La veuve Couderc
France, Italie : 1971
Titre original : –
Réalisation : Pierre Granier-Deferre
Scénario : Pierre Granier-Deferre, Pascal Jardin
Acteurs : Alain Delon, Simone Signoret, Ottavia Piccolo
Éditeur : Coin de mire Cinéma
Durée : 1h29
Genre : Drame
Date de sortie cinéma : 13 octobre 1971
Date de sortie DVD/BR : 4 décembre 2020
Dans le car qui longe le canal du Centre, Jean, fuyant la police et muni de faux papiers, fait la connaissance d’une paysanne, la veuve Couderc. C’est une femme qui vieillit seule et s’acharne à conserver sa ferme, possession que la famille de son mari lui conteste. Dans la ferme d’en face, vit une fille-mère de 16 ans. Jean va les prendre comme maîtresses. Entre ces deux femmes, aux antipodes l’une de l’autre, il va connaître un bonheur condamné d’avance…
Le film
[4/5]
Adaptation du roman éponyme de Georges Simenon, La veuve Couderc s’est rapidement imposé comme un des grands succès populaires de l’année 1971 en France, ainsi que comme l’un des sommets de la carrière de cinéaste de Pierre Granier-Deferre. Prenant place dans la France rurale des années 30, le film est un drame d’une intensité remarquable, porté par la prestation de deux « monstres sacrés » du cinéma français : Simone Signoret et Alain Delon.
Dans le déroulement de son récit, ainsi que dans l’intrigue générale, le scénariste Pascal Jardin prend des libertés assez importantes avec le roman de Simenon. Il fait ainsi le choix d’ajouter à La veuve Couderc une dimension plus ouvertement tragique dans le passé ainsi que la destinée du trio de personnages principaux : la veuve Couderc, Jean, ainsi que Francine, la « trainée », incarnée par Ottavia Piccolo. Ces modifications contribuent à donner au film une atmosphère âpre, difficile, marqué par le travail de la terre et prenant place dans un monde paysan dévasté, à l’abandon, où chacun semble lutter pour sa survie.
Les grandes lignes du roman d’origine sont cependant respectées, même si Pierre Granier-Deferre et son scénariste en évacuent certains aspects pour se concentrer sur une série de thématiques fortes tournant autour de la passion : l’envie, la convoitise, le désir ou encore la jalousie. De fait, La veuve Couderc en devient un film réellement « fiévreux », où chaque regard échangé entre les personnages semble lourd à la fois de concupiscence et de danger, comme si le fait de s’adonner à ses pulsions sexuelles était un synonyme de rejet et de honte.
Allant au-delà de la misogynie latente de l’œuvre de Simenon, La veuve Couderc version cinéma installe donc une ambiance trouble entre les différents protagonistes du récit, poussant la tension sexuelle est à son paroxysme, même si le film reste paradoxalement d’une grande pudeur d’un point de vue graphique. Cependant, la tension érotique est telle dans le récit réimaginé ici pour le grand écran que certaines scènes se teintent même d’une dimension voyeuriste, par exemple quand le personnage d’Alain Delon observe les exhibitions provocatrices de Francine, qui feint l’innocence quand elle dégrafe son corsage pour donner la gougoutte à son bébé. Jean sera tout aussi troublé en regardant la jeune fille que quand il se cache afin d’observer la veuve Couderc qui trait ses vaches, maniant les pis dans un mouvement suggestif…
De vieilles rancœurs familiales viendront par ailleurs s’ajouter à ce mélange déjà tendu, puisque c’est la belle-famille de la veuve Couderc – qui convoite sa ferme – qui provoquera finalement sa chute. Cependant, la trahison du beau-père de la veuve Couderc, incarné par Jean Tissier, n’est pas lié au fait de récupérer la ferme de son fils : s’il se venge, c’est seulement parce qu’il est frustré de ne plus obtenir de faveurs sexuelles de la part de sa bru. Déchainement des passions oblige, La veuve Couderc se terminera finalement sur un dénouement extrêmement lyrique, éloigné de la sécheresse naturaliste et presque absurde de la fin du roman de Simenon.
La veuve Couderc s’avère néanmoins une œuvre assez fascinante, réalisée de façon efficace par Pierre Granier-Deferre et rythmée par la musique de Philippe Sarde. Le film est par ailleurs admirablement porté par ses acteurs : Alain Delon est, comme toujours à l’époque, absolument parfait, de même que Simone Signoret, plus vraie que nature en paysanne aux manières rudes. La dureté de son visage et la rusticité de ses gestes et de son attitude dans le film contribuent à nous faire penser qu’elle approchait sans doute des 65/70 ans… Alors qu’elle n’en avait en réalité que 50. Si la jeune Ottavia Piccolo (22 ans à l’époque du tournage) avait remporté le prix d’interprétation féminine au Festival de Cannes 1970 pour le film Metello, son rôle ici ne lui permet pas réellement de s’exprimer en tant qu’actrice. En revanche, dans le rôle de la belle-famille de Simone Signoret, Jean Tissier, Monique Chaumette et Boby Lapointe livrent d’ailleurs des prestations extrêmement convaincantes dans la peau de deux personnages très antipathiques. Il va sans dire que le génial Boby Lapointe est ici très éloigné de l’ambiance de ses formidables chansons, parsemées de calembours, de contrepèteries, d’allitérations et de paronomases. La veuve Couderc est son dernier film : Boby Lapointe mourrait l’année suivante d’un cancer du pancréas, à seulement 50 ans. Les plus observateurs pourront également repérer une apparition rapide de Jean-Pierre Castaldi durant la scène du commissariat.
La collection « La séance »
Depuis l’automne 2018, l’éditeur Coin de mire Cinéma propose avec régularité au public de se replonger dans de véritables classiques du cinéma populaire français, tous disponibles au cœur de sa riche collection « La séance ». En l’espace de ces deux années de passion, le soin maniaque apporté par l’éditeur à sa sélection de films du patrimoine français a clairement porté ses fruits. Ainsi, Coin de mire est parvenu à se faire, en peu de temps, une place de tout premier ordre dans le cœur des cinéphiles français. L’éditeur s’impose en effet comme une véritable référence en termes de qualité de transfert et de suppléments, les titres de la collection se suivent et ne se ressemblent pas, prouvant à ceux qui en douteraient encore la richesse infinie du catalogue hexagonal en matière de cinéma populaire. Une telle initiative est forcément à soutenir, surtout à une époque où le marché de la vidéo « physique » se réduit comme peau de chagrin d’année en année.
Chaque titre de la collection « La séance » édité par Coin de mire s’affiche donc dans une superbe édition Combo Blu-ray + DVD + Livret prenant la forme d’un Mediabook au design soigné et à la finition maniaque. Chaque coffret Digibook prestige est numéroté et limité à 3.000 exemplaires. Un livret inédit comportant de nombreux documents d’archive est cousu au boîtier. Les coffrets comprennent également la reproduction de 10 photos d’exploitation sur papier glacé (format 12×15 cm), glissés dans deux étuis cartonnés aux côtés de la reproduction de l’affiche originale (format 21×29 cm). Chaque nouveau titre de la collection « La séance » s’intègre de plus dans la charte graphique de la collection depuis ses débuts à l’automne 2018 : fond noir, composition d’une nouvelle affiche à partir des photos Noir et Blanc, lettres dorées. Le packaging et le soin apporté aux finitions de ces éditions en font de véritables références en termes de qualité. Chaque coffret Digibook prestige estampillé « La séance » s’impose donc comme un superbe objet de collection que vous serez fier de voir trôner sur vos étagères.
L’autre originalité de cette collection est de proposer au cinéphile une « séance » de cinéma complète, avec les actualités Pathé de la semaine de la sortie du film, les publicités d’époque (qu’on appelait encore « réclames ») qui seront bien sûr suivies du film, restauré en Haute-Définition, 2K ou 4K selon les cas. Dans le cas de La veuve Couderc, il s’agit d’une restauration 4K réalisée par StudioCanal avec la participation du CNC.
La sixième vague de la collection « La séance » est disponible depuis le 4 décembre chez tous vos dealers de culture habituels. Les six nouveaux films intégrant la collection la portent aujourd’hui à un total de 37 titres. Les six films de cette « nouvelle vague » sont donc La chartreuse de Parme (Christian-Jaque, 1948), Le mouton à 5 pattes (Henri Verneuil, 1955), Le jardinier d’Argenteuil (Jean-Paul Le Chanois, 1966), Le soleil des voyous (Jean Delannoy, 1967), Le chat (Pierre Granier-Deferre, 1971) et La veuve Couderc (Pierre Granier-Deferre, 1971). Pour connaître et commander les joyaux issus de cette magnifique collection, on vous invite à vous rendre au plus vite sur le site de l’éditeur.
Le coffret Digibook prestige
[5/5]
Comme on pouvait s’y attendre, le Blu-ray de La veuve Couderc édité par Coin de mire Cinéma nous propose une expérience Home Cinéma on ne peut plus recommandable : l’image restaurée en 4K est assez superbe, même dans ses passages les plus sombres, et rend parfaitement hommage à la sublime photo de Walter Wottitz. La définition est précise, les couleurs légèrement désaturées sont respectées à la lettre, de même que la granulation argentique d’origine. Côté son, l’éditeur nous propose un mixage DTS-HD Master Audio 2.0 sans le moindre souffle ni la moindre anicroche technique. Des sous-titres à destination du public sourd ou malentendant sont également disponibles. Du très beau travail !
Dans la section suppléments, on sera littéralement ravi de pouvoir « reconstituer » chez soi une séance de cinéma de 1971. Le meilleur moyen de faire monter les larmes aux yeux des séniors nostalgiques des séances de ciné de leur enfance. On commencera donc avec les Actualités de la 41ème semaine de 1971 (9 minutes). On commencera avec un petit retour sur Pékin et la Chine depuis la fin de la deuxième Guerre Mondiale, avec notamment la révolution culturelle et l’élimination des gardes rouges. Le sujet suivant est dédié aux ravages de la grippe et à la nécessité de se faire vacciner, et le suivant sera clairement dépaysant puisqu’il nous donnera à voir des images de la ville de Persépolis (Iran), à l’occasion de la célébration du 2500ème anniversaire de la fondation de l’empire perse, une fastueuse fête organisée par le shah d’Iran en 1971 – de quoi découvrir une ville se situant « quelque-part entre tradition et modernité » comme il est coutume de le dire.
Après la bande-annonce du Chat, que nous aborderons très prochainement dans nos pages, place aux publicités, avec la traditionnelle sélection de réclames de l’année 1971 (7 minutes). On commencera avec les très sensuelles glaces Pilpa, pour enchainer avec les Choco Baffi de Bahlsen, le Scotch magique qui ne jaunit pas, les meubles Bertrand, une famille heureuse grâce à la Caisse d’épargne, les perruques Coiffelles (de chez L’Oréal), les Galeries Barbès, les avions Air Inter (avec le « gendarme » Christian Marin) ainsi qu’avec une publicité de prévention contre les excès d’alcool (« il n’est pas nécessaire de boire pour être un homme »). On terminera enfin avec Raymond Poulidor se rendant en vélo à la Samaritaine pour y acheter… un maillot jaune.
Mais ce n’est pas tout : contrairement à ses habitudes, Coin de mire Cinéma ne s’arrête pas là, et nous propose d’autres suppléments. Outre une sélection de bandes-annonces de films disponibles au sein de la collection « La séance », on trouvera surtout le passionnant entretien avec Pierre Granier-Deferre (44 minutes), réalisé en 2003 et hérité de l’édition DVD du film. Honnête, drôle et généreux, le cinéaste reviendra sur la préparation et le tournage de La veuve Couderc en nous livrant un sacré paquet d’anecdotes sur Simone Signoret (« la vieille ») ainsi que sur Alain Delon (« le petit con »). Rythmé et sans temps mort, cet entretien est un vrai plaisir à regarder.