La Maman et la putain
France : 1973
Réalisation : Jean Eustache
Scénario : Jean Eustache
Acteurs : Jean-Pierre Léaud, Bernadette Lafont, Françoise Lebrun
Éditeur : Carlotta Films
Durée : 3h37
Genre : Drame, Romance
Date de sortie cinéma : 17 mai 1973
Date de sortie DVD/BR : 16 avril 2024
Alexandre est un jeune dilettante oisif. Il vit chez Marie, sa maîtresse, et flâne à Saint-Germain-des-Prés. Un jour, il croise Veronika, une jeune infirmière. Il entame une liaison avec elle, sans pour autant quitter Marie…
Le film
[4,5/5]
« Hallelujah ! Un des plus grands films du cinéma français, quasiment invisible dans de bonnes conditions depuis des années, fait son retour sur grand écran, qui plus est dans une copie restaurée 4K par Les films du Losange qui met particulièrement en valeur les contrastes et la lumière du magnifique Noir et blanc du Directeur de la photographie Pierre Lhomme. Ce film, c’est La Maman et la putain, le chef d’œuvre de Jean Eustache, un film tourné entre mai et juillet 1972 et qui fit scandale lors du Festival de Cannes 1973, tout en y remportant Grand Prix du Jury et le prix de la Fédération de la presse cinématographique internationale. Cette version restaurée a permis le retour de ce film au Festival de Cannes le 17 mai dernier, dans le cadre de la sélection Cannes Classic, avec une projection dans la salle Debussy du palais des Festivals qui s’est terminée par une « standing ovation » de 10 minutes saluant ET le film ET la présence physique de Françoise Lebrun et de Jean-Pierre Léaud. Scandale en 1973, ovation en 2022 !
Si il parait difficile de ne pas comprendre les raisons de l’ovation en 2022, on peut s’interroger sur les raisons qui ont poussé une partie des spectateurs à siffler ce film il y a 49 ans. L’explication la plus plausible réside dans le rejet par certains festivaliers du langage souvent très cru utilisé par les protagonistes du film. Passons ! Une autre explication est tout aussi évidente : le fait, tout bête, pour de nombreux spectateurs de 1973 de ne rien avoir compris au film, d’y avoir vu une œuvre immorale avec une apologie de l’amour libre post 68 et un éloge du trouple (un mot qui n’existait pas à l’époque et qui désigne une relation amoureuse à trois, ici Marie, la maman, Alexandre et Veronika, la putain). Rien compris au film !
En réalité, La Maman et la putain est, tout au contraire, un film particulièrement moral. En effet, si on entend Veronika dire qu’elle peut coucher avec n’importe quel homme, ce qu’elle ne se prive pas de faire, si elle ajoute « Pourquoi les femmes n’auraient-elles pas le droit de dire qu’elles ont envie de baiser avec un type ? », le plan séquence, magnifique, émouvant, où en larmes, elle prend le contre-pied de tout ce qu’elle avait affirmé (et pratiqué) auparavant en déclarant qu’on ne devrait « baiser » qu’avec les personnes qu’on aime d’amour et, pourquoi pas, en espérant, en tant que femme, tomber enceinte, permet, au minimum, de se demander dans quel discours de Veronika Jean Eustache se reconnaissait le plus !
50 ans après le tournage du film, deux des trois principaux interprètes du film sont toujours vivants : dans ce qui fut son premier rôle au cinéma, Françoise Lebrun, qui fut un temps, quelques années avant le film, la compagne de Jean Eustache, est absolument remarquable. Comme d’habitude, ajouterons nous ; Jean-Pierre Léaud joue comme il a toujours joué : certains aiment, certains n’aiment pas ! Quant à Bernadette Lafont, elle aussi joue comme elle a toujours joué, mais, la concernant, que celles et ceux qui ne l’apprécient pas aient le courage de se manifester ! On a dit plus haut tout ce qui rendait sublime la photographie de Pierre Lhomme, faisant de ce film, en plus de la description des histoires « amoureuses » de jeunes adultes quelques années après 1968, un remarquable documentaire sur le Paris du début des années 1970, ou, plus précisément, sur un quartier bien précis, le 6ème arrondissement, avec, en particulier, le café de Flore, les Deux Magots et le Jardin du Luxembourg. Si l’œil prend une part très importante dans le jugement très positif qu’on porte sur ce film, il est bon de préciser que l’oreille n’est pas en reste, la qualité du son, capté par Jean-Pierre Ruh, étant également exceptionnelle : les bruits de la ville, ceux des moteurs, ceux, même, des briquets, à une époque où le film donne l’impression que tout le monde, ou presque, était adepte de la clope. Quant à la musique, il n’y en a pas et … il y en a. En fait, les seules musiques qu’on entend, et elles sont nombreuses, ce sont celles que les personnages écoutent à un moment ou à un autre du film, allant de Damia à Deep Purple, en passant par Offenbach et Edith Piaf. »
Critique de notre rédacteur Jean-Jacques Corrio. Découvrez-la dans son intégralité en cliquant ici !
Le Blu-ray
[4/5]
C’est à Carlotta Films que l’on doit la (re)découverte de ce bel objet cinématographique qu’est La Maman et la putain, disponible pour la toute première fois en France en Haute-Définition, plus de cinquante ans après sa sortie, et restauré en 4K pour l’occasion. Et côté Blu-ray, c’est un quasi-sans faute technique avec un film imposant un grain épais (16mm oblige) mais proposant tout de même un beau piqué et un noir et blanc aux contrastes affirmés. Côté son, l’encodage en DTS-HD Master Audio 1.0 ne pose pas le moindre souci, et s’avère parfaitement clair et équilibré.
Du côté des suppléments, on trouvera une poignée d’archives télévisées, nous proposant un entretien avec Jean-Pierre Léaud dans l’émission « Grand Écran » (4 minutes), un passage de Jean-Pierre Léaud et Bernadette Lafont au JT de 20h (3 minutes), l’émission « Couleurs autour d’un Festival » du 17 mai 1973 (13 minutes), au cœur de laquelle l’équipe du film répondait aux questions de Gilles Jacob et Jean-Louis Bory, et un extrait de l’émission « Pour le cinéma : Cannes 73 » (10 minutes) qui se concentrait sur le Prix spécial du jury en présence de Jean Eustache et de ses trois acteurs principaux, Jean-Paul Léaud, Bernadette Lafont et Françoise Lebrun. On terminera enfin avec un intéressant module sur la restauration du film (16 minutes) et la bande-annonce de la reprise du film dans les salles en 2022.
On notera cependant que pour le moment, La Maman et la putain est UNIQUEMENT disponible au cœur de l’imposant Coffret Jean Eustache, composé de 6 Blu-ray en Digipacks slim surmontés d’un étui rigide et d’un livre 160 pages, qui contient des projets de films + très nombreux entretiens + textes et analyses… le tout illustré de sublimes photos ! Le contenu des galettes Blu-ray est le suivant :
Blu-ray 1 :
Les Mauvaises fréquentations : Du côté de Robinson (1963 – N&B – 39 minutes – Nouvelle Restauration 4K)
Le Père Noël a les yeux bleus (1965/1966 – N&B – 47 minutes – Nouvelle Restauration 4K)
Blu-ray 2 :
La Rosière de Pessac (1968 – N&B – 66 minutes – Nouvelle Restauration 4K)
La Rosière de Pessac 79 (1979 – Couleurs – 71 minutes – Nouvelle Restauration 4K)
Blu-ray 3 :
Numéro Zéro (1971 – N&B – 112 minutes – Nouvelle Restauration 4K)
Blu-ray 4 :
La Maman et la putain (1973 – N&B – 219 minutes – Nouvelle Restauration 4K)
Blu-ray 5 :
Mes petites amoureuses (1974 – Couleurs – 124 minutes – Nouvelle Restauration 4K)
Blu-ray 6 :
Une sale histoire [Un film en deux volets] (1977 – Couleurs – 49 minutes – Restauration 2K)
Trois courts-métrages :
Le Jardin des délices de Jérôme Bosch (1979 – Couleurs – 34 minutes – Nouvelle Restauration 2K)
Offre d’emploi (1980 – Couleurs – 21 minutes – Nouvelle Restauration 2K)
Les Photos d’Alix (1980 – Couleurs – 20 minutes – Nouvelle Restauration 4K)
Le coffret contient également plus de 6 heures de suppléments :
– Près de trois heures d’archives télévisées et radiophoniques exclusives, sur le tournage des films, au Festival de Cannes, interviews plateau, interviews-fleuves de Jean Eustache…
– La Soirée : Un projet de film inachevé de Jean Eustache. Librement inspiré d’une nouvelle de Maupassant, La Soirée est le premier projet écrit en totalité par Jean Eustache, tourné en 16MM sans son. Dans une ambiance très Nouvelle Vague, un homme interprété par Paul Vecchiali invite des amis pour leur donner lecture d’un texte sur le cinéma dont il est l’auteur et qui vient d’être publié.
– Les Mauvaises fréquentations : Plans coupés et essais caméra
– Odette Robert (1980 – N&B – 54 minutes)
En 1971, Jean Eustache projette chez lui Numéro zéro devant huit spectateurs, dont Jean-Marie Straub et Danièle Huillet, mais n’envisage pas de montrer son film au grand public. En 1980, il accepte de diffuser à la télévision une version courte de cette œuvre, intitulée Odette Robert, dans le cadre de la série documentaire Grand-mères.
– Le Dernier des hommes, Postface (1968 – N&B – 28 minutes)
Discussion filmée, réalisée en 1968 par Jean Eustache pour « Allons au cinéma », le créneau TV du CNDP (Centre national de documentation pédagogique). Les critiques André S. Labarthe, Jean Domarchi et le metteur en scène Marc’O y débattent du film de Friedrich Wilhelm Murnau, Le Dernier des hommes.
– La Petite marchande d’allumettes, Postface (1969 – N&B – 26 minutes)
Postface explicative au film de Jean Renoir, La Petite Marchande d’allumettes, réalisée en 1969 par Jean Eustache, toujours pour « Allons au cinéma ». Jean Renoir évoque les conditions de tournage de son film au Théâtre du Vieux-Colombier quarante ans auparavant. Il parle des cinéastes qui l’ont influencé et souligne la différence qui existe selon lui, au cinéma, entre réalisme et vérité.
– Une sale histoire : Entretiens avec Jean Douchet et Gaspar Noé