Test Blu-ray : La trilogie optimiste de Dino Risi

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Si le néoréalisme a dominé le cinéma italien de 1945 jusqu’au milieu des années 50, avec des cinéastes tels que Roberto Rossellini ou Vittoria De Sica, la comédie et l’insouciance ont finalement repris leurs droits, notamment grâce à la figure emblématique de Toto, acteur incontournable et encore trop peu (re)connu en France. Néanmoins, pour nombre de cinéastes de l’époque, le fait de repasser à un peu plus de légèreté dans leurs thématiques ne signifiait pas pour autant rompre avec la portée sociale et politique des films réalisés la décennie précédente. Ainsi, les films mis en scène par Mario Monicelli, Luigi Comencini ou Dino Risi, gros succès de la comédie populaire italienne du milieu des années 50, conservaient en leur sein un véritable attachement à présenter des personnages et des décors réalistes, pour des œuvres qui développent encore, plus de soixante ans plus tard, un charme intact et proposent un véritable témoignage de « l’air du temps » de l’époque.

La « trilogie optimiste » de Dino Risi, composée de Pauvres mais beaux (1957), Belles mais pauvres (1957) et Pauvres millionnaires (1959), disponible depuis le début du mois en coffret Blu-ray / DVD sous les couleurs de M6 Vidéo, fait indéniablement partie de ces petits trésors d’apparence mineure à redécouvrir de toute urgence…

 

 

Pauvres mais beaux

Italie : 1957
Titre original : Poveri ma belli
Réalisation : Dino Risi
Scénario : Pasquale Festa Campanile, Massimo Franciosa, Dino Risi
Acteurs : Renato Salvatori, Maurizio Arena, Marisa Allasio
Éditeur : M6 Vidéo
Durée : 1h41
Genre : Comédie
Date de sortie cinéma : 15 avril 1959
Date de sortie DVD/BR : 3 octobre 2018

 

 

Deux séducteurs des faubourgs, Romolo et Salvatore, tombent sous le charme de leur voisine Giovanna, la fille du tailleur. Leur amitié est mise à rude épreuve car Giovanna laisse croire à chacun qu’il est l’élu de son cœur…

 

 

Belles mais pauvres

Italie : 1957
Titre original : Belle ma povere
Réalisation : Dino Risi
Scénario : Pasquale Festa Campanile, Massimo Franciosa, Dino Risi
Acteurs : Renato Salvatori, Maurizio Arena, Marisa Allasio
Éditeur : M6 Vidéo
Durée : 1h38
Genre : Comédie
Date de sortie cinéma : 29 juillet 1960
Date de sortie DVD/BR : 3 octobre 2018

 

 

Romolo et Salvatore sont fiancés à Anna-Maria et Marisa et comptent bien les épouser. Mais l’amour ne suffit pas pour se marier, ils doivent également pouvoir subvenir aux besoins de la famille, mais ni l’un ni l’autre ne travaille. Ils s’inscrivent alors à une école, mais seul Romolo réussit. Il ouvre alors un petit atelier et commence à avoir de l’argent, mais cela l’éloigne pour un temps d’Anna-Maria qu’il considère alors encore comme une « fillette ». Salvatore ne veut pas perdre Marisa, mais n’a aucune envie de travailler…

 

 

Pauvres millionnaires

Italie : 1959
Titre original : Poveri milionari
Réalisation : Dino Risi
Scénario : Pasquale Festa Campanile, Massimo Franciosa, Dino Risi
Acteurs : Renato Salvatori, Maurizio Arena, Lorella De Luca
Éditeur : M6 Vidéo
Durée : 1h32
Genre : Comédie
Date de sortie cinéma : 3 août 2016
Date de sortie DVD/BR : 3 octobre 2018

 

 

Nos deux couples projettent de faire ensemble leur voyage de noces à Florence. Le séjour romantique s’annonce plutôt mal quand les hommes ratent le train où leurs femmes ont pris place. Le fiasco ne s’arrête pas là puisque Salvatore, victime d’un accident, perd la mémoire. Il entame alors une relation avec la riche propriétaire d’un grand magasin qui lui en confie la direction…

 

 

Les films

[4/5]

Sous ses allures de marivaudage peuplé de jeunes et beaux jeunes gens usant et abusant de leurs attributs physiques afin d’enchainer les conquêtes et flirts somme toute encore assez romantiques (on s’embrasse beaucoup et on parle mariage, mais on ne passe pas réellement à l’acte), Pauvres mais beaux permettait donc à Dino Risi de « croquer » avec finesse et une belle acuité la jeunesse des quartiers populaires de Rome dans les années 50. Ainsi, le film se révèle le portrait, drôle et plein de fougue, d’une jeunesse obligée de faire preuve de « système D » pour s’en sortir financièrement (le personnage de Renato Salvatori étant contraint de partager sa chambre avec un conducteur de bus, l’un l’occupant le jour et l’autre la nuit). Mais devant la caméra de Risi, cette propension à agir avec les moyens du bord par la débrouillardise s’étend également au domaine sentimental, les deux fanfarons nous étant présentés dans le film étant de grands immatures incapables de grandir. Très ancré dans son époque, Pauvres mais beaux développe aujourd’hui un côté un poil désuet, mais ce dernier contribue indéniablement au charme de l’entreprise. L’autre atout « charme » du film, ce sont bien sûr ces trois jeunes premiers romantiques, qui composent le triangle amoureux du film : Renato Salvatori, Maurizio Arena et Marisa Allasio. Pétillants et pleins d’entrain, ils bouffent littéralement l’écran et révèlent une alchimie rare, peut-être grâce aux dialogues et aux situations imaginées par le tandem Pasquale Festa Campanile / Massimo Franciosa. Le scénario imaginé par les duettistes fait en effet preuve d’une rafraichissante liberté de ton, notamment dans le personnage de Giovanna, à la fois ouvertement moderne et émancipée et intérieurement très fleur bleue et mélancolique.

Élément thématique indissociable de la carrière à venir de Dino Risi, cette mélancolie fait donc déjà partie intégrante du ton et de l’humour de Pauvres mais beaux, avec un petit supplément de tendresse qui se verrait, parfois, amoindri lors de ses collaborations les plus mémorables avec Vittorio Gassman. En deux mots, il convient de ne pas se laisser abuser par l’aspect « anecdotique » de l’œuvre : Pauvres mais beaux est en effet une très belle réussite, aussi légère qu’ensoleillée, confrontant avec malice les affres de l’intime et le comique le plus grotesque, se jouant des clichés romantiques autant que des velléités de « profondeur » psychologique en refusant à tout prix de donner à son intrigue une quelconque gravité. Tout le film se déroule ainsi sur un rythme aussi joyeux que primesautier, très « italien » en quelque sorte, à l’image de ces incessantes et jubilatoires chamailleries verbales entre jeunes gens qui émaillent le récit, et que le sous-titrage peine souvent à retranscrire avec autant de verve et d’énergie qu’il le faudrait.

 

 

L’immense succès de Pauvres mais beaux au box-office italien amènera la fine équipe du premier film à se réunir rapidement afin de mettre en boite une suite, qui sortira dans les salles italiennes quelques mois à peine après le premier épisode : il s’agira de Belles mais pauvres. La résolution romantique du premier film amène naturellement les auteurs à repenser la « forme » du récit, qui ne sera plus cette fois construit comme un triangle amoureux, étant donné que les deux héros, Romolo (Maurizio Arena) et Salvatore (Renato Salvatori), ont jeté leur dévolu sur deux jeunes femmes à qui ils sont désormais fiancés : Anna-Maria, la sœur de Salvatore pour Romolo, et Marisa, la sœur de Romolo, pour Salvatore. Le film suivra donc les affres de la recherche de boulot dans les années 50 pour nos deux grands immatures, et donnera un rôle plus important à Lorella De Luca (Marisa) et Alessandra Panaro (Anna-Maria), présentées durant tout le métrage comme des « gamines » par les deux héros, mais qui s’avèrent beaucoup plus matures (et par conséquent plus « castratrices ») que leurs compagnons pourtant plus âgés qu’eux.

De fait, Belles mais pauvres suivra un déroulement sans doute plus balisé et prévisible que le film précédent, les saynètes s’enchainant finalement comme autant de petits « sketches » indépendants. Les séquences à la piscine en tout début de film, qui nous narrent les subterfuges employés par Romolo, Salvatore et leur clique pour retirer les maillots des baigneuses, donnent naturellement le ton assez rapidement – le film sera une pochade, qu’on aurait tort à nouveau de vouloir prendre au sérieux. La suite du métrage est donc à l’avenant : on suivra les facéties de Salvatore à l’école, la semi-réussite de Romolo, les ennuis de Salvatore, le tout étant rythmé par un humour verbal toujours très présent, leur tendance à tous les deux à draguer tout ce qui bouge et une intrigue en parallèle suivant les démêlés sentimentaux de Giovanna (Marisa Allasio de retour) avec son « vieux beau » de compagnon. D’un point de vue purement narratif, Dino Risi et ses deux scénaristes Pasquale Festa Campanile et Massimo Franciosa capitalisent sans doute un poil trop sur le fait que les personnages aient été habilement mis en place par le film précédent : seule leur immaturité est réellement exploitée ici, malheureusement – si la peinture sociale est certes présente en filigrane, ce deuxième film sacrifie un peu trop à la comédie pure, pas toujours des plus réussies d’ailleurs (le rythme du film se traine un peu durant sa deuxième partie). On trouvera cependant dans cette tranche de vie de la jeunesse romaine des années 50 un intéressant constat sur la place de « l’homme » dans la société italienne de l’époque, et le bilan n’est guère reluisant, le « mâle » italien s’avérant volontiers menteur, fainéant et infidèle.

Néanmoins, si Belles mais pauvres s’avère indéniablement moins réussi que son modèle, il n’en demeure pas moins un film sympathique, attachant notamment grâce à la brochette d’acteurs ayant rempilé du premier film, et grâce à la bonne humeur inoffensive de l’ensemble.

 

 

Avec Pauvres millionnaires en 1959, Dino Risi reviendra une troisième fois à ces personnages aussi loufoques qu’attachants, incarnés à l’écran par Renato Salvatori, Maurizio Arena, Lorella De Luca et Alessandra Panaro. Etrangement, le film est le seul de la trilogie à être resté inédit sur les écrans français jusqu’en 2016 ; il respecte pourtant tout à fait la tonalité des premiers films, et poursuit une logique narrative déjà amorcée sur le film précédent, qui tend à faire glisser le récit de la comédie de mœurs vers la comédie plus traditionnelle, en donnant également plus d’importance au personnage de Salvatore, interprété par Renato Salvatori.

Ainsi, la touche « sociale » et le réalisme acharné dans la représentation de l’environnement dans lequel les personnages évoluent laissent donc la place à une comédie de situation menée à cent à l’heure, au cœur de laquelle les personnages courent, crient et s’agitent beaucoup. L’argument central de l’intrigue est d’ailleurs lui-même ouvertement éloigné de toute notion de réalisme : Salvatore perd la mémoire et devient donc un tout nouveau chef d’entreprise, qui plus est courtisé par Sylva Koscina (La maison de l’exorcisme, L’assaut des jeunes loups, Plus féroces que les mâles…).

Sans pour autant complètement renier le contexte social, Pauvres millionnaires s’impose donc comme une réponse italienne à Billy Wilder, George Cukor et aux grosses comédies américaines de l’époque en général. Et pour que nul ne puisse se méprendre sur ses intentions, Dino Risi démarre son récit sur les chapeaux de roues, avec une première partie qui enchaine les quiproquos et les allées et venues comiques, sur un tempo littéralement fou. C’est bien sûr ici l’occasion pour Renato Salvatori de faire preuve de son impayable tempérament comique, que l’on avait cela dit déjà largement découvert lors de certaines séquences de Belles mais pauvres qui jouaient déjà ouvertement de la comédie de situation. Malgré ce virage assumé vers le burlesque à l’américaine, l’homogénéité de l’écriture est largement préservée par le tandem Massimo Franciosa / Pasquale Festa Campanile, deux scénaristes qui connaissent et aiment ces personnages qu’ils font évoluer depuis quelques années et quelques films.

Et on avouera également que malgré ces influences stylistiques qui font évoluer Pauvres millionnaires sur le tempo de la pure comédie, Dino Risi et ses auteurs parviennent tout de même toujours à capter « l’air du temps » de façon assez fine, collant aux évolutions de la société italienne de la deuxième moitié des années 50, évoquant autant la nouvelle donne économique (les grandes entreprises implantées dans le pays) que l’évolution des mœurs (le mariage, la vie de couple, l’obsession américaine), mais en faisant le choix habile ne pas s’y appesantir, de ne pas en faire des thèmes centraux du film. En résulte donc au final un film assez différent des deux précédents, et qui cultive suffisamment sa ressemblance avec les comédies américaines classiques pour finalement se révéler, d’une façon assez étonnante, plutôt supérieur au film précédent.

La fin de Pauvres millionnaires, très ouverte, pouvait laisser penser qu’un autre film suivrait : il n’en fut finalement rien. On notera cependant que l’on pourrait tout de même ajouter un film à cette trilogie « optimiste » : il s’agit du tout dernier film de Dino Risi, sorti en 1996 et intitulé Giovani e belli. Mettant en scène Anna Falchi, ce film coécrit avec Bernardino Zapponi est en effet une « réimagination » du premier film, dans l’Italie des années 90. Un film inédit en France que l’on serait curieux de découvrir…

 

 

Le coffret Blu-ray

[5/5]

C’est donc M6 Vidéo qui nous propose donc de redécouvrir cette « Trilogie optimiste » de Dino Risi dans un coffret Blu-ray, proposant les trois films au format respecté et encodés en 1080p. Côté image, les Blu-ray sont de très bonne facture : même si des taches et autres points blancs demeurent, même si les scènes nocturnes affichent occasionnellement de légers fourmillements, le grain argentique a globalement été scrupuleusement préservé, la définition est accrue et le noir et blanc s’avère assez sublime, surtout sur le premier film. Les films semblent avoir bénéficié d’une restauration récente et bénéficient d’un joli upgrade Haute-Définition. Certes, comme on l’a évoqué un peu plus haut, les masters ne sont pas parfaits, mais la restauration est bien réelle, nous proposant un joli piqué tout en conservant la granulation d’origine. En deux mots comme en cent, le boulot a été fait -et bien fait- pour que nous puissions découvrir les trois films de Risi dans les meilleures conditions possibles. Du côté des enceintes, seule la VO italienne nous est proposée sur les trois films, en DTS-HD Master Audio 2.0, en mono d’origine évidemment. Les mixages sont tout à fait satisfaisants, clairs et équilibrés, de même que le sous-titrage français.

 

 

Dans la section suppléments, outre un livret de 24 pages écrit par Lorenzo Codelli, directeur de la Cinémathèque du Frioul, le premier des trois films bénéficie d’une présentation de Jean Gili, rigoureuse et pragmatique : on sent que l’homme est passionné par cette époque du cinéma italien et sa remise de l’œuvre dans son contexte historique est tout à fait intéressante, de même que ses quelques propos sur les acteurs et actrices du film. Last but not least, l’éditeur a eu la bonne idée de joindre aux trois films un DVD supplémentaire, contenant le documentaire Pauvres mais beaux, les débuts de la comédie à l’italienne (Lorenzo Codelli, 2018). Ce documentaire est composé d’entretiens croisés avec Marco Risi, fils de Dino Risi, Enrico Vanzina, fils de Steno, et Masolino d’Amico, fils de Suso Cecchi D’Amico, grande figure du néoréalisme et du cinéma italien en général. Grâce aux propos des trois intervenants, la place prépondérante de Pauvres mais beaux dans l’évolution de la comédie italienne des années 50 se dessine avec une belle précision : l’idée forte de ce passionnant documentaire est en effet non seulement de replacer les films dans leur contexte de tournage, mais également de souligner leur importance historique en revenant sur les thématiques abordées par Dino Risi, le style du cinéaste et bien sûr le casting, indissociable du succès public de la trilogie. Inutile de souligner que ce supplément de choix rend d’autant plus indispensable l’acquisition séance tenante de ce coffret…

 

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