à un traumatisme durant son enfance. Il faut avouer également qu’Umberto Lenzi avait eu tout le loisir d’apprendre à utiliser à la perfection le jeu fin et délicat de Carroll Baker : il s’agissait en effet de sa quatrième collaboration avec l’actrice, après Une folle envie d’aimer (1969), Si douces, si perverses (1969) et Paranoïa (1970).
On pourrait même avancer que la prestation subtile de l’actrice rajoute une certaine épaisseur à l’intrigue et à l’ambiance au Couteau de glace, qui s’offre par ailleurs quelques petites touches gothiques bienvenues avec sa grande maison bourgeoise aux couloirs sombres et à l’électricité capricieuse. Le courant s’éteignant souvent, les personnages se retrouvent à errer comme des âmes en peine dans les couloirs sombres, se déplaçant à la lueur des bougies alors que le tueur rôde, avec ses gants noirs et son grand couteau étincelant sous la lumière de la lune…
Bien sûr, les plus tatillons pourront regretter que l’intrigue, qui orchestre plusieurs revirements peu prévisibles au fur et à mesure qu’elle avance, est peut-être un poil tirée par les cheveux – il n’est en effet pas interdit de trouver un certain manque de cohérence dans la présentation des événements proposée par Le couteau de glace, surtout en ce qui concerne le tout dernier acte du récit. Pour autant, le film d’Umberto Lenzi reste un excellent représentant d’un giallo sans un poil de sexe ni une goutte de sang, sont la réussite est uniquement due à son scénario et à sa remarquable mise en scène.
Le Blu-ray
[4,5/5]
Le couteau de glace est sorti courant 2020 au sein d’une édition « Collector » dans la plus pure tradition des Combos Blu-ray + DVD proposés depuis quelques années par Le chat qui fume. L’édition d’origine, limitée à 1000 exemplaires, qui incluait de plus un CD audio de compilation de BO de gialli, s’est retrouvée « épuisée » en l’espace de quelques semaines seulement. Grâces soient donc rendues aujourd’hui au Chat qui fume, qui propose donc aux cinéphiles n’ayant pas été assez rapides durant le premier confinement de retrouver Le couteau de glace dans une édition Blu-ray only.
Proposée au tarif imbattable de 20 euros, cette nouvelle édition nous propose une maquette et une composition graphique toujours signée Frédéric Domont, mais dans un boîtier plastique presque aussi classieux que l’original – une nouvelle collection qui permettra aux retardataires de compléter leur collection sans forcément passer par le marché de l’occasion, généralement très onéreux.
Côté Blu-ray, Le couteau de glace s’offre une présentation remarquable, en version intégrale, Scope et 1080p. Le master est issu d’une remasterisation 2K, et l’ensemble nous propose une image précise, agréable, avec de jolies couleurs et respectueuse de la granulation d’origine. Les contrastes et les niveaux de noirs sont assez excellents, et si quelques petits défauts de netteté ou de mise au point subsistent par endroits, ils sont sans doute à mettre sur le dos du tournage en lui-même. Côté son, le film est proposé en anglais et italien et en DTS-HD Master Audio 2.0 mono d’origine. L’ensemble s’impose dans un rendu acoustique clair et équilibré.
Dans la section suppléments, on trouvera tout d’abord une présentation du film par Jean-François Rauger (26 minutes). En grand amateur de bis devant l’éternel, directeur de la programmation à la Cinémathèque française reviendra sur Le couteau de glace avec un certain enthousiasme, même s’il ne salue pas particulièrement son scénario. Cela ne l’empêchera pas de remettre le film dans son contexte de tournage, en prenant soin de le replacer au sein de la filmographie d’Umberto Lenzi mais aussi et surtout au sein de celle de Carroll Baker. Il évoque d’ailleurs autant comme un giallo que comme un « Carroll Baker movie », qu’il considère presque comme un sous-genre à lui seul. Les influences ainsi que les partis pris esthétiques du film seront largement évoqués et discutés.
On continuera ensuite avec un entretien avec Umberto Lenzi (22 minutes) tout particulièrement dédié au Couteau de glace. Le regretté cinéaste évoquera donc sans langue de bois – et avec une modestie non feinte – cette quatrième collaboration avec Carroll Baker : il y reviendra notamment sur le clin d’œil appuyé à Deux mains, la nuit alias The spiral staircase (Robert Siodmak, 1946), et son choix d’en réorganiser la structure narrative pour lui donner une tournure différente. Il expliquera également à quel point le meurtre de Sharon Tate par la famille Manson l’a affecté, à tel point qu’il a demandé à un jeune scénariste de lui rédiger un scénario basé sur les meurtres de Manson – il découvrirait plus tard que le scénariste en question l’avait vendu à un autre réalisateur… S’il évoque avec un grand plaisir son travail aux côtés de Carroll Baker, sa collaboration avec l’américain Alan Scott – qui joue le médecin dans Le couteau de glace – lui a en revanche laissé un souvenir beaucoup plus mitigé. Il nous gratifiera également de quelques anecdotes amusantes, révélant à quel point il était difficile de tourner les scènes dans le brouillard, ou que la citation d’Edgar Allan Poe en introduction fut créée de toutes pièces par lui-même.
Les amoureux de l’œuvre du réalisateur italien pourront ensuite se régaler d’un entretien-carrière avec Umberto Lenzi (56 minutes), au cœur duquel Lenzi reviendra sur sa filmographie, avec toujours la même honnêteté, et faisant preuve d’une grande et intense cinéphilie, puisqu’il citera et évoquera dans le détail des cinéastes tels que Samuel Fuller, Raoul Walsh, Otto Preminger, Robert Siodmak, Elia Kazan, Jules Dassin, Edward Dmytryk, Eric von Stroheim ou Josef von Sternberg. Citant également Quentin Tarantino de façon régulière – ce dernier a probablement fait beaucoup pour sa « redécouverte » aux États-Unis dans les années 90 – il évoquera tout d’abord son éveil au cinéma, puis ses débuts, la chance qu’il a eu à certains moments-clés de sa carrière, les grandes rencontres, ses débuts derrière la caméra, etc. Sans fausse modestie, il livrera également une flopée d’anecdotes de tournage assez amusantes. Une édition à retrouver au plus vite sur le site de l’éditeur !