La Grande java
France : 1971
Titre original : –
Réalisation : Philippe Clair
Scénario : Michel Ardan, Philippe Clair, Claude Zidi
Acteurs : Les Charlots, Francis Blanche
Éditeur : Cinéfeel
Durée : 1h29
Genre : Comédie
Date de sortie cinéma : 13 janvier 1971
Date de sortie DVD/BR : 5 novembre 2024
Cinq rugbymen spoliés par leur entraîneur-déserteur Auguste Kouglof retrouvent sa trace à Brizouille, un petit village des Landes. Désormais connu sous le nom de Colombani, Kouglof/Colombani tente de briguer les mandats électoraux en usant de pratiques mafieuses. Mais c’est sans compter sur la détermination des Charlots empêcheurs de tourner en rond qui s’allient à Monsieur Devot, seul concurrent de Colombani pour remporter le poste tant convoité…
Le film
[3,5/5]
De nos jours, on se souvient assez peu des Charlots, groupe de musiciens et humoristes formé en 1966, et composé de Gérard Rinaldi, Gérard Filippelli, Jean Sarrus, Jean-Guy Fechner et Luis Rego. Pourtant, on peut dire que leur succès fut fracassant. Dans la musique tout d’abord : après avoir assuré, dans la deuxième moitié des années 60, les premières parties de Johnny Hallyday ou de Claude François, ils multiplieraient les succès et les concerts pendant de nombreuses années. Bénéficiant d’une popularité hors normes dans les années 70 et 80, les Charlots deviendraient même l’un des deux groupes français – avec Téléphone – à avoir assuré la première partie d’un concert des Rolling Stones.
Soucieux de diversifier leurs activités, après la musique et la télévision, les Charlots se lanceraient également dans le cinéma au tournant des années 70. Leur collaboration de quatre ans / quatre films avec le cinéaste Claude Zidi marque probablement le sommet de leur carrière en tant que groupe : ils réuniraient ainsi 7,4 millions de français dans les salles avec Les Bidasses en Folie en 1971, 5,7 millions avec Les Fous du Stade en 1972, 3,9 millions avec Le Grand bazar en 1973 et 4,1 millions avec Les Bidasses s’en vont en guerre en 1974.
Ce que l’on sait un peu moins en général, c’est que c’est Philippe Clair qui leur a mis le pied à l’étrier au cinéma, avec La Grande java, sorti sur les écrans en janvier 1971. Si le scénario du film ne leur était à priori pas forcément destiné, grâce à l’appui de Christian Fechner, producteur des Charlots et frère de Jean-Guy Fechner, ils hériteraient finalement du projet. A sa sortie, le film fut un gros succès, qui réunirait 3,4 millions de français dans les salles, et d’un point de vue professionnel, il permit aux Charlots de faire la connaissance de Claude Zidi, puisqu’il y officiait au poste de directeur photo. Les Charlots enchaineraient avec le tournage des Bidasses en Folie, qui sortirait en décembre de la même année, et leur permettrait d’avoir deux comédies les mettant en scène dans le « Top 10 » du box-office de l’année 1971, leur seul concurrent sérieux cette année-là étant La Folie des grandeurs avec Louis de Funès (5,5 millions d’entrées).
Considéré, au mieux, comme l’un des grands spécialistes de la comédie populaire franchouillarde, au pire, comme le roi du Nanar français, Philippe Clair a tourné 16 films en tant que réalisateur entre 1965 et 1989. La Grande java est son deuxième film, et le plus grand succès public de sa carrière. Mine de rien, il s’agissait également du plus grand succès de la carrière de Francis Blanche depuis 1959 et la sortie de Babette s’en va-t-en guerre. Car aussi surprenant que cela puisse paraître aujourd’hui, La Grande java a mieux fonctionné dans les salles que Les Tontons flingueurs en 1963, le film de Philippe Clair ayant enregistré quelques dizaines de milliers d’entrées de plus que le film de Georges Lautner. Il va sans dire cela dit que les deux films n’ont pas eu la même pérennité : à ce jour, La Grande java était encore inédit en DVD – et à fortiori en Blu-ray – et pour le voir, il fallait jusqu’ici se rabattre sur la VHS du film, sortie chez Video Collection… en 1987 !
Pourtant, Philippe Clair n’avait pas à rougir de La Grande java. Bien entendu, avec plus de cinquante ans de décalage, l’humour développé tout au long du film nous apparaît aujourd’hui comme désuet, et manquant certainement de sophistication. Pour autant, il nous faut tout de même remettre les choses dans leur contexte de production : début 1971, le roi incontesté de la comédie française Louis de Funès avait déjà tourné quatre épisodes de sa série du Gendarme, le dernier en date étant Le Gendarme en balade (1970), et en toute honnêteté, le film de Philippe Clair nous apparaît clairement moins paresseux dans ses mécanismes comiques que celui de Jean Girault, qui se contentait uniquement de capitaliser sur la personnalité, les grimaces et les gesticulations de son acteur principal. S’il dénote d’un peu plus d’ambition, La Folie des Grandeurs, sorti en décembre 1971, n’est pas beaucoup plus brillant. Au moins, avec La Grande java, Philippe Clair et ses deux coscénaristes Michel Ardan et Claude Zidi (sous le nom de Claude Reims) avaient le mérite de tenter des choses, et ne se contentaient pas de simplement servir la soupe aux Charlots.
Comme on dit, il y a « à boire et à manger » dans La Grande java : beaucoup de gags ne fonctionnent pas du tout, d’autres sont un peu plombés par « l’interprétation » qu’en proposent les Charlots, mais certaines trouvailles sont très amusantes, et lors d’une poignée de scènes, Philippe Clair et ses comédiens font preuve d’une telle énergie afin de faire sourire le spectateur qu’ils finissent par avoir raison de nos défenses. Bien sûr, cela nécessite parfois d’y aller au forceps, comme notamment durant la séquence du meeting de Colombani (Francis Blanche), tellement étirée en longueur qu’elle finit par parvenir à faire rire ; déployer tant d’efforts dans le seul but de faire sourire autrui est une démarche à saluer. L’autre grande qualité du film est d’ailleurs de nous proposer des personnages attachants, tels que l’infâme Colombani / Kouglof incarné par Francis Blanche, l’hilarant curé pied-noir se démenant pour ramener les fidèles à sa paroisse, interprété par Philippe Clair lui-même, ou encore Devot, l’adversaire politique de Colombani, incarné par Francis Contandin, alias Fransined, le frère de Fernandel.
En deux mots comme en cent, La Grande java s’avère un film attachant : pas réussi à 100%, pas réellement un film de Philippe Clair à 100%, ni forcément un film des Charlots à 100%. Pour autant, il s’agit d’un bon compromis entre ces deux univers comiques : certaines scènes sont vraiment très réussies, à l’image du cauchemar de Colombani, ou du match de rugby qui sert de dernier acte au film. Et au final, La Grande java nous propose tout de même suffisamment de séquences enlevées et de scènes amusantes pour générer un ressenti globalement positif une fois le générique de fin arrivé. C’est bien là l’essentiel !
Le Blu-ray
[4/5]
Comme on l’a déjà souligné quelques lignes plus haut, La Grande java était jusqu’ici totalement inédit en DVD et Blu-ray, et c’est donc avec un grand plaisir que nous accueillons aujourd’hui sa sortie en Haute-Définition, qui se fait sous les couleurs de Cinéfeel. Côté master, le film de Philippe Clair a bénéficié d’une restauration 4K à partir du négatif original, et le résultat s’avère convaincant. En dépit de quelques plans un peu en deça des autres en termes de définition, l’ensemble affiche une très belle pêche, avec un grain scrupuleusement préservé et un piqué accru. Les couleurs sont vives, et les noirs très intenses et soignés. Les contrastes sont fins et affirmés, et le master semble globalement débarrassé de la plupart des dégâts infligés par le temps (taches ou autres griffes…). Côté son, la bande-son est proposée en DTS-HD Master Audio 2.0 : les dialogues sont clairs et parfaitement découpés, et la musique est bien mise en avant. Une présentation son et image absolument superbe – on remercie chaleureusement l’éditeur.
Du côté des suppléments, outre la traditionnelle bande-annonce, on trouvera un documentaire dédié à la carrière de Philippe Clair (32 minutes) et intitulé Philippe Clair : Tais-toi quand il parle ! Ce passionnant sujet s’articule autour des propos de trois intervenants : Philippe Clair lui-même, son fils Estéban, et son biographe Gilles Botineau, grand spécialiste de la comédie populaire dite « franchouillarde ». Philippe Clair commencera, avec un certain humour, par revenir sur son arrivée en France, les difficultés qu’il avait à assumer son prénom « Prosper », et son parcours et sa formation de comédien, en revenant rapidement sur le choix de son pseudo Philippe Clair. Avant de se lancer dans le cinéma, il s’était lancé sur les planches et avait notamment monté La Parodie du Cid d’Edmond Brua, qui fut un véritable carton et attira l’attention des producteurs de cinéma. Très en avance sur son temps, son premier long-métrage Déclic et des claques (1965) ne fut pas un grand succès public, mais fut par la suite réhabilité et vu comme un précurseur de La Vérité si je mens ! (Thomas Gilou, 1997). C’est le succès de son deuxième long-métrage La Grande java qui lui permit de continuer à tourner avec régularité, le problème étant selon Gilles Botineau qu’à « chaque fois qu’il ne s’entend pas avec un acteur, le film est un carton, ce qui implique qu’il doit se réinventer en permanence ». Les anecdotes sont nombreuses et amusantes, notamment du côté d’Estéban, qui explique qu’il avait l’obligation de regarder les films de son père à la maison, évoque sa première apparition dans un de ses films au moment où il était dans le ventre de sa mère, avant de mordre Aldo Maccione dans Plus beau que moi tu meurs. Il analysera également l’évolution de la comédie française, et la disparition de la notion d’exotisme dans la comédie contemporaine.
Parallèlement aux sorties Blu-ray de La Grande java et Plus beau que moi tu meurs, l’éditeur Cinéfeel nous proposera le 5 novembre un coffret 7 DVD intitulé « Plus drôle que ça tu meurs !!! – 10 comédies cultes de Philippe Clair », comprenant Déclic et des claques (1965), La Grande Java (1971), Le Grand fanfaron (1976), Comment se faire réformer (1978), Les réformés se portent bien (1978), Ces flics étranges venus d’ailleurs (1979), Rodriguez au pays des merguez (1980), Tais-toi quand tu parles (1981), Plus beau que moi tu meurs (1982) et Par où t’es rentré on t’a pas vu sortir (1984). Nous aurons bien entendu l’occasion d’aborder ce coffret en détail dans un article dédié.