La Môme vert de gris
France : 1953
Titre original : –
Réalisation : Bernard Borderie
Scénario : Bernard Borderie, Jacques Berland
Acteurs : Eddie Constantine, Dominique Wilms, Howard Vernon
Éditeur : Pathé
Durée : 1h43
Genre : Aventures
Date de sortie cinéma : 27 mai 1953
Date de sortie DVD/BR : 11 avril 2018
Mickey, agent secret du F.B.I., a été assassiné à Casablanca. Dépêché par l’Agence, le redoutable Lemmy Caution mène l’enquête. Il fait bientôt la connaissance de la sœur de Mickey, la chanteuse de cabaret Carlotta de La Rue. Surnommée la « Môme Vert-de-Gris », la belle est la petite amie de Rudy Saltierra, que Caution soupçonne d’être le commanditaire de l’assassinat de Mickey…
Le film
[4/5]
Encore assez méconnus de nos jours, malgré de fracassants succès populaires dans les salles des années 50/60, les films de la saga « Lemmy Caution » se résument le plus souvent, dans l’esprit des cinéphiles, à un Alphaville signé Jean-Luc Godard, et finalement assez éloigné de l’esprit original de la franchise. Créé par Peter Cheyney dans les années 30, le personnage de Lemmy Caution s’est vu popularisé en France par la fameuse « Série Noire » de chez Gallimard : les deux premiers livres de l’illustre collection de polars étaient deux romans de Cheyney mettant en scène le fameux agent du FBI. Moins de dix ans après la publication du premier livre en France, Lemmy Caution connaitrait l’insigne honneur d’être adapté au cinéma, dans La môme vert de gris de Bernard Borderie (1953). C’est Eddie Constantine qui prêterait ses traits au détective / agent / espion / tombeur de ces dames et dur à cuire, pour le plus grand plaisir du public, puisque La Môme vert de gris connut un immense succès à sa sortie.
Avec le recul, ce succès public parait aussi logique que mérité : le film de Bernard Borderie s’avère en effet pile dans l’air du temps, nourri par les inquiétudes d’après-guerre liées à la guerre froide, et se situant thématiquement entre le sérial et le récit d’aventures teinté d’exotisme. Le succès de la « saga » Lemmy Caution préfigurait également largement l’engouement que l’on retrouvera autour d’autres espions de fiction dans les années qui suivraient : on pense par exemple à OSS 117 (créé en 1949 par Jean Bruce, adapté au cinéma en 1957) ou bien sûr à James Bond (créé en 1953 par Ian Flemyng, adapté au cinéma en 1962). Mais La môme vert de gris n’était que le premier d’une série de films délicieusement « pulp », dont la plupart sont aujourd’hui perdus ou oubliés. Officiellement, on compte neuf longs-métrages mettant en scène Lemmy Caution sous les traits d’Eddie Constantine : La Môme vert de gris (1953), Cet homme est dangereux (1953), Les femmes s’en balancent (1954), Vous pigez ? (1955), Comment qu’elle est ! (1960), Lemmy pour les dames (1962), À toi de faire… mignonne (1963), Alphaville (1965) et le tardif Allemagne année 90 neuf zéro (1991).
En réalité, l’acteur franco-américain était tellement assimilé au rôle de Caution qu’on pourrait en ajouter plusieurs dizaines supplémentaires, n’utilisant pas le patronyme créé par Peter Cheyney pour des questions de droits, mais proposant des personnages en tous points similaires ; à tel point similaires que les films utiliseraient d’ailleurs parfois le nom de Lemmy Caution pour leur exploitation à l’étranger, ou, le cas échéant, d’autres noms à consonance anglo-saxonne, histoire de bien faire passer le message… Parmi les films nous donnant à voir un personnage ayant tout en commun avec celui créé par Cheyney (… sauf le nom), on pense par exemple à Votre dévoué Blake (1954), Ça va barder (1955), Bien joué… Mesdames ! (1958), Passeport pour la honte (1958), Du rififi chez les femmes (1959), Larry agent secret (1959), Ça va être ta fête (1960), Me faire ça à moi (1961), Cause toujours mon lapin (1961), Les femmes d’abord (1963), Nick Carter va tout casser (1964), Laissez tirer les tireurs (1964), Faites vos jeux mesdames (1965), Nick Carter revient (1965), Cartes sur table (1966), Ça barde chez les mignonnes (1966) ou encore Ces messieurs de la famille (1967)…
Mis en scène de façon carrée et efficace, avec un savoir-faire technique indéniable qui prend parfois le pas –diront les mauvaises langues– sur une idée de personnalité ou de signature artistique, La Môme vert de gris s’impose comme un excellent divertissement, à l’image de son personnage principal, soit malin, joli cœur et détendu. Bernard Borderie, fier artisan trop méconnu du cinéma populaire (la série des Angélique, c’est lui aussi), va allégrement piocher ses influences un peu partout : dans le serial et le divertissement populaire bien sûr (bande dessinée, romans d’espionnage…), mais également dans le Film Noir américain, avec le personnage haut en couleurs de Carlotta de la Rue, incarnée par Dominique Wilms. Si son personnage est certes un poil mal défini autant que curieusement intégré dans l’intrigue générale, il s’impose en revanche comme un clin d’œil visuel (parodique ?) aux grandes figures de la « Femme Fatale » ayant marqué le genre : de faux airs de Veronica Lake, des gants à la Rita Hayworth, des clopes d’un mètre de long à la Lauren Bacall… Elle s’offre même un numéro musical inattendu, qui servira d’ailleurs à ouvrir ouvertement les hostilités entre Lemmy Caution et la bande de truands à qui il a affaire.
En deux mots comme en cent, La Môme vert de gris est le digne représentant d’un cinéma « plaisir » made in France, développant un charme désuet très 50’s à la fois désarmant et enthousiasmant. On croise les doigts très fort pour que le Combo Blu-ray + DVD édité par Pathé ne soit que le premier, et que les autres films issus de la collaboration Bernard Borderie / Eddie Constantine autour du personnage de Lemmy Caution sortent enfin de l’ombre où ils sont resté durant trop longtemps !
Le Blu-ray
[4,5/5]
Côté Blu-ray, La môme vert de gris intègre ce mois-ci la collection « Version restaurée par Pathé », s’offrant un petit lifting Haute-Définition et venant tenir compagnie sur nos étagères à d’autres titres de la même veine édités par Pathé, allant des classiques reconnus (Les enfants du Paradis de Marcel Carné, Paradis perdu d’Abel Gance…) aux films méritant une réhabilitation immédiate (Showgirls de Paul Verhoeven, Le monocle noir de Georges Lautner…).
Et comme d’habitude, le boulot de restauration effectué par les équipes de Pathé est assez bluffant : La Môme vert de gris s’impose en effet dans une copie de toute beauté, respectueuse de la granulation d’origine, mais proposant un piqué précis et des contrastes soignés, restituant parfaitement les éclairages voulus par Bernard Borderie et son directeur photo Jacques Lemare (noirs et blancs tranchés, clairs-obscurs…). Côté son, nous avons droit à un mixage DTS-HD Master Audio 2.0 propre, net et équilibré. On notera également la présence de sous-titres anglais, d’un sous-titrage destiné au public sourd et malentendant, ainsi qu’une piste en audiodescription.
Côté suppléments, on trouvera un entretien avec Eddie Constantine, dans lequel il évoque rapidement son parcours d’acteur, le fait qu’il n’aimait pas du tout tourner pour le cinéma à ses débuts, et surtout sa relation au personnage de Lemmy Caution, qu’il affirme cordialement détester. Cet entretien court mais intéressant date de 1987 (il s’agit d’un extrait de l’émission « Portrait d’acteur » diffusée sur FR3).