La rumeur
États-Unis : 1961
Titre original : The children’s hour
Réalisation : William Wyler
Scénario : Lillian Hellman, John Michael Hayes
Acteurs : Audrey Hepburn, Shirley MacLaine, James Garner
Éditeur : Wild Side Vidéo
Durée : 1h48
Genre : Drame
Date de sortie cinéma : 25 avril 1962
Date de sortie DVD/BR : 24 juin 2020
Amies depuis les bancs de la faculté, Karen et Martha ont réalisé leur rêve en ouvrant un pensionnat de jeunes filles. Avec l’aide de la tante de Martha, Lily, elles dirigent un établissement qui jouit d’une bonne réputation. Fiancée au charmant docteur Cardin, Karen culpabilise à l’idée de quitter l’école et diffère la date de son mariage. Malgré tout, la vie s’écoule paisiblement et l’avenir semble radieux. Mais cette promesse de bonheur va être anéantie par le machiavélisme de Mary, une écolière tourmentée. Ses mensonges seront le début d’un engrenage funeste…
Le film
[4/5]
La chaîne à péage britannique Sky a provoqué la stupéfaction dans le monde cinéphile il y a quelques jours en ajoutant un avertissement destiné aux spectateurs en préambule de certains films. « Ce film comporte des attitudes, des discours et des représentations culturelles dépassées qui pourraient offenser aujourd’hui. » Voici donc ce que vous pourrez lire si vous décidez de visionner des films tels que Le livre de la jungle, Dumbo, Autant en emporte le vent, Diamants sur canapé, Flash Gordon, Aliens le retour ou encore Le dernier samouraï…
Il est triste de constater que le public international soit devenu assez con pour qu’une chaîne soit aujourd’hui obligée de prendre ce genre de précautions afin de ne pas se voir lapidée en place publique sur les réseaux sociaux. Comme si l’époque ou le contexte n’avaient plus aucune importance dans l’appréciation que l’on peut avoir du cinéma… A vrai dire, on n’ose même pas imaginer comment les ayatollahs de la bien-pensance pourraient recevoir un film tel que La rumeur. Sorti sur les écrans en 1961, le film de William Wyler nécessite en effet, pour être considéré à sa juste valeur, d’être apprécié à l’aune de son contexte d’époque. Cela nous parait une évidence.
Ainsi, si vous tapez La rumeur sur votre moteur de recherche Internet, vous apprendrez immédiatement que le film de William Wyler appartient à la catégorie des « drames LGBT ». Pour autant, et aussi bien intentionné soit-il, le long-métrage pourrait aisément être considéré comme « comportant des attitudes, des discours et des représentations culturelles dépassées. » Du genre justement de celles qui pourraient aujourd’hui offenser les plus hardcore des représentants des droits LGBT. Parce qu’évidemment, soixante ans après sa réalisation, on pourra certainement trouver que le scénario développe un attachement à présenter les choses par le prisme d’une vision passéiste. Et pour cause : c’est celle des années 60. Passéiste, étriquée, voire même carrément rétrograde en ce qui concerne l’éducation ou les mœurs. Mais pourrait-il seulement en être autrement ?
Il nous semble que non. Et cela n’enlève absolument rien ni au charme ni à l’humanisme profond qui se dégagent de La rumeur. En ce début des années 60, c’est d’ailleurs la deuxième fois que William Wyler adapte la pièce de Lillian Hellman « Les innocentes », après une première tentative en 1936. A l’époque cependant, l’intrigue avait du être largement remaniée afin de ne pas tomber sous le couperet de la censure du code Hays. 25 ans plus tard, les mœurs ont changé (déjà) et deux actrices au somment de leur popularité, Audrey Hepburn et Shirley McLaine, viendront incarner les deux institutrices accusées de relations « contre-nature ». Cependant, si l’homosexualité est évoquée à demi-mots, toute l’intrigue ou presque réside tout de même sur le non-dit, l’ellipse, le silence et/ou les chuchotements. Le sous-entendu est de mise, et si la fameuse « rumeur » enfle au fur et à mesure du film, le spectateur quant à lui sera toujours largement tenu à l’écart des explications de tel ou tel personnage. La tension dramatique est pourtant bel et bien présente, étouffante même, se ressentant jusque dans le jeu intense et extrêmement crispé de ses deux interprètes principales. Pour autant, La rumeur prend le parti – singulier – de ne jamais réellement appeler un chat un chat.
Mais ce refus de clairement mettre des mots sur ce dont on parle n’empêche pas le face à face entre Audrey Hepburn et Shirley McLaine de fonctionner à plein régime, le calme et la détresse intériorisée d’Hepburn se confrontant à un sentiment d’urgence brûlante, dévorante de McLaine, qui semble enfin prête à révéler ses sentiments. Des sentiments d’amour pur pourtant, que la société et le respect des bonnes mœurs forceront à demeurer cachés, enterrés. Mais contrairement à ce que pensent les demeurés qui dominent la bien-pensance des réseaux sociaux de nos jours, c’est justement aussi à travers ses maladresses et les limites de son discours que le film de Wyler s’avère le plus intéressant, tout simplement parce que ces dernières permettent également de prendre le pouls social d’une époque donnée, et donc en quelque sorte de mesurer le chemin parcouru.
Au-delà de la simple émotion née du mélodrame, La rumeur sera donc essentiellement remarquable d’un point de vue sociologique, dans ce qu’il révèle de la société américaine de l’époque. En apprenant que les deux institutrices entretiennent peut-être une complicité poussée, les parents prennent donc unanimement la décision de retirer leurs enfants de l’école sans explication ; les deux héroïnes se retrouveront ainsi rapidement isolées, et traitées comme des véritables parias. Le sentiment de honte et d’incompréhension domine jusque dans la scène de l’aveu de Shirley MacLaine, poignante mais dominée par une paradoxale idée de détresse et de culpabilité quant à ses propres sentiments. Oppressée jusque dans sa chair par le puritanisme ambiant, elle semble finalement presque faire un mea culpa et accepter la punition qu’on lui fait subir. Ainsi, on pourra penser que jusque dans sa morale finale, le film de William Wyler tend toujours vaguement à considérer l’homosexualité comme une déviance, une malédiction dont Shirley MacLaine aimerait surtout pouvoir se débarrasser.
Soixante ans après sa sortie dans les salles, La rumeur dénonce toujours les contradictions de la société puritaine américaine, sans pour autant réussir lui-même à s’en libérer totalement. Néanmoins, la force des deux actrices principales ainsi que la mise en scène de Wyler – aussi brillante qu’énergique – lui permettent sans peine de dépasser le statut de simple « témoin » de son époque et de demeurer, encore aujourd’hui, un excellent drame psychologique, pouvant également être vu comme une relecture de la chasse aux sorcières du Maccarthysme.
Le Combo Blu-ray + DVD + Livret
[5/5]
Invisible en France depuis son exploitation sur support DVD il y a un peu plus de quinze ans, La rumeur arrive donc aujourd’hui sous les couleurs de Wild Side Vidéo dans un superbe coffret « Mediabook » Combo Blu-ray + DVD contenant également un livret de 68 pages écrit par Frédéric Albert Lévy et illustré de photos d’archives. Un superbe objet en somme, qui devrait remettre les pendules à l’heure concernant le film, et permettre aux curieux de le découvrir et de se faire leur propre idée.
Côté master, la restauration a fait des merveilles et le film de William Wyler affiche une belle pêche, avec un grain cinéma conservé, une définition et un piqué accrus, fluctuant cela dit légèrement d’une séquence à une autre. Les contrastes sont bien tenus, les plans nocturnes ou en basse lumière ne posent pas de problème particulier, bref il y a de quoi se montrer satisfait, d’autant que l’éditeur nous propose de découvrir la version « intégrale » du film, plus longue que lors de sa sortie en salles dans les années 60. Côté son, la version française d’origine côtoie la version originale, et toutes deux sont proposées en DTS-HD Master Audio 2.0. Les deux mixages proposent des dialogues clairs et sans souffle parasite ; on préférera néanmoins la version originale, plus ample et efficace, même si de notre côté, on trouve un certain charme désuet à la VF.
Du côté des suppléments, évoquons tout d’abord le livret de 68 pages écrit par FAL et intitulé « Fake news ». Évoquant en partie Internet et les réseaux sociaux pour asseoir sa réflexion sur le film, l’ancien rédacteur de Starfix nous proposera une mine d’informations en dehors des sentiers battus. En plus de nombreuses photos et d’une sélection de citations très amusantes de William Wyler, les dernières pages du livret seront consacrées à un entretien récent inédit avec Catherine Wyler, la fille du cinéaste, qui reviendra sur divers aspects de sa personnalité.
Sur le Blu-ray à proprement parler, l’éditeur Wild Side Vidéo nous propose, en plus de la traditionnelle bande-annonce, deux sujets produits et réalisés par Fiction Factory, la boite de Robert Fischer spécialisée dans les suppléments Blu-ray / DVD. Le premier est un très intéressant entretien avec Sean Hepburn Ferrer, fils d’Audrey Hepburn (15 minutes), qui reviendra de façon chaleureuse et originale sur sa découverte des films de sa mère et sur l’importance de La rumeur en particulier. On terminera enfin avec un entretien avec Veronica Cartwright (24 minutes). Surtout connue pour son rôle dans Alien – Le huitième passager, qui lui assurera probablement des revenus jusque la fin de sa vie, l’actrice incarnait également Rosalie, une des petites écolières de La rumeur. L’actrice âgée de 71 ans reviendra donc longuement sur sa carrière et sur ses souvenirs du tournage du film de Wyler. Très intéressant !