La Guerre des polices
France : 1979
Réalisation : Robin Davis
Scénario : Robin Davis, Jean-Marie Guillaume, Jacques Labib, Patrick Laurent, Jean-Patrick Manchette
Acteurs : Claude Brasseur, Marlène Jobert, Claude Rich
Éditeur : ESC Éditions
Durée : 1h43
Genre : Policier
Date de sortie cinéma : 14 novembre 1979
Date de sortie DVD/BR : 4 janvier 2023
Les commissaires Ballestrat et Fush, respectivement chef de la Brigade territoriale et de la Brigade antigang, traquent Sarlat, l’ennemi public numéro 1. Au lieu de conjuguer les efforts, les deux hommes entrent en concurrence, chacun cherchant à prouver la supériorité de son équipe…
Le film
[4/5]
Quand La Guerre des polices sort sur les écrans français à l’automne 1979, Jean-Pierre Melville est mort depuis six ans, emportant avec lui une bonne partie du polar français. De fait, l’héritage du grand film policier made in France est quasiment tombé dans les mains d’un seul et même cinéaste : Alain Corneau, qui nous proposa à l’époque des films tels que Police Python 357 (1976). Son approche du genre est encore largement teintée de toute une mythologie autour du grand banditisme et de ses valeurs, empruntes d’une certaine « noblesse », d’un code d’honneur encore très prégnant.
Cette mythologie-là est quasiment absente de La Guerre des polices, qui nous propose une représentation des truands – tout comme des flics – très éloignée de cette vision « romantique » du crime, et allant bien davantage chercher du côté du poliziottesco italien. Car en effet, de l’autre côté des Alpes, les italiens étaient quant à eux parvenu à créer un genre à part, né des « années de plomb » des années 70, et que l’on appellerait le poliziottesco (également appelé polar bis italien ou néo-polar). Encore assez peu connu en France, ce sous-genre du polar y montrait les flics comme de véritables cow-boys, solitaires et adeptes de la loi du talion, tandis que les truands prenaient souvent des allures de salopards intégraux, dont la plus infime trace de valeur morale avait été réduite à néant par des années de soumission à la société capitaliste.
La Guerre des polices est donc à la croisée des chemins entre l’héritage du polar prestigieux à la française et celui du néo-polar venu d’Italie. Il est le fruit d’une époque au cœur de laquelle les notions de morale ou de code d’honneur semblent avoir totalement disparu, au cœur de laquelle les flics fricotent volontiers avec les truands, et où la frontière entre ce qui est légal et ce qui ne l’est pas est de plus en plus floue. Dans une France encore très marquée par les spectres de la guerre d’Algérie, flics et truands se vouent une guerre sans pitié, utilisant les mêmes méthodes crapuleuses, les mêmes coups bas, les mêmes attitudes de petites frappes.
Le lyrisme et l’emphase ne sont donc pas à l’ordre du jour dans La Guerre des polices, et le film ne cherche pas nécessairement à atteindre un quelconque réalisme : bien rythmé et globalement centré sur l’action, le film de Robin Davis privilégie clairement l’ambiance au naturalisme. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’ensemble fonctionne parfaitement, en grande partie grâce aux acteurs : Claude Brasseur et Claude Rich y livrent un face-à-face assez remarquable, et en arrière-plan, la prestation de Marlène Jobert est à saluer, dans le sens où elle se place à mi-chemin entre les deux personnages et ce qu’ils représentent : d’un côté la brigade territoriale, de l’autre l’antigang.
D’une façon assez inattendue, dans le sens où il nous présente tout d’abord les flics de la BT, La Guerre des polices finira clairement par prendre parti pour le personnage de Claude Brasseur, présenté certes comme un flic assez bourrin, mais juste et relativement humain, alors qu’à l’inverse la réalisation de Robin Davis appuiera beaucoup sur la froideur (l’inhumanité ?) de Claude Rich, son dédain pour les femmes tout autant que vis-à-vis de ses collègues. Ce basculement d’un personnage vers l’autre se fera par le biais de celui de Marie, incarné à l’écran par Marlène Jobert. On notera en revanche que les flics « subalternes » sont présentés de façon beaucoup plus positive en ce qui concerne la brigade territoriale, notamment à travers le personnage interprété par Étienne Chicot.
Les punchlines sont nombreuses et souvent efficaces, même si on n’est évidemment pas chez Michel Audiard. En s’appuyant sur des décors urbains poisseux et sur un montage serré, la réalisation de Robin Davis parvient à communiquer au spectateur les tensions exacerbées qui animent les deux services de police, chacun d’entre eux devant composer avec ses propres problématiques – ce soin apporté au détail permettra finalement à La Guerre des polices de trouver un bon équilibre entre l’action et l’aspect purement « policier » de l’ensemble. Au final, La Guerre des polices s’impose donc comme une jolie réussite, et le public français ne s’y est pas trompé : avec 1,8 millions d’entrées enregistrées fin 1979, le film de Robin Davis a permis à d’autres cinéastes de s’engouffrer dans la brèche et de signer d’autres excellents polars made in France dans les années qui suivraient : on pense notamment à Tir groupé (Jean-Claude Missiaen, 1982) et bien sûr à La Balance (Bob Swaim, 1982).
Le Blu-ray
[4/5]
La Guerre des polices débarque aujourd’hui au format Blu-ray sous les couleurs d’ESC Éditions. Il s’agit d’une excellente nouvelle pour les amateurs de polar français, puisque le film était encore inédit en Haute-Définition à ce jour, même si un DVD du film était disponible chez StudioCanal depuis une quinzaine d’années. On tire donc notre chapeau à ESC, qui affiche ici sa volonté farouche de proposer au consommateur de retrouver ce classique du film policier dans les meilleurs conditions techniques possibles. Du côté du Blu-ray à proprement parler, l’éditeur nous livre ici une galette Haute-Définition exemplaire. Le transfert est stable et beau, affichant un grain scrupuleusement préservé, un piqué accru et des couleurs aux contrastes très intenses et soignés. Le film de Robin Davis retrouve littéralement une nouvelle jeunesse, et on s’en félicite. Côté son, La Guerre des polices est naturellement proposé en DTS-HD Master Audio 2.0, et la bande sonore s’avère toujours stable et nette, même si naturellement l’ensemble se montre naturellement assez économe dans son amplitude.
Dans la section suppléments, on retrouvera au cœur de l’édition ESC Éditions un impressionnant making of rétrospectif (1h04) qui reviendra sur la genèse du film, de l’écriture au tournage en terminant bien sûr par le succès public. L’ensemble des entretiens – avec Robin Davis, Patrick Laurent (co-scénariste), José Pinheiro (monteur) et Alain Maline (assistant réalisateur) – est mené sans langue de bois, et le tout se révèle absolument passionnant de bout en bout.
Un article très intéressant et une excellente analyse d’un gros succès en salles. J’étais allé le voir le jour de sa sortie, j’avais adoré. Et quel casting…!