La guerre est finie
France, Suède : 1966
Titre original : –
Réalisation : Alain Resnais
Scénario : Jorge Semprún
Acteurs : Yves Montand, Ingrid Thulin, Geneviève Bujold
Éditeur : Gaumont
Durée : 2h01
Genre : Drame
Date de sortie cinéma : 11 mai 1966
Date de sortie DVD/BR : 22 septembre 2021
1965 : Franco est au pouvoir en Espagne. Diego, un militant clandestin républicain, revient à Paris où vit sa femme. En désaccord avec ses propres camarades, il l’est aussi avec une étudiante avec laquelle il a une brève aventure. Les deux femmes, cependant, vont joindre leurs efforts pour le sauver de la police franquiste…
Le film
[4/5]
Guerre froide, Algérie, Vietnam, Cuba, PCF, bloc soviétique, colonialisme, impérialisme, Franco, Salazar… Que reste-t-il aujourd’hui des luttes idéologiques, des revendications politiques et libertaires des intellectuels des années 60 ? Après les luttes de tous bords est venue la paix, ou l’illusion de la paix, qui amena avec elle ce qu’on appela la « fin des idéologies ». De fait, aujourd’hui, il faut faire un effort considérable pour tenter de se remémorer les grandes causes idéologiques des années 60. Une période que de nombreux d’entre nous n’ont connu qu’à travers les livres d’Histoire, et qui nous apparaît presque comme préhistorique. La guerre froide. Le bras de fer entre l’Est et l’Ouest. Mourir pour des idées.
Une petite « remise à niveau » en termes d’idéologies et d’Histoire sera donc à envisager avant de se lancer dans La guerre est finie, surtout si vous n’êtes pas familier avec l’Espagne franquiste. Le film d’Alain Resnais est en effet complètement ancré dans son temps, et à la façon des œuvres d’autres intellectuels de l’époque, il nécessitera un effort supplémentaire de la part du spectateur contemporain : mieux vaut en effet bien connaître l’époque avant de s’y lancer. Rien que le titre recèle déjà ses mystères et son paradoxe : « la guerre est finie ». Oui, dans l’absolu, la guerre – on parle ici de la guerre civile espagnole – est finie ; elle l’est d’ailleurs depuis près de 30 ans quand le film sort sur les écrans. Mais le général Franco est toujours à la tête du gouvernement, et la lutte contre le fascisme continue bel et bien, dans l’ombre…
Le héros du film, Diego, incarné par Yves Montand, est donc un citoyen espagnol qui, depuis la fin de la guerre, est engagé dans divers mouvements antifranquistes clandestins. Il fait partie d’un large « réseau » qui lutte en underground – ils font entrer et sortir des personnes et des informations d’Espagne, impriment des journaux de propagande, appellent à la grève générale. De la résistance old school autrement dit. Mais le personnage d’Yves Montand semble las de cette lutte qui semble ne jamais finir. Las de souscrire à des dogmes politiques qui ne semblent plus pertinents, las de n’obtenir que peu de résultats tangibles. 30 ans que La guerre est finie, et rien ne change.
Sa rencontre avec le personnage interprété par Geneviève Bujold sera déterminante : elle est jeune, elle aussi lutte contre Franco. Mais eux luttent à la manière de terroristes : par la violence, les bombes, l’anarchie. Si Diego comprend leur raisonnement, il est hermétique à leurs méthodes – saisi par la vacuité de son propre travail depuis trois décennies, il se trouve soudain en pleine crise existentielle, convaincu que les deux méthodes sont mauvaises et qu’au final, rien ne peut être fait pour changer les choses. Plus palpitant qu’il n’en a l’air à priori, La guerre est finie n’est pas que le récit d’une crise idéologique – il permet également à Resnais de mettre en scène le conflit des générations qui ne tarderait pas à faire exploser les sociétés occidentales. Les « vieux » et les « Jeunes » ne parviennent pas à s’entendre, et ne se comprennent pas ; même s’ils semblent avoir un objectif commun, leurs méthodes sont incompatibles. D’un côté, les vieux s’accrochent à des idées dépassées et sont usés par des années de lutte « bureaucratique ». De l’autre, les jeunes n’ont que faire des valeurs traditionnelles et cherchent à renverser la société en ayant recours à l’anarchie.
La guerre est finie est le film de ces interrogations, et ne propose ni conclusion définitive, ni jugement moral. Quel comportement se « justifie » lorsque vous vous battez contre un système ?
Le Blu-ray
[4,5/5]
Côté Blu-ray, la copie de La guerre est finie nous étant proposée ici par Gaumont est de très bonne tenue, avec un grain cinéma respecté aux petits oignons, et des contrastes finement travaillés. La restauration 4K a fait place nette des tâches, rayures et autres griffes disgracieuses, et propose une image extrêmement stable, avec néanmoins quelques fourmillements discrets sur certaines séquences. Le noir et blanc est somptueux. Côté son, l’éditeur nous propose le film en DTS-HD Master Audio 2.0, sans souffle ni bruits parasites. Les dialogues sont toujours parfaitement clairs. Du très beau travail technique.
Du côté des suppléments, l’éditeur nous propose un tour complet de La guerre est finie à travers trois entretiens très riches. On commencera avec un entretien avec Michel Ciment, critique et proche d’Alain Resnais (28 minutes). Ce dernier reviendra sur la carrière de Resnais, et surtout sur son « style » en tant que cinéaste, avec une référence à l’expression « Film-Cerveau » de Gilles Deleuze. Il évoquera les différences entre La guerre est finie et les films précédents de Resnais, notamment concernant l’utilisation de flash-forwards en lieu et place des flash-backs qu’il multipliait jusque-là. On continuera ensuite avec un entretien avec Patrick Rotman, historien, scénariste et documentariste (29 minutes), qui reviendra d’avantage sur le fonds que sur la forme : il abordera en effet essentiellement le scénario de La guerre est finie, signé Jorge Semprun. Enfin, on terminera avec un entretien avec Jaime Céspedes, maître de Conférences en Civilisation de l’Espagne contemporaine et spécialiste de Jorge Semprùn (18 minutes), qui reviendra quant à lui sur le parcours et la légitimité de Jorge Semprun. On terminera enfin avec la traditionnelle bande-annonce, qui s’accompagnera d’un sujet consacré à la restauration du film, sur le mode toujours payant du « avant / après » (3 minutes).