Test Blu-ray : La saignée

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La saignée

France, Italie : 1971
Titre original : –
Réalisation : Claude Mulot
Scénario : Claude Mulot, Edgar Oppenheimer, Albert Kantof
Acteurs : Bruno Pradal, Charles Southwood, Gabriele Tinti
Éditeur : Le chat qui fume
Durée : 1h25
Genre : Policier, Thriller
Date de sortie cinéma : 10 novembre 1971
Date de sortie DVD/BR : 10 juin 2019

 

Témoin d’un meurtre perpétré par un parrain de la pègre, Thomas Chanard est contraint de quitter New York pour retourner à Cayeux-sur-Mer, sa ville natale. Il est suivi à son insu par deux hommes : un policier chargé de le reconduire aux États-Unis afin de témoigner, et un tueur à gages engagé par la mafia pour l’abattre. Le retour du « fils prodigue » ravive également des conflits au sein de la bourgeoisie locale. Pour Thomas, les ennuis sont loin d’être terminés…

 


 

Le film

[4,5/5]

La redécouverte de La saignée, presque 50 ans après sa sortie, tient du miracle. Film quasi-inconnu, invisible si ce n’est pas le biais d’une antique VHS éditée par Proserpine dans les années 80, le film de Claude Mulot s’impose comme « LA » pépite inattendue de cette année 2019. Si bien sûr la ressortie de La rose écorchée chez Le chat qui fume était déjà un événement extraordinaire, il faut reconnaître que le film traînait tout de même derrière lui quelques centaines de fans inconditionnels, qui réclamaient à corps et à cris qu’un éditeur français fasse enfin le choix de l’éditer. La saignée était quant à lui nettement plus discret, et le fait de le redécouvrir aujourd’hui dans de telles conditions d’excellence était tout simplement inespéré. D’avoir repéré le film et d’avoir su croire en son potentiel commercial (on croise les doigts sur ce point-là du moins) dénote de la part du Chat et de ses équipes une sacrée paire de balloches, doublée d’une foi absolue dans la confiance que peuvent avoir en eux les nombreux consommateurs français qui les suivent. Et si l’on ajoute qu’en plus d’être une totale découverte pour la plupart d’entre nous, le film est une tuerie absolue, vous y croyez ? Honte sur la cinéphilie française d’avoir pu oublier et mettre de côté ce petit trésor de polar, à la croisée des chemins entre les plus fiers représentants français, italiens et américains du genre…

Ce qui surprendra surtout à la découverte de La saignée, c’est l’habileté avec laquelle le film passe d’une tonalité à une autre. Le film débute en effet comme un véritable thriller, tendu et oppressant, nous proposant une vision de New York bien éloignée des guides touristiques : on y découvre une ville peuplée de taudis, de sans-abris, de drogués et de personnages interlopes. La grosse pomme est par ailleurs filmée « à l’arrachée », avec des plans courts, atmosphériques, quasi-documentaires – les bonus disponibles sur cette édition Combo Blu-ray + DVD nous apprendront que les plans réellement tournés à New York l’ont également été sans autorisation (on s’en doutait étant donné le nombre de « regards caméra » que l’on peut y voir), les multiples plans sur les forces de police en pleine effervescence résultant d’un braquage s’étant produit au moment où l’équipe technique arpentait les rues de la ville. Une coïncidence heureuse pour le film, puisque non seulement les plans tournés à ce moment précis servent l’intrigue, mais ils lui donnent également un indéniable cachet d’authenticité.

 

 

Dans un deuxième temps, le film de Claude Mulot suit la fuite du héros du film, Thomas (Bruno Pradal), témoin d’un crime mafieux, et son retour en France après plusieurs années passées aux États-Unis. L’intrigue prendra alors un tournant inattendu, détaillant les difficiles conditions de son retour. On y apprend que Thomas a fui en découvrant la grossesse de sa compagne de l’époque, Catherina (Ewa Swann). Cette dernière a refait sa vie à travers un mariage sans amour avec un des industriels les plus influents de la région, qui voit d’un très mauvais œil la réapparition de l’ancien amant de sa femme, d’autant qu’elle semble toujours se consumer d’amour pour lui… La saignée prendra des lors des allures de drame intimiste, cruel et émouvant, tout simplement parce que Mulot y déploie tout un attirail de scènes appuyant sur le lyrisme et le romantisme éperdu de la situation, dans un esprit très « Nouvelle Vague ». On pourra bien sûr arguer que ces images de l’amour fou illustrées par des images de chevaux galopant sur la plage et autres roulades éperdues de couples faisant l’amour au soleil couchant ont fait leur temps, mais le fait est qu’elles sont ici utilisées de façon assez subtiles et demeurent parfaitement efficaces – on est loin par exemple de la lourdeur et de l’insistance absolue d’un Frank Perry sur The swimmer (1968), qui tendront aujourd’hui d’avantage à faire rire aux éclats qu’à émouvoir ou à faire réfléchir.

Enfin, dans un troisième temps, retour au cynisme et à la violence, puisque non seulement les tensions entre Thomas et les notables de la région arrivent à leur paroxysme, mais il se trouve bien sûr que notre héros a également été suivi par un flic aux méthodes expéditives et par un tueur de la mafia, qui cherchent tous deux à mettre la main sur lui, pour des raisons différentes. C’est l’occasion pour Claude Mulot de mettre en scène une rivalité teintée de respect entre deux personnages dangereux aux motivations troubles, incarnés par Charles Southwood (le flic) et Gabriele Tinti (le tueur). La relation qui se construit entre les deux personnages s’avère un des éléments les plus intéressants du film, car elle met en parallèle, à la façon d’un western, les similitudes qui les réunissent, même s’ils ne se situent pas du même côté de la loi. En filigrane, La saignée développe également une méfiance sourde vis-à-vis des politiques ainsi que des magouilles des « puissants » de ce monde – la fin du film est sans équivoque sur ce point, d’autant que la mise en scène de Claude Mulot est vraiment remarquable, le plan final réunissant les trois personnages dans le même cadre est à la fois lourd de sens et absolument inoubliable. On sent bien sûr ici l’influence de grands polars « politiques » italiens de l’époque, très critiques vis-à-vis des institutions et du pouvoir en place : on pense à des films tels que Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon (Elio Petri, 1970) ou encore Confession d’un commissaire de police au procureur de la république (Damiano Damiani, 1971).

A la croisée des chemins entre le drame intimiste et le polar, La saignée est donc un film placé sous le signe du mélange des genres, et pratiquant d’étonnants et brusques virages narratifs, qui lui confèrent d’ailleurs une réelle identité, qui est également une de ses grandes forces. C’est d’autant plus étonnant que l’homogénéité et la classe formelle de l’ensemble est assurée par la maestria technique déployée par Claude Mulot, qui avec l’aide de son fidèle chef opérateur Roger Fellous nous livre quelques compositions de plans et autres séquences réellement mémorables. De la belle ouvrage donc – un film à découvrir de toute urgence !

 

 

Le Combo Blu-ray + DVD

[5/5]

La saignée vient donc de débarquer chez Le chat qui fume, et fait l’objet d’une superbe édition, sortie en même temps que La rose écorchée du même réalisateur. Comme d’hab avec le Chat, cette édition Combo Blu-ray + DVD joue à nouveau la carte du « bel objet » de collection, qui s’imposera comme d’autant plus indispensable que le film est vraiment extraordinaire et mérite amplement d’être (re)découvert. Les trois disques (un Blu-ray, deux DVD) sont donc présentés dans une édition au standing grand luxe (un digipack trois volets aux couleurs du film surmonté d’un étui cartonné), dont la maquette a été comme à l’accoutumée composée par Frédéric Domont qui reprend le visuel de l’affiche du film qui s’avérait, il est vrai, de toute beauté. Bref, s’il devient un peu redondant de le répéter à chaque nouvelle livraison de l’éditeur, il s’agit d’une édition tout simplement parfaite, dans la plus pure continuité du travail éditorial effectué par le Chat qui fume depuis quelques années. Cela dit, on préfère le répéter à chaque fois quand même, histoire de mettre un peu le nez dans leur merde aux autres éditeurs.

 

 

Techniquement, côté Blu-ray, il n’y a rien à redire : le master encodé en 1080p et format 1.66 :1 respecté est quasiment irréprochable : le piqué est étonnamment précis, et on ne retrouve plus la moindre trace de poussière ou autre griffe disgracieuse. Les couleurs et les contrastes affichent par ailleurs une nouvelle jeunesse, tout en respectant scrupuleusement le grain argentique d’origine. Certains plans sont plus doux que d’autres, on dénote toujours par ci par là un peu de bruit vidéo, mais l’ensemble est très bien tenu : c’est du très beau travail. Côté son, la VF – si l’on peut dire, puisqu’elle comporte également des passages en anglais – est proposée en DTS-HD Master Audio 2.0 mono d’origine : le confort d’écoute est absolu, dialogues et musique sont clairs et répartis de façon équilibrée, sans aucun souffle ou bruits parasites. Des sous-titres anglais sont disponibles – un bon réflexe de la part de l’éditeur, surtout si l’on considère que le film est disponible pour la toute première fois au monde sur support Blu-ray.

Et c’est à nouveau du côté des suppléments que Le chat qui fume étonnera son monde, avec – tenez vous bien – plus de deux heures d’entretiens et de bonus liés au film, auxquels on rajoutera la piste musicale isolée et un transfert de la VHS qui font monter la totalité à plus de cinq heures si vous comptez deux visionnages supplémentaires du film ! Hé ouais, cinq heures. Et contrairement à d’autres éditeurs qui ne se gêneraient pas pour le faire, le Chat reste modeste, et n’y va pas de son gros placard au dos du Combo « WESH GROS T’AS VU Y’A CINQ HEURES DE BONUS », alors que la Fox, elle aurait pas hésité une seconde.

 

 

On commencera donc avec un petit sujet « vintage » en noir et blanc : un reportage de « Picardie Actualités » (6 minutes) nous proposant quelques images du tournage et entretiens avec Claude Mulot et Bruno Pradal. Mulot y reviendra sur l’échec de La rose écorchée en France et, alors que le journaliste picard évoque sa ressemblance physique avec Roman Polanski, Mulot déclarera avec un certain humour « oui, enfin, jusqu’à présent, il a mieux réussi que moi… ». On retrouvera à nouveau Claude Mulot et Bruno Pradal dans un deuxième reportage d’époque, cette fois en provenance de « Côte d’Azur Actualités » (3 minutes), tourné devant un cinéma projetant le film. Les deux compères y reviendront notamment sur le fait de tourner « entre jeunes ».

On continuera ensuite avec une série d’entretiens : on avait déjà eu le plaisir d’écouter certains intervenants sur l’édition Combo Blu-ray 4K Ultra HD + Blu-ray + DVD de La rose écorchée, preuve s’il en est que Claude Mulot aimait à s’entourer des mêmes collaborateurs afin de se créer une petite « famille » de cinéma. On commencera tout d’abord avec un entretien avec Edgar Oppenheimer, producteur et scénariste (14 minutes), qui approfondira quelques-uns des aspects de la carrière de Claude Mulot qu’il avait déjà évoqué en parlant du film précédent ; il parlera par exemple de la « chance » typique de Mulot, avec l’anecdote du hold-up New-Yorkais, puis passera en revue le casting de La saignée, de Bruno Pradal à Gabriele Tinti et passant par Charles Southwood. Au niveau de la réception critique, il citera la critique dithyrambique d’Henry Chapier, qui considérait le film comme « un des plus grands policiers de l’Histoire du cinéma français ».

 

 

On continuera ensuite avec un entretien avec Jacques Assuérus, caméraman (35 minutes), qui reviendra sur son « idylle » avec Claude Mulot, ainsi que sur leur passion commune pour les femmes. Il reviendra ensuite sur le tournage de La rose écorchée, film tourné « en famille », puis sur celui de La saignée. Les anecdotes se suivent et ne se ressemblent pas, puisque le dernier tiers de l’entretien sera consacré à l’amitié qui liait Claude Mulot et Johnny Hallyday, qui « se passaient des films à longueur de journée ». Il lui réalisera d’ailleurs un court-métrage, intitulé Le survivant (1982), sous-Mad Max destiné à être projeté pendant ses concerts, qui fut tourné « chez Macron », c’est à dire sur la plage du Touquet. On aura ensuite droit à un entretien avec Hubert et Georges Baumann, respectivement régisseur et assistant-son sur La saignée (21 minutes). Si au départ les deux frères ne semblent jamais être d’accord sur rien, ils finissent souvent par tomber sur quelques souvenirs en commun, notamment sur l’équipe technique, similaire à celle de La rose écorchée. Ils reviennent également sur le casting, se souviennent de Catherine Barma, future célèbre productrice TV, qui était alors scripte sur le film. Les anecdotes se succèdent et s’avèrent le plus souvent tout à fait passionnantes ; on notera que l’entretien a du être enregistré aux alentours d’une école, et qu’on entend en bruit de fonds des cris d’enfants en train de jouer, ce qui ajoute une espèce de poésie à l’ensemble. Pour terminer avec les souvenirs de l’équipe technique, l’éditeur nous propose un entretien avec Didier-Philippe Gérard, assistant-réalisateur (36 minutes). Sans doute plus connu d’une certaine catégorie d’esthètes sous le pseudonyme de Michel Barny (réalisateur de plusieurs dizaines de films X entre 1975 et 2001), Didier-Philippe Gérard était également le beau-frère de Claude Mulot, puisque ce dernier était le mari de Martine Messager, sa sœur aînée. Il reviendra ici sur son parcours de cinéaste et sur les conditions de leur rencontre, avant de narrer dans le détail la préparation et le tournage de La saignée : écriture, casting, tournage… Tous les aspects de la production sont passés au crible de la mémoire de Gérard, qui s’avère absolument passionnant.

Mais ce n’est pas tout, puisque l’éditeur nous propose également un entretien avec Gérard Croce (14 minutes), un des seconds-rôles du film, par ailleurs habitué des films des Charlots et de Max Pécas. L’acteur reviendra sur son parcours, son intégration à la « bande » de Claude Mulot et ses souvenirs du film, qui pour lui est un long-métrage « Chabrolien traité comme un western ».

 

 

L’éditeur nous propose ensuite un édifiant sujet sur la restauration du film (7 minutes), présenté sur le mode toujours payant du « avant / après », séparé en trois étapes distinctes : le scan 2K, le cadrage 1.66 puis l’étalonnage et la restauration. Le rendu et l’évolution sont impressionnants, et le seront d’autant plus si l’on compare le rendu visuel du Blu-ray avec celui de La saignée en mode VHS, qui propose à des fins d’archivage l’ignoble transfert vidéo des années 80.

Enfin, nous aurons également droit à la captation de la présentation de La saignée lors de l’édition 2018 de l’Étrange Festival (12 minutes). Synthétique, complète et parfois même assez amusante, cette introduction à l’œuvre de Claude Mulot est assurée par Didier-Philippe Gérard et Stéphane Bouyer, une des deux têtes pensantes du Chat qui fume. Parfait si vous souhaitez la visionner en préambule au film !

Pour en finir avec les cinq heures (WESH GROS) de suppléments disponibles sur la galette, on terminera avec les traditionnelles bandes-annonces du film, qui seront également accompagnées de quelques bandes-annonces de films très attendus à venir chez le Chat, tels que Maniac, Vigilante, Le retour des morts-vivants 3 ou encore Next of kin.

Parallèlement à cette édition Combo Blu-ray + DVD de La saignée, on notera la parution du livre « Claude Mulot : cinéaste écorché », écrit par Philippe Chouvel aux éditions du Chat qui fume, collection Nitrate. A se procurer au plus vite sur le site du Chat qui fume !

 

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