La vie privée de Sherlock Holmes
États-Unis, Royaume-Uni : 1970
Titre original : The private life of Sherlock Holmes
Réalisation : Billy Wilder
Scénario : Billy Wilder, I.A.L. Diamond
Acteurs : Robert Stephens, Christopher Lee, Colin Blakely
Éditeur : L’atelier d’images
Durée : 2h05
Genre : Aventures, Comédie
Date de sortie cinéma : 23 décembre 1970
Date de sortie DVD/BR : 2 mai 2018
Dans leur appartement de Baker Street, Holmes et Watson voient arriver une jeune veuve sauvée des eaux de la Tamise. Se nommant Gabrielle Valladon, cette dernière semble amnésique mais va vite retrouver la mémoire. Le fin limier et son équipier vont être entrainés dans une enquête hors du commun, où ils croiseront Mycroft Holmes, le frère de Sherlock, la reine Victoria et le monstre du Loch Ness…
Le film
[4/5]
Film maudit de Billy Wilder, dont la version longue depuis longtemps disparue alimente tous les fantasmes cinéphiles depuis de nombreuses années, La vie privée de Sherlock Holmes débarque enfin en édition « Collector » Blu-ray sous les couleurs de L’atelier d’images. Si les admirateurs les plus intégristes de l’univers des duettistes de Baker Street créé par Sir Arthur Conan Doyle affirmeront que le film est une trahison dans les grandes largeurs, on pourra au contraire trouver que les œuvres qui apportent le plus de fraicheur à une figure « mythique » de la littérature ou de la culture populaire sont celles qui osent prendre des distances avec les univers auxquels elles se confrontent. Décalage rigolard, outrances, anachronismes, transposition dans un autre « monde » diégétique… Tous les moyens, même les moins avouables, sont bons pour ne pas tomber dans la redite… Et à l’occasion dépoussiérer quelques figures par trop connues !
Ainsi, certaines adaptations n’ont pas peur de changer radicalement le champ lexical des œuvres auxquelles elles se confrontent, en y apportant par exemple une touche de folie, souvent inattendue. Au final, elles modifient la perception du public tout en conservant l’essence du mythe. Pensons au diptyque OSS 117, au Batman returns de Tim Burton, à Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre signé Alain Chabat, ou même aux adaptations 100% barrées tournant autour de certaines séries TV (Charlie’s angels, Starsky & Hutch…) : des films aux antipodes de leurs modèles littéraires ou télévisuels, réussissant l’exploit d’éviter la moquerie avec tendresse (les héros ne sont jamais tournés en ridicule mais demeurent attachants), et donnent finalement un nouveau souffle aux personnages qu’elles abordent. Bien sûr, ce n’est plus tout à fait la même chose, les puristes sont parfois circonspects, voire franchement mécontents, mais trahison ou pas, le fait est que l’on est en présence d’œuvres uniques, à l’identité forte, et qui ont le mérite de marquer durablement les mémoires.
C’est le romancier / réalisateur britannique Clive Barker qui, à la sortie de Hellraiser II : Les écorchés, résumait le mieux l’esprit d’une bonne adaptation : « Voici un phénomène extraordinaire : dès que l’on crée une histoire ou une image qui trouve la faveur du public, on la perd. Elle vous quitte, la petite salope ; elle devient la propriété des fans. Ce sont eux qui élaborent leur propre mythologie autour d’elle ; eux qui conçoivent des suites et des prologues ; eux qui vous signalent les points faibles de votre récit. Il n’existe pas de plus beau compliment à mes yeux. (…) Après Hellraiser : Le pacte est venu Hellraiser II : Les écorchés, dans lequel le scénariste Peter Atkins et le réalisateur Tony Randel ont tissé leur propre suite à partir du premier épisode. Ce n’était pas le film que j’aurais tourné, mais il était extrêmement intéressant de voir comment d’autres esprits et d’autres talents traitaient ces idées ; comment ils exploraient des prolongements que je n’avais même pas envisagés lorsque j’avais pris la plume. (…) Mais j’en suis néanmoins très fier. Pas seulement parce que des créateurs aussi doués ont été suffisamment séduits par les concepts de Hellraiser pour prolonger son univers fictif avec leurs propres récits, mais parce que – voyez ! – ce salaud de petit film que j’ai tourné a désormais sa propre vie. »
La page Wikipédia consacrée au détective nous apprend que la première apparition de Sherlock Holmes à l’écran date de 1900, dans un film de 30 secondes intitulé Sherlock Holmes baffled. Depuis, les adaptations cinématographiques se sont succédées, et 85 ans après la mort de Sir Arthur Conan Doyle, lesquelles retiendra-t-on en priorité ? On pense bien sûr aux sympathiques mais trop sages films mettant en scène Basil Rathbone dans les années 40, au Chien des Baskerville (Terence Fisher, 1959), démarcation gothique du personnage et chef d’œuvre made in Hammer, à La vie privée de Sherlock Holmes (Billy Wilder, 1970), au formidable Secret de la pyramide (Young Sherlock Holmes, Barry Levinson, 1985), au très amusant Élémentaire, mon cher… Lock Holmes (Without a clue, Tom Eberhardt, 1988) ou encore, quitte à faire rugir les orfraies de la critique intellectuellement correcte, à Sherlock Holmes : Jeu d’ombres (Guy Ritchie, 2011), qui déchaînait un maelstrom de bruit et de fureur autour d’un personnage complètement réinventé dans, et en profitait pour signer un chef d’œuvre (le premier de sa carrière), dont la déconstruction systématique – narrative et formelle – nous amène aux limites de l’abstraction.
Concrétisation d’un travail de longue haleine pour Billy Wilder et son scénariste fétiche I.A.L. Diamond, La vie privée de Sherlock Holmes suit donc une enquête « inédite », créée de toutes pièces par les deux compères, inséparables depuis Ariane en 1957. Pour la petite histoire, on notera qu’à l’origine, en lieu et place des deux intrigues se superposant durant le film, c’était quatre histoires qui devaient s’enchevêtrer au cœur d’un film dont le premier montage durait rien de moins que quatre heures. Evitant la tentation du pastiche ou de la parodie, les auteurs du film proposent une « extension » sentimentale à l’univers créé par Conan Doyle, ayant pour elle de proposer ce qui apparait comme une parfaite cohérence avec l’œuvre littéraire mettant en scène Sherlock Holmes – Wilder et Diamond respectent au pied de la lettre « l’esprit » des romans. Bien sûr, on pourra toujours arguer que La vie privée de Sherlock Holmes démystifie le « héros », le fait tomber de son piédestal de détective infaillible ; mais le film parvient surtout à apporter une réelle dimension « humaine » au personnage, dont on découvre ici les failles, les défauts et les faiblesses. Dès les premières minutes du film, Holmes fait remarquer à Watson que l’image que ce dernier a forgée de lui au fil de ses récits est fausse – Billy Wilder et IAL Diamond s’échineront à donner une dimension humaine à ces personnages de fiction, de même qu’ils les replaceront au cœur d’une reconstitution historique très soignée.
Le personnage de Sherlock Holmes est interprété par Robert Stephens, tandis que le Dr Watson prendra les traits de Colin Blakely. On retrouvera également au casting du film le toujours impeccable Christopher Lee dans la peau du frère de Holmes, Mycroft. Largement redécouvert ces dernières années suite à ses diffusions à la TV et grâce à sa sortie en DVD en 2004, La vie privée de Sherlock Holmes est une œuvre imparfaite, posant notamment quelques gros problèmes de rythme (on se demande vraiment si le montage original n’aurait pas été tout simplement imbuvable) mais proposant une intéressante « relecture » du personnage, différent du Sherlock Holmes auquel le public est habitué.
Le Blu-ray
[4/5]
C’est donc L’atelier d’images qui nous propose aujourd’hui de (re)découvrir La vie privée de Sherlock Holmes en Blu-ray. L’image est proposée au format, et nous propose un gain sensible de précision côté image par rapport au DVD de 2004 ; cependant, le master n’est pas exempt de défauts, loin de là – l’image souffre de nombreuses taches et rayures, la colorimétrie semble parfois varier d’une scène à l’autre et le piqué manque assurément de précision. Bien sûr, avec sa photo volontairement « vaporeuse » et douce, donnant l’impression d’un voile au-dessus de l’image, le film de Wilder n’était pas le candidat le plus aisé pour un upgrade Haute Définition. On se consolera en se disant que le grain « cinéma » semble avoir été parfaitement préservé et que le niveau de détail s’avère très satisfaisant sur les gros plans. Côté son, VF et VO sont toutes deux proposées en mono d’origine et mixées en DTS-HD Master Audio 2.0. Les deux versions restituent les dialogues de façon relativement claire et équilibrée, l’ensemble fait occasionnellement preuve d’un certain punch dans la restitution de la musique de Miklós Rózsa.
Du côté des suppléments, L’atelier d’images nous propose de retrouver l’intégralité des suppléments déjà disponibles sur le DVD américain du film sorti en 2003, puis sur le Blu-ray sorti chez Kino Lorber en 2014 ; le tout est également proposé en définition standard, mais dispose de sous-titres français. On commencera avec un entretien avec Christopher Lee, qui revient sur son expérience aux côtés de Billy Wilder mais évoquera également ses multiples expériences sur des adaptations d’œuvres d’Arthur Conan Doyle ou les multiples séquences du film coupées au montage final. On poursuivra avec un entretien avec Ernest Walter, monteur du film (29 minutes), qui revient sur son travail sur La vie privée de Sherlock Holmes, évoquant longuement les scènes supprimées ; il reviendra également sur son expérience auprès d’autres réalisateurs, tels que Robert Wise.
On s’attardera ensuite sur une longue série composée d’environ 50 minutes de scènes coupées, incluant un prologue et une fin alternative. La plupart sont en fait reconstituées à partir de dialogues, et illustrées par des photos et extraits du scénario original. On aura également droit à quelques extraits sonores ou filmés mais dépourvus de son : un certain travail d’imagination sera donc nécessaire, mais pour la plupart, ces scènes écartées du montage final s’avèrent intéressantes. La fin alternative, en fait un petit clin d’œil à Jack l’éventreur, est quant à elle complètement anecdotique.
Mais L’atelier d’images ne s’arrête pas là, puisque l’éditeur nous propose également de découvrir un long making of inédit (52 minutes) revenant sur la carrière de Billy Wilder et sur le tournage de La vie privée de Sherlock Holmes. On y trouvera une série d’entretiens avec le cinéaste, ainsi que de nombreux extraits et photos du tournage. On continuera ensuite avec un entretien avec Jérôme Wybon (13 minutes, HD), qui revient sur la genèse du film de Wilder ainsi que sur les différentes mésaventures du réalisateur sur le tournage du film. Il s’agit d’une synthèse intéressante, mais le débit de parole de Jérôme Wybon pourra tendre à légèrement endormir le spectateur. On terminera enfin avec la bande-annonce originale du film, présentée dans son jus d’époque, ainsi qu’avec la présentation du film par Eddy Mitchell, pour l’émission La dernière séance en 1989 ; ce supplément est certes très anecdotique, mais plutôt amusant, d’autant qu’en l’espace de deux minutes, le chanteur / acteur / cinéphile évoque une possible relation homosexuelle entre Holmes et Watson.