Malgré les différentes périodes de #Confinement et la fermeture des commerces dits « non essentiels », la collection de Blu-ray / DVD « Make my day » dirigée par Jean-Baptiste Thoret ne connaît pas la crise. Ainsi, en l’espace de deux ans et demi, 35 volumes se sont déjà succédés sur les linéaires de vos boutiques préférées. Pour le numéro #35 de cette riche et passionnante collection, l’historien et critique a décidé de se pencher sur un genre assez peu représenté à ce jour au sein de sa collection, à savoir le polar italien des années de plomb ou poliziottesco, avec Le conseiller (Alberto De Martino, 1973) et Napoli spara (Mario Caiano, 1977).
Le conseiller
Espagne, Italie : 1973
Titre original : Il consigliori
Réalisateur : Alberto De Martino
Scénario : Adriano Bolzoni, Alberto De Martino…
Acteurs : Tomas Milian, Martin Balsam, Francisco Rabal
Éditeur : StudioCanal
Durée : 1h44
Genre : Policier, Thriller
Date de sortie cinéma : 14 août 1974
Date de sortie DVD/BR : 26 mai 2021
Thomas vient de quitter la Mafia pour retourner défendre Don Antonio Macaluso, le chef de la pègre de San Francisco. Son rival, Garofalo, est bien déterminé à usurper son poste et une bataille sanglante s’ensuit. Don Antonio en sort vainqueur, ce qui lui confère le contrôle des opérations de la côte ouest…
Surfant sur le succès du Parrain de Coppola (1972), Le conseiller est un pur récit de mafia, mettant en évidence la mainmise tentaculaire du milieu sur la ville de San Francisco, ainsi que les luttes de pouvoir et les conflits généralement associés à ce genre d’intrigue. Au centre de l’intrigue du film, il y a Don Antonio Macaluso (Martin Balsam), un puissant parrain de la mafia locale. Son consigliori (avocat), interprété par un Tomas Milian rasé de près, vient de sortir de prison, et manifeste auprès de son mentor la volonté de quitter la « famille » afin de vivre une vie rangée loin du crime organisé. Bien entendu, si Macaluso n’approuve pas ce choix, il lui permet néanmoins, à contrecœur, de suivre sa voie. Vécue par les autres familles comme un signe de faiblesse, cette décision ne tardera à provoquer une guerre des gangs fratricide…
Jeux de pouvoir, masculinité exacerbée, sens de l’honneur déplacé, tout est réuni dans Le conseiller pour nous livrer un divertissement efficace à base de gangsters rancuniers, de meurtres sanglants et de guerre de gangs tous azimuts. Généreux, Alberto De Martino n’hésite d’ailleurs pas à verser dans une certaine cruauté dans la violence – on pense à une enfant explosant sur une bombe ou un pizzaiolo brûlé vif dans son propre four… Bref, on passe un excellent moment, grâce notamment à une intrigue solide, aux ramifications morales intéressantes.
De Martino et son équipe font un bon usage des spécificités locales de San Francisco, avec notamment une brève mais bienvenue poursuite en voiture dans les rues vallonnées de la ville. Le fait que le personnage de Don Macaluso soit en fuite pendant quasiment toute la durée du film permet également au cinéaste de multiplier les occasions de mettre en scène bagarres et fusillades dans divers lieux plus ou moins exotiques : restaurant, bordel, port, usine, stade…
Dans sa présentation du film, Jean-Baptiste Thoret déplore que la partie du film se déroulant à San Francisco fasse dans le « sous-polar » américain, et que Le conseiller ne trouve son envol que dans sa partie Sicilienne. Car il est vrai que l’intrigue du film se déplace en Sicile au bout de quatre-vingt minutes, pour livrer un dernier acte absolument redoutable, prenant la forme d’une vengeance sanglante se déroulant pendant une procession funéraire. Néanmoins, on ne limiterait pas quant à nous le film à ses vingt dernières minutes.
Si excellentes soient-elles, les scènes finales n’effacent pas la satisfaction ressentie devant les trois premiers quarts du film : Martin Balsam et Tomas Milian font preuve d’une formidable alchimie à l’écran, Balsam nous livrant notamment une performance particulièrement intense dans la peau de cet homme qui ne reculera devant rien pour protéger la vie de son « filleul », qui prend la place symbolique de ce fils qu’il n’a jamais eu. A leurs côtés, Francisco Rabal donne également de sa personne dans la peau de leur antagoniste principal, Vincenzo Garofalo.
Techniquement, Le conseiller est également très solide. La photo signée Aristide Massaccesi (plus connu sous le nom de Joe D’Amato) est très soignée et lumineuse, et la réalisation d’Alberto De Martino profite également du rythme de la musique de Riz Ortolani, que vous garderez sans doute en tête pendant quelques jours à l’issue de votre découverte du film. On regrettera juste que certains personnages secondaires aient été un peu sacrifiés sur l’autel du spectacle – on aurait par exemple aimé voir la relation entre Milian et sa petite amie interprétée par Dagmar Lassander un peu approfondie. Qu’à cela ne tienne : au final, Le conseiller s’avère tout de même un excellent petit polar !
Assaut sur la ville (Napoli spara)
Italie : 1977
Titre original : Napoli spara !
Réalisateur : Mario Caiano
Scénario : Gianfranco Clerici, Vincenzo Mannino
Acteurs : Leonard Mann, Henry Silva, Ida Galli
Éditeur : StudioCanal
Durée : 1h32
Genre : Policier, Action
Date de sortie cinéma : 23 novembre 1977
Date de sortie DVD/BR : 26 mai 2021
Dans le milieu de la pègre, l’incessante vague de criminalité occupe fort l’inspecteur Belli qui lutte plus particulièrement contre Santaro, le chef de la Mafia napolitaine. Des trains sont pillés, des innocents tués, avant que Belli ne parvienne à obtenir une preuve accablante contre Santaro…
Avec Napoli spara, on délaisse la mafia au profit de la criminalité de tout poil : si l’intrigue se concentre globalement sur une bande de braqueurs sans pitié, le film met également largement en scène toutes sortes de criminels, des kidnappeurs aux pédophiles en passant par les simples arnaqueurs à la petite semaine ou les tueurs à la solde de gangs. En d’autres termes, Mario Caiano nous propose un panaché de tout ce que pouvait proposer la criminalité napolitaine dans la deuxième moitié des années 70.
De ce fait, on ne pourra nier que Napoli spara déroule son intrigue sur un rythme trépidant, et qu’il s’avère bourré jusqu’à la gueule de scènes d’action impressionnantes ; pour autant, ces dernières n’apportent, pour la plupart d’entre elles, absolument rien à l’intrigue. De ce fait, le film de Mario Caiano ne développe quasiment aucune tension, mais s’avère tout de même extrêmement riche en rebondissements et en scènes musclées, parfois absolument remarquables.
Au centre du film, il y a donc Leonard Mann dans le rôle du flic badass de service, et Henry Silva, dans celui du criminel impitoyable. Leur face-à-face servira de fil conducteur au récit, avec dans la périphérie du personnage du gentil flic un jeune garçon des rues, Gennarino, passant d’arnaque en arnaque et proposant au spectateur une « récréation » humoristique entre les séquences plus violentes.
Parce que sous couvert de « menu Best of » de la criminalité à Naples, Napoli spara nous propose en effet son lot de séquences bien hardcore et bien déviantes, dans le plus pur style du cinéma d’exploitation de l’époque : énucléation barbare, décapitation, corps criblés de balles à tous les étages, cruauté sur enfants… On notera, en bonus pour les amateurs, la scène de nu la plus gratuite et la plus ridicule jamais vue dans un poliziottesco – tellement gratinée de connerie qu’on ne pourra s’empêcher de se dire qu’il fallait oser.
Mais le film ne s’arrêtera pas là niveau connerie, nous donnant par exemple à voir une scène complètement cartoonesque durant laquelle le petit Gennarino pique une bagnole de course et s’amuse à balader les flics dans les rues de Naples, maitrisant le véhicule comme un vrai pilote de Formule 1… Vous l’aurez compris, Napoli spara joue donc la carte du divertissement décomplexé et fun, poussant un peu loin le bouchon des invraisemblances pour être réellement pris au sérieux.
Sanglant et outrancier, Napoli spara s’inscrit donc typiquement dans la veine du polar à l’italienne, qui était le plus souvent caractérisé par une tonalité extrêmement violente, flirtant souvent avec la provocation. Flics et truands y agissent ainsi selon les mêmes principes, au cœur d’une société en perdition, régie par la loi du talion, dont la plus infime trace de valeur morale avait été réduite à néant. Pour autant, tous les curseurs sont tellement poussés au maximum dans le film de Mario Caiano que toute velléité de discours politique sera annihilée par un ensemble un peu trop excessif pour représenter une quelconque réalité.
Ainsi, Napoli spara n’est pas ce que l’on pourra appeler une « porte d’entrée au genre », dans le sens où il s’adresse sans aucun doute bien d’avantage aux cinéphiles connaissant et appréciant les codes du genre poliziottesco plutôt qu’à ceux qui le découvriraient. Pour les amateurs cela dit, on tient là un pur concentré de plaisir, renforcé par une facture formelle solide, ainsi que par des cascades et des scènes d’action extrêmement efficaces !
Le coffret Blu-ray
[4,5/5]
Bonne nouvelle pour les amateurs de Bis transalpin ce mois-ci : ils n’auront pas à passer deux fois à la caisse puisque Le conseiller et Napoli spara débarquent en bi-pack au sein de la collection de Blu-ray « Make my day » dirigée par Jean-Baptiste Thoret, sous le numéro #35. Cette collection est éditée par StudioCanal, et l’éditeur invite donc les cinéphiles à (re)découvrir ces deux films rares – et à ce jour inédits en DVD – dans des conditions absolument remarquables.
Le transfert des deux films a fait l’objet de toutes les attentions, et le bond qualitatif par rapport aux deux films tels que l’on pouvait les connaître chez nous au format VHS est à couper le souffle. Le boulot de restauration a été fait avec soin, le grain argentique est préservé et le piqué et les couleurs prennent un coup de fouet, dans les limites de la photographie des films à petit budget de l’époque évidemment. Côté son, l’éditeur nous propose deux pistes sonores en DTS-HD Master Audio 2.0 d’origine, en V.O only dans les deux cas évidemment, et se concentrant essentiellement sur la restitution des dialogues.
Dans la section suppléments, comme sur les autres titres de la collection, nous aurons évidemment droit aux présentations de Jean-Baptiste Thoret, d’une durée oscillant entre huit et neuf minutes, toutes deux très riches en informations intéressantes. Sur le Blu-ray de Napoli spara, on trouvera en plus un long sujet nous proposant de découvrir des entretiens croisés avec Mario Caiano et Leonard Mann (1h08), qui reviendront tous deux sur leurs carrières respectives, ainsi que sur le genre et sur le film en particulier. Le tout est entrecoupé d’extraits du film.