Test Blu-ray : Lamberto Bava – Delirium + Body Puzzle

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Delirium

Italie : 1987
Titre original : Le foto di Gioia
Réalisation : Lamberto Bava
Scénario : Gianfranco Clerici, Daniele Stroppa
Acteurs : Serena Grandi, Daria Nicolodi, Vanni Corbellini
Éditeur : Carlotta Films
Durée : 1h44
Genre : Horreur, Giallo
Date de sortie DVD/BR : 1 octobre 2024

Gioia est propriétaire d’une revue pour hommes, Pussycat. Lors d’une séance photo, la jeune Kim est sauvagement assassinée. Le lendemain, Gioia reçoit un cliché du cadavre devant une photo géante la représentant. Quelque temps après, l’assassin recommence son méfait sur un autre modèle…

Body Puzzle

Italie : 1992
Titre original : Misteria
Réalisation : Lamberto Bava
Scénario : Lamberto Bava
Acteurs : Joanna Pacuła, Tomas Arana, Gianni Garko
Éditeur : Carlotta Films
Durée : 1h39
Genre : Horreur, Giallo
Date de sortie DVD/BR : 1 octobre 2024

L’inspecteur Michele enquête sur les meurtres sordides d’un mystérieux tueur en série qui, non content de massacrer ses victimes, leur prélève en plus des organes. Michele fait rapidement le lien avec le défunt mari d’une jeune veuve, dont la tombe a été récemment profanée. Pendant ce temps, les crimes continuent…

Les films

[4/5]

Après son premier film Baiser macabre en 1980, Lamberto Bava s’était réessayé à l’épouvante en 1983 avec La Maison de la Terreur, en partie conçu comme un hommage au Giallo, un genre dont la paternité est à attribuer son maestro de papa, le grand Mario Bava. Après un passage par l’action avec Blastfighter – L’Exécuteur, et par la science-fiction avec Le Monstre de l’océan rouge, en 1985/1986, il reviendrait à l’horreur pour les films Démons et Démons 2, coécrits et produits par Dario Argento, et se laisserait entre les deux films à nouveau tenter par les codes du Giallo avec Midnight Horror (Morirai a mezzanotte). Avec Le Foto di Gioia (1987), il flirtera pour la troisième fois avec le Giallo. Le film avait bénéficié d’une sortie en vidéo dans les années 80, sous le titre Delirium – c’est donc fort logiquement sous ce titre que Carlotta Films nous propose aujourd’hui de redécouvrir le film. Pour la petite histoire, on trouve ici ou là des références au film de Lamberto Bava sous le titre Sentences de mort : il s’agit peut-être d’une confusion avec un autre film nommé Delirium – un film américain de Peter Maris sorti en VHS en France au milieu des années 80 sous le titre Sentences de mort. A notre connaissance, Le Foto di Gioia n’a jamais été distribué en France sous le titre Sentences de mort, sauf peut-être lors de sa diffusion sur La 5 dans le cadre de l’émission « Les Accords du Diable », comme semble s’en souvenir Romain Vandestichele dans les suppléments du Blu-ray.

Delirium met en vedette Serena Grandi, qui s’était fait remarquer des érotomanes du monde entier en 1985 grâce au film de Tinto Brass Miranda. Cependant, quand on redécouvre le film trente-cinq ans après sa sortie, on pourra trouver qu’elle affiche en fait une ressemblance assez étonnante avec Selena Gomez période saison 3 et 4 de Only Murders in the Building. Mais retour à Serena Grandi. Dans le film de Lamberto Bava, elle incarne Gioia (ou Gloria dans la VF), ex-mannequin de charme désormais à la tête de Pussycat, un magazine à la Playboy. Après une séance photo haute en couleurs, l’un des meilleurs modèles de Gioia est brutalement tué. Puis un autre. Pire encore : quelqu’un envoie des photographies des cadavres à la jeune femme. Le mystère autour de cette série de meurtres est alimenté par les moyens pour le moins insolites et ô combien graphiques utilisés par le tueur. La première victime (Trine Michelsen) est empalée sur une fourche et jetée dans la piscine. La deuxième victime, qui se trouve être Sabrina Salerno, la chanteuse italienne ayant fait danser le monde entier avec son tube « Boys Boys Boys » en 1987, est tuée par une horde d’abeilles lâchée dans son appartement alors qu’elle s’y baladait tranquillement à poil.

Les scènes de meurtres qui émaillent la narration de Delirium, et qui adoptent par moments le point de vue halluciné du tueur (qui, par exemple, voit sa première victime avec un gros globe oculaire à la place de la tête), sont essentiellement utilisées pour donner au film une identité forte et immédiatement reconnaissable. Et le fait est que l’ensemble fonctionne d’ailleurs plutôt bien, notamment grâce à la mise en scène inspirée et typiquement 80’s de Lamberto Bava, qui se vautre joyeusement dans le kitsch, le vulgaire et la putasserie de mauvais goût, à la manière de Brian De Palma quelques années plus tôt sur son chef d’œuvre Body Double – un film sur lequel Bava lorgne régulièrement et de façon assez appuyée. Alors bien sûr, le film est très porté sur l’érotisme (soft), et de fait, l’intrigue passe après les images, et s’avère souvent laissée au second plan, Lamberto Bava se montrant parfois plus inspiré pour montrer ses actrices dénudées que pour faire évoluer le schmilblick narratif.

Cela dit, le cinéaste, qui s’était entouré pour l’occasion de son équipe technique habituelle (Gianlorenzo Battaglia à la photographie, Rosario Prestopino aux effets spéciaux, Antonello Geleng à la direction artistique), nous livre tout de même au cœur de Delirium une poignée de compositions de plans absolument remarquables, et l’utilisation des couleurs est plutôt spectaculaire et réussie. Le film bénéficie également d’une excellente musique, bien barrée, que l’on doit à l’excellent Simon Boswell (Santa Sangre, Hardware, Le Maître des Illusions, Perdita Durango…). Côté casting, on notera également la présence de Daria Nicolodi (ex-épouse de Dario Argento, vue dans Les Frissons de l’angoisse, Inferno, Ténèbres…) et de l’incontournable George Eastman (Horrible, Les Guerriers du Bronx, Le Gladiateur du futur, Atomic Cyborg, Les Barbarians…).

Après plusieurs films et séries produits pour la télévision italienne (avec notamment le début de La Caverne de la rose d’or, qui durerait de 1991 à 1997), Lamberto Bava reviendrait à nouveau aux codes du Giallo en 1992 avec Body Puzzle, qui se trouve être le deuxième film disponible au cœur du coffret que lui consacre Carlotta ce mois-ci. Si l’on en croit le site de référence Encyclo-Ciné, le film aurait été distribué en province, mais nul n’a été en mesure de nous confirmer l’existence d’une affiche française. En réalité, la plupart des cinéphiles l’ont probablement découvert à l’occasion de son exploitation en VHS en 1993, chez Fox Vidéo. Époque oblige, la jaquette de la VHS jouait davantage la carte du film de Psycho-Killer que celle du Giallo tardif, dans le but évident de surfer sur le succès du Silence des Agneaux sorti en 1991.

Alors bien sûr, nous sommes en 1992, et Body Puzzle n’est pas non plus tout à fait un Giallo, même si l’intrigue reprend quelques éléments du genre. Si le récit dévoile d’entrée de jeu l’identité de son tueur, et ne s’inscrit donc pas la tradition du whodunit, son intrigue tortueuse et chargée d’une tension sexuelle assez claire cherchera néanmoins à comprendre le « pourquoi » de ses agissements. Pour les éléments purement Giallesques du récit, on notera que le film met en scène une femme seule face à un tueur fétichiste. Le tueur a en effet la particularité d’emporter des membres de ses victimes, et semble développer une obsession malsaine vis-à-vis de Tracy (Joanna Pacula), une jeune veuve, chez qui il dépose régulièrement des morceaux de corps (oreille, main…). Le flic en charge de l’affaire (Tomas Arana) ne doute pas qu’il existe un lien entre Tracy et le tueur, et pense que tout cela pourrait être lié à la profanation récente de la tombe du défunt mari de Tracy. Il commence donc à fouiller dans son passé à la recherche d’indices et, ce faisant, découvrira des détails sordides sur la vie secrète de l’homme décédé…

Qu’on se le dise : en dépit d’une construction narrative un peu laborieuse (qui donne un peu l’impression que les pièces de ce Body Puzzle se présentent dans le mauvais ordre et/ou ne s’imbriquent pas forcément bien les unes avec les autres), le film de Lamberto Bava s’avère bel et bien un plaisir coupable tout à fait réjouissant. Les scènes de meurtres son très efficaces, et comme à son habitude, le cinéaste utilise de façon assez tendue les espaces clos ; les décors sont très réussis, la maison de Tracy s’avérant une merveille d’architecture et de design labyrinthique, avec notamment une étrange piscine intérieure. Globalement, Bava nous propose d’ailleurs des compositions de plans esthétiques, mais souvent étranges, suggérant par moments presque une logique de rêve éveillé.

Alors qu’il avait décidé, cinq ans auparavant, de concentrer une grande partie de son attention sur l’érotisme, dans Body Puzzle, Lamberto Bava remet bel et bien le carnage et les scènes de meurtres au premier plan de son thriller / Giallo, et indéniablement, ce sont ces scènes dont le spectateur se souviendra surtout une fois le générique de fin terminé. C’est d’autant plus clair que le film développe également un intéressant boulot sur le son : le tueur écoute « Une nuit sur le mont Chauve » sur son walkman à chaque fois qu’il tue, et le film étouffe souvent tous les autres sons pendant les scènes de meurtres, ce qui produit un effet assez notable et original. On notera par ailleurs qu’à l’origine, le tueur écoutait la cantate de « Carmina Burana » composée par Carl Orff. Cependant, des problèmes juridiques dus à l’utilisation sans autorisation de la musique d’Orff avaient conduit Bava à devoir utiliser « Une nuit sur le mont Chauve » de Modeste Moussorgski.

Du côté des acteurs, Joanna Pacula (Désigné pour mourir, Warlock II) et Tomas Arana (Sanctuaire, La Secte, L.A. Confidential) portent l’essentiel du film et s’en sortent plutôt bien face à un impressionnant François Montagut dans le rôle du tueur. Les amateurs de cinéma d’exploitation italien se réjouiront également de retrouver, dans des seconds rôles, la figure mythique du western spaghetti Gianni Garko (Sartana, La Nuit des diables, L’Emmurée vivante), l’incontournable Erika Blanc (L’Appel de la chair, Amour et Mort dans le jardin des dieux) et le toujours excellent Giovanni Lambardo Radice (Pulsions cannibales, Cannibal Ferox, Frayeurs…).

Le coffret Blu-ray

[5/5]

On l’avoue, on est toujours un peu émus et heureux quand on voit un éditeur s’aventurer dans des eaux qui lui sont, à priori, peu familières. Même si Carlotta Films s’est régulièrement fait remarquer ces dernières années en arpentant les sombres arcanes du cinéma d’exploitation, on n’attendait pas forcément à voir débarquer de sitôt deux films de Lamberto Bava sous la bannière de l’éditeur, et on salue bien bas l’ouverture d’esprit de ses responsables éditoriaux. C’est d’autant plus remarquable que la sortie de Delirium était très attendue de la part des amateurs de cinéma de genre, et on espère, qu’elle sera, peut-être, un jour suivie par d’autres explorations de la déviance du cinéma Bis international, avec notamment les films de Jean Rollin (1938-2010), qui sont disponibles dans plusieurs pays du monde au format Blu-ray 4K Ultra HD – mais pas en France – ou encore avec l’œuvre d’Andy Sidaris (1931-2007), qui mérite clairement d’être (re)découverte.

En attendant, et comme à ses excellentes habitudes, Carlotta Films nous propose avec ce coffret 2 films de Lamberto Bava : Delirium + Body Puzzle un joli tour de force éditorial, qui nous arrivera de plus sous la forme d’un « bel objet », que l’on sera fier de voir trôner sur nos étagères. Présentés dans un très classieux digipack 3 volets doté d’une maquette du tonnerre signée des équipes de L’Étoile graphique, les deux disques Blu-ray disponibles au sein de ce coffret prouveront à quiconque en douterait encore à quel point Carlotta soigne ses bébés, qu’ils répondent au nom de François Truffaut ou de Lamberto Bava.

En ce qui concerne le master des deux films, ils nous sont bien entendu présentés en version intégrale et au format respecté, dans des transfert Haute-Définition absolument remarquables. Restituant parfaitement son ambiance visuelle soignée, le Blu-ray de Delirium est assez incroyable : le piqué est précis, le grain argentique a été préservé, et les couleurs sont explosives : on n’avait jamais vu le film de Bava dans ces conditions : avec ses couleurs très saturées et ses multiples effets visuels presque psychédéliques, le film s’impose comme une totale redécouverte. Sans surprise, le master de Body Puzzle s’avère tout aussi enthousiasmant : le piqué est précis, les couleurs chatoyantes, le grain est respecté – l’apport Haute-Définition est indéniable et bien réel. Côté son, dans les deux cas, les films nous sont proposés en DTS-HD Master Audio 2.0 à la fois en version italienne, anglaise et française, et le rendu acoustique de l’ensemble assure une immersion parfaite au cœur de ces deux films de barges.

Du côté des suppléments, l’éditeur nous propose une interactivité inédite et produite en France : pour les deux films, on trouvera donc une discussion entre Gérald Duchaussoy et Romain Vandestichele. Les deux camarades, auteurs d’un ouvrage récent « Lamberto Bava, conteur né » (Éditions Carlotta, 2024), aborderont les deux films de façon détendue. Leur première intervention, centrée sur Delirium, s’intitule « Chic et violent » (22 minutes). Ils y évoquent leur découverte du film dans l’émission de Sangria « Les Accords du Diable » sur La 5 de Berlusconi, l’esthétique de l’époque, à la fois clinquante et crapoteuse, les références au Voyeur de Michael Powell sur les scènes de séances photos mises en place par le tueur, et passent rapidement sur les scènes érotiques du film, qui mettent en scène des corps pas très « sexualisés ». Leur deuxième intervention porte naturellement sur Body Puzzle (21 minutes), et leur permet de revenir sur l’atmosphère froide, oppressante, presque déprimante du film, mais également sur la prestation de François Montagut, sur la bonne utilisation de la musique ou encore sur la notion d’enfermement, dans une « maison prison ».

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