Le camion
France : 1977
Titre original : –
Réalisation : Marguerite Duras
Scénario : Marguerite Duras
Acteurs : Marguerite Duras, Gérard Depardieu
Éditeur : Gaumont
Durée : 1h16
Genre : Drame
Date de sortie cinéma : 25 mai 1977
Date de sortie DVD/BR : 17 février 2021
Dans un salon feutré, une femme lit le scénario de ce qui sera son prochain film à un comédien. Il est question d’une femme prise en stop par un routier. Tout au long du trajet, la femme discute sans cesse tandis que l’homme l’écoute…
Le film
[3/5]
Deux personnes, attablées à une maison de campagne, discutent d’un film hypothétique. Pour une raison X ou Y, ce dernier n’a pas été tourné, et n’existe qu’à travers leurs paroles. « Ç’aurait été un film sur… », « ç’aurait été une route au bord de la mer… », « C’est là que la dame aurait commencé à regarder le paysage »…
De cette construction de l’esprit, suivant la règle du « on disait que… » propre aux jeux d’enfants, Marguerite Duras créait un long-métrage en 1977, intitulé Le camion. Dans le film, comme deux enfants, Duras et Gérard Depardieu laissent se balader leur imagination, sans contraintes de temps ni de budget. Puisque tout est uniquement porté par la parole, tout devient possible dans ce film qui n’existe pas.
Vous l’aurez compris, Le camion tient du film expérimental : c’est tout à la fois un film qui ne s’est pas fait, mais qui paradoxalement existe, par le biais de sa description orale. Il existe tellement qu’il a même fait 35.000 entrées en 1977. De ce sujet casse-gueule, dont n’importe qui d’autre aurait tout au plus tiré un court-métrage, Marguerite Duras elle fait le pari du long, poussant la plaisanterie au-delà de toute limite raisonnable.
Il faut dire aussi que durant les années 70/80, Marguerite Duras était au sommet de sa popularité, et considérée comme une des « grandes » de l’Art en France. Souvent comparée à Jean-Luc Godard, Duras était une artiste multi-supports, volontiers portée sur les œuvres expérimentales. Par le décalage entre l’image et le texte écrit, elle veut montrer que le cinéma n’est pas forcément narratif.
Dans cet état d’esprit, la caractéristique la plus notable du « style » Duras est probablement la « déstructuration », comme l’a sans doute popularisé son phrasé si particulier, et si souvent parodié. Déstructuration des phrases, des images, des personnages, de l’action et du temps. Le camion lui permet d’ailleurs une nouvelle fois de remettre en cause la grammaire du Cinéma, qu’elle avait déjà bien secouée avec ses œuvres précédentes.
Avec Le camion cependant, elle passait encore un cap supplémentaire, en refusant toute représentation de son histoire à l’écran. Pas d’acteurs, pas de narration jouée. Quelques plans de camion, et des moments volés sur la route… Anti-spectaculaire. Tout se passera dans la tête du spectateur, à condition bien sûr que ce dernier ne se soit pas endormi. Encore que, ça se discute : le rêve du spectateur ne serait-il pas la « projection » du film de Marguerite Duras ?
Malgré les difficultés que l’on pourra éprouver à rentrer dans le récit qui nous est narré, il n’est cependant pas exclu de rester premier degré jusqu’au bout, et de voir dans Le camion une simple histoire d’amour et de différence de classe, proposée selon un mode narratif nouveau et inédit. C’est possible, mais pas évident : le dispositif narratif utilisé posera forcément des questions au spectateur, qui essaiera à coup sûr de donner du sens à la démarche de Duras.
Sujet à toutes les interprétations, voire même à tous les délires analytiques Freudo-Lacaniens, Le camion n’est pas un film « aimable », dans le sens où sa nature même dénote de la part de Marguerite Duras soit d’une vaste plaisanterie / d’un exercice de style, soit d’une volonté de donner du grain à moudre aux critiques amateurs de « branlette intellectuelle ». Dans un cas comme dans l’autre, cela relègue Le camion au simple statut de « curiosité », à découvrir néanmoins, comme le reste de sa carrière de cinéaste.
Le Blu-ray
[4/5]
C’est donc Gaumont qui nous propose aujourd’hui de (re)découvrir Le camion sur support Blu-ray, au sein de la collection Blu-ray Découverte (également appelée Gaumont découverte en Blu-ray). Le transfert du film est très satisfaisant, même s’il ne plaira peut-être pas aux allergiques au grain (fort grain cinéma). L’unique décor du film est bien restitué et riches en détails, le piqué est d’une belle précision… Un beau Blu-ray, rendant pleine justice aux subtils jeux de lumières imaginés par Bruno Nuytten pour le film. Côté son, la galette nous propose un mixage DTS-HD Master Audio 2.0 qui fait le djaube sans le moindre souci à l’horizon.
Du côté des suppléments, on trouvera un entretien avec le producteur François Barat (33 minutes). Ce dernier reviendra sur sa rencontre avec Marguerite Duras, puis plus précisément sur le projet Le camion. Il nous expliquera que Duras écrivait le scénario au jour le jour, et que Gérard Depardieu était en totale improvisation, puisqu’il découvrait également les textes de Duras au moment même du tournage. Il évoque ainsi un film « crépusculaire », posant des questions aux limites de la philosophie. Est-ce le camion de la mort, est-ce la camion de la vie ? Est-ce le camion de la création ? Selon lui, le « camion » en tant que tel est une pensée – d’ailleurs Godard lui-même disait voir passer la pensée de Marguerite Duras quand il voyait passer un camion. Il appuiera également sur le côté burlesque du film – il en veut pour preuve que lors de sa présentation à Cannes, les gens se tapaient sur le ventre tellement ils rigolaient. Voilà voilà…
On continuera ensuite avec un sujet dédié à la restauration du film, présenté sur le mode toujours payant du « avant / après » (2 minutes).