Le Bazaar de l’épouvante
États-Unis : 1993
Titre original : Needful things
Réalisateur : Fraser C. Heston
Scénario : W.D. Richter
Acteurs : Max von Sydow, Ed Harris, Bonnie Bedelia
Éditeur : Rimini Éditions
Durée : 2h00
Genre : Fantastique
Date de sortie cinéma : 13 juillet 1994
Date de sortie DVD/BR : 22 novembre 2021
Castle Rock est la plus paisible des villes américaines. Les événements sont rares, et l’arrivée de Leland Gant en constitue un de taille. Il s’installe dans une vieille boutique et y propose, pour un prix dérisoire, les objets dont chacun rêve depuis longtemps. Le succès est immédiat, mais, imperceptiblement, ces achats réveillent des haines enfouies. La violence, la mort et l’apocalypse règnent désormais à Castle Rock…
Le film
[3,5/5]
Bon « petit » film fantastique du début des années 90, Le Bazaar de l’épouvante est l’adaptation très simplifiée / édulcorée d’un volumineux roman de Stephen King intitulé Bazaar, sorti en France en 1992. On y suit un vieux monsieur aux allures respectables, Leland Gaunt, qui ouvre un mystérieux magasin d’antiquités dans la ville paisible de Castle Rock. En réalité, Leland Gaunt vend beaucoup plus que des antiquités : les objets qu’il propose à ses clients sont liés à leurs désirs les plus secrets. En échange de tel ou tel objet désiré, Gaunt n’accepte quasiment pas d’argent mais demande en contrepartie à ses clients de lui rendre un service : commettre un petit acte de malveillance, apparemment sans conséquence, visant un habitant de la ville. Peu à peu, tel un marionnettiste opérant dans l’ombre, Gaunt parviendra à monter tous les habitants de Castle Rock les uns contre les autres…
Les amateurs de bande dessinée franco-belge ont toujours eu à l’esprit la ressemblance entre l’intrigue de Bazaar et celle du quinzième album de la série de bandes dessinées Astérix de René Goscinny et Albert Uderzo, intitulé La Zizanie (1970). En effet, il est bien difficile de ne pas voir dans l’intrigue imaginée par Stephen King des réminiscences de la « guerre psychologique » menée par Tullius Détritus afin de monter les irréductibles gaulois les uns contre les autres – King y a simplement gardé une tonalité résolument sérieuse et dramatique, et y a évidemment également ajouté un élément fantastique. Mais on ne s’y trompera pas : au-delà de ce fameux élément fantastique devenu sa marque de fabrique, il s’agissait surtout pour l’auteur américain de mettre en scène une histoire de mœurs extrêmement noire à partir d’une galerie de personnages qui se verraient tous peu à peu contaminés par la haine et la défiance vis-à-vis de leur prochain.
Manipulés par Leland Gaunt, les personnages de Bazaar influenceraient en effet à leur tour d’autres personnages jusqu’à ce que la tension au sein de la communauté de Castle Rock atteigne un point de non-retour. Dans le livre, il se passe beaucoup, beaucoup plus de choses que dans la version cinématographique signée Fraser C. Heston en 1993. Pour autant, Le Bazaar de l’épouvante reste un spectacle efficace, conservant en partie de l’étude de mœurs développée par King au fil de ses pages, et reprenant également en filigrane la critique acerbe du capitalisme sous-tendue par l’ouvrage. Avec ses personnages prêts à littéralement vendre leur âme pour satisfaire leur désir de consommation et de possession, l’intrigue du Bazaar de l’épouvante rappelle la fameuse maxime selon laquelle les objets que nous possédons finissent par nous posséder. Pour ceux qui en douteraient, l’escalade de violence subie par la petite communauté de Castle Rock montre bien, au final, qu’au sein d’une société capitaliste, tout se paye à un moment ou à un autre. Le constat établi par King est amer mais réaliste : en ce bas monde, chacun de nos actes a bel et bien un prix, et ce même si le prix à payer n’est pas toujours d’ordre financier.
La folie capitaliste n’épargne pas les petites villes, et le héros du Bazaar de l’épouvante en fera le constat amer dès les premières minutes du film. Ainsi, quand le shérif Alan Pangborn (Ed Harris), qui a fui la grande ville afin de trouver une vie plus calme, se retrouve à nouveau confronté à la bêtise humaine quand il se voit contraint d’arbitrer une querelle entre son adjoint Ridgewick (Ray McKinnon) et le conseiller municipal véreux Danforth Keeton (formidable J.T. Walsh). Sous l’effet de la colère, il prononcera ces mots qui pourraient servir de morale au film de Fraser C. Heston : « Tout le monde est fou, partout ! ». Voilà qui laisse à penser que si Le Bazaar de l’épouvante n’est certes pas exempt de défauts, on ne pourra pas affirmer que le scénariste W.D. Richter (Les aventures de Jack Burton) n’ait pas compris le sens de l’œuvre de Stephen King.
Traitant de la corruptibilité humaine avec le plus grand sérieux (même si l’ensemble n’est pas dénué d’un certain humour noir), Le Bazaar de l’épouvante bénéficie en outre d’une distribution de premier ordre, menée par l’impeccable Max von Sidow dans le rôle de Gaunt. Aux côtés de la légende suédoise, on trouvera donc les excellents Ed Harris et J.T. Walsh mais également, en ce qui concerne le casting féminin, Amanda Plummer, incontournable dans les rôles « fragiles » tout au long des années 90, ou encore Bonnie Bedelia, surtout connue pour avoir incarné Holly McClane dans Piège de cristal – elle est également la tante de Kieran et Macaulay Culkin dans la vraie vie. Vous le saviez, ça ? D’un point de vue formel, et notamment parce qu’il est complètement dénué d’effets numériques, Le Bazaar de l’épouvante a par ailleurs particulièrement bien vieilli, même si de toute façon l’essentiel de l’horreur du film ne se repose pas sur les effets spéciaux mais bel et bien dans les relations qui se tissent au fur et à mesure entre les personnages, ainsi que sur la pression exercée par Gaunt sur les diverses rancœurs qui couvaient depuis longtemps entre les habitants.
En bref, Le Bazaar de l’épouvante s’avère un solide petit film fantastique, rythmé et jamais ennuyeux, jouant habilement sur la notion Faustienne de tentation et de prix à payer. Pour qui n’aurait jamais lu le livre de Stephen King, il constitue une adaptation honnête, même si la violence et le machiavélisme de l’ensemble semblent y avoir été réduits à leur plus simple expression. On ne désespère pas cela dit de voir un jour débarquer Bazaar sous la forme d’une série télévisée : il s’agit en effet de la forme qui parait le plus susceptible de traduire à l’écran l’ambition et la folie – autant dire la démesure – de l’œuvre originale.
Le Blu-ray
[4/5]
Comme les autres titres disponibles au sein de la collection « Fantastique » de Rimini Éditions, Le Bazaar de l’épouvante débarque dans un Combo Blu-ray + 2 DVD + Livret, présenté dans un superbe Digipack 3 volets inséré dans un fourreau cartonné : une présentation qui a vraiment de la gueule, et qui donne paradoxalement un réel standing à un film aujourd’hui un peu oublié, et que l’on n’aurait jamais pensé voir un jour traité avec autant d’égards. On a donc entre les mains un véritable et bel objet de collection : un grand bravo à Rimini Éditions. On notera juste qu’une faute est présente sur les visuels des packshots nous ayant été fournis par l’éditeur – le nom de Bonnie Bedelia y a en effet été écrit avec deux « L » : attention, elle risque de s’envoler ! On espère que cette coquille (avec un « Q » !) aura été rectifiée au moment de l’impression définitive des jaquettes.
Du côté du master Haute Définition, la qualité est également à l’ordre du jour, même si les tâches et autres poussières qui émaillent le métrage laissent à penser qu’aucune restauration n’a été faite. Le grain d’origine est bien là, le piqué est occasionnellement d’une belle précision (on note néanmoins de petites baisses de définition), et les couleurs sont chaudes et naturelles. Bref, on est en présence d’un Blu-ray absolument satisfaisant. Côté son, c’est la classe également : le film nous est à la fois proposé en VF et VO en DTS-HD Master Audio 5.1. Si le film ne regorge pas d’effets de spatialisation, l’ensemble est néanmoins très efficace, notamment au niveau des ambiances, bien enveloppantes. Un mixage DTS-HD Master Audio 2.0 est également disponible dans les deux langues, et se révèle particulièrement clair dans la restitution des dialogues et des différentes ambiances. Du beau travail.
Au rayon des bonus, outre le commentaire audio du réalisateur Fraser C. Heston et le traditionnel livret de 24 pages rédigé par Marc Toullec, le gros morceau de cette interactivité réside dans la présence d’une version longue du Bazaar de l’épouvante, d’une durée de trois heures et proposée en définition standard, 4/3 et VOST. Originellement conçue pour une diffusion sur le câble américain en 1996, cette version réintègre de nombreuses séquences ayant à l’origine terminées sur le sol de la salle de montage – on y découvre notamment un personnage ayant complètement disparu du montage final : la mère du petit Brian Rusk, Cora, qui voue un culte à Elvis Presley. Diffusion TV oblige, les passages les plus sanglants du film ont été coupés, mais cette version se tient néanmoins parfaitement bien, ajoutant même une touche d’ambiance à l’ensemble. On ajoutera cela dit qu’il ne s’agit pas d’un « Director’s cut », mais bel et bien d’un montage alternatif – la préférence du réalisateur Fraser C. Heston va d’ailleurs à la version sortie dans les salles en 1993. Vous pourrez trouver l’intégralité des différences entre les deux montages sur le site de référence Movie-censorship.