La fille qui en savait trop
Italie : 1963
Titre original : La Ragazza che sapeva troppo
Réalisation : Mario Bava
Scénario : Ennio De Concini, Sergio Corbucci, Eliana De Sabata, Mino Guerrini, Francesco Prosperi…
Acteurs : Leticia Roman, John Saxon, Valentina Cortese
Éditeur : Sidonis Calysta
Durée : 1h40
Genre : Giallo, Thriller
Date de sortie cinéma : 29 janvier 1964
Date de sortie DVD/BR : 24 mars 2022
Nora, une jeune américaine en séjour à Rome, est victime d’une agression nocturne et voit avant de s’évanouir une femme se faire assassiner. A son réveil, toute trace du meurtre a disparu, et personne ne croit à son histoire. Nora découvre alors qu’un serial killer a déjà sévi au même endroit, et qu’elle pourrait être la prochaine victime…
Le film
[4/5]
Les voies de l’édition vidéo sont impénétrables. S’il nous faut parfois attendre des mois avant de pouvoir se repaître de petits délices « Bis » transalpins en Blu-ray ou DVD, en ce début avril, il semble que les éditeurs français se soient donnés le mot, et aient décidé de combler de joie les amateurs de thriller italien. Ainsi, grâce aux efforts conjoints de Sidonis Calysta, Le Chat qui fume et Artus Films, on est aujourd’hui en mesure d’ouvrir notre « Semaine du Giallo » : tous les matins jusqu’à vendredi, vous trouverez le test Blu-ray d’un nouveau représentant du Giallo, genre très prolifique en Italie tout au long des années 70.
Dans le cas où vous seriez totalement étranger au genre, la page de vulgarisation Wikipédia consacrée au Giallo nous explique qu’il s’agit d’un « genre de film d’exploitation italien à la frontière du cinéma policier, du cinéma d’horreur et de l’érotisme (…) Les films de ce type sont caractérisés par de grandes scènes de meurtres excessivement sanglantes, un jeu de caméra très stylisé et une musique inhabituelle (…). Ces films mettent en avant la violence sadique et brutale, l’érotisme. La forme primitive de ce cinéma est l’image d’une femme, seule chez elle et qui a peur ».
On ajoutera à cela que mis à part une volonté régulière de mettre en scène une bourgeoisie décadente commettant des actes criminels en toute impunité, le Giallo se tient globalement à distance des prises de position politiques nettes et engagées des films italiens de la même époque, et qu’il développe souvent des atmosphères baroques et morbides, qui traduisent peut-être le poids de cette bonne vieille culpabilité catholique.
Semaine du Giallo, Jour #1 – La Fille qui en savait trop
Il n’y aurait pas eu meilleure manière d’entamer notre « Semaine du Giallo » qu’avec La Fille qui en savait trop (1963), dans le sens où on attribue souvent la naissance du genre au film de Mario Bava. Il posait ici les premières pierres de ce qui deviendrait le Giallo, et les peaufinerait un an plus tard avec Six femmes pour l’assassin. Les gants de cuir et les scènes de nudité manquent encore à l’appel, mais beaucoup d’autres éléments stylistiques sont présents.
Cependant, si La Fille qui en savait trop a été une immense influence sur les nombreux cinéastes s’étant essayés au genre par la suite, le moins que l’on puisse dire, c’est que Mario Bava y empruntait également beaucoup à d’autres films et d’autres cinéastes, à commencer bien sûr par Alfred Hitchcock. Comme son titre le suggère, il y a là une volonté évidente d’imiter le style et l’atmosphère des films d’Alfred Hitchcock, et pas seulement à L’Homme qui en savait trop : le jeu sur les ombres et les lumières, l’intrigue, la montée en crescendo, le final, la voix off, les portes verrouillées aux poignées qui remuent, les personnages mentalement instables… Tout dans le film de Bava évoque le cinéma d’Alfred Hitchcock, jusque dans la légère distanciation ironique qui est proposée par le cinéaste.
Cependant, Alfred Hitchcock ne sera pas le seul cinéaste classique dont l’influence se fait sentir sur La Fille qui en savait trop. La construction narrative de l’ensemble, la photographie (assurée par Mario Bava lui-même) et le style des prises de vue – tout particulièrement la manière dont la lumière et les ombres sont traitées – suggèrent également que le maestro Bava s’est largement inspiré des films de Fritz Lang, notamment ceux tournant autour du Docteur Mabuse. La façon dont Bava met la ville de Rome en avant dans La Fille qui en savait trop rappelle la façon dont Lang faisait de Berlin un véritable personnage de son film dans Le testament du docteur Mabuse. Les deux films comportent des rebondissements importants à base de magnétophones, et d’une façon plus générale, le sentiment de paranoïa des personnages principaux des deux films prendra au fur et à mesure finalement plus d’importance que les mystères que les protagonistes tentent de résoudre.
Cependant, l’œil de Bava pour les détails donne finalement à La Fille qui en savait trop une identité assez unique. La manière dont la caméra suit Nora (Leticia Roman) et observe attentivement le monde étrange qui l’entoure crée et entretient une atmosphère très particulière, constamment sur le fil entre le réel et le fantasme, et où la Mort peut surgir à tout moment. Cette atmosphère sera plus tard fréquemment recyclée dans le petit monde du Giallo, par des cinéastes comme, entre autres, Dario Argento, Sergio Martino, Umberto Lenzi, Emilio Miraglia, Lucio Fulci, Aldo Lado, Giuliano Carnimeo, Luigi Bazzoni, Luciano Ercoli ou Massimo Dallamano.
Le Combo Blu-ray + DVD
[5/5]
La Fille qui en savait trop débarque donc aujourd’hui dans une superbe édition sous les couleurs de Sidonis Calysta, et intègre la collection « Mario Bava » lancée par l’éditeur le 24 mars avec la sortie du chef d’œuvre Le Masque du démon. Et côté Blu-ray, la restauration exploitée ici par l’éditeur est tout simplement excellente. Encodé avec soin, le film brille vraiment de mille feux avec un niveau de détails accru et des contrastes ciselés, évitant l’écueil des noirs bouchés ou de l’image « terne » ; les gros plans sur les visages des acteurs impressionnent par leur précision et leur définition. Quelques plans accusent certes de légères baisses de définition, mais l’ensemble est de très bonne tenue. L’image est aussi parfaitement stable et propre, ce qui ajoute à la sensation de qualité visuelle. De plus, comme le film ne semble pas avoir subi de filtrage numérique, il impose un grain cinéma respecté à la lettre très agréable et naturel, respectueux du matériau d’origine. Côté son, l’éditeur nous propose le film en VF / VO et DTS-HD Master Audio 2.0 mono, sans souffle ni bruits parasites, au rendu acoustique relativement ouvert et ample. Les dialogues sont parfaitement clairs, la musique perce sans difficulté ni saturation, et la piste est très propre ; on appréciera par ailleurs la VF d’époque, surannée et pleine de charme.
Côté suppléments, le Blu-ray de La Fille qui en savait trop édité par Sidonis Calysta comprend deux versions du film de Bava : la version italienne originale, mais également la version américaine du film, intitulée Evil Eye (1h32, VOST), qui contient de petites différences de montage mais également de séquences entièrement nouvelles à différents endroits du film, et qui en changent radicalement le ton et l’atmosphère. Les différences entre les deux versions seront d’ailleurs abordées dans un entretien avec Bruno Terrier (14 minutes). Cet immense spécialiste du cinéma Bis évoquera plusieurs différences, en commençant par les plus évidentes (la musique de Roberto Nicolosi remplacée par une composition de Les Baxter), et notera que d’une façon assez étonnante, la version américaine est plus longue que la version italienne. L’histoire des cigarettes à la marijuana disparaît, mais d’autres séquences apparaissent : une apparition de Mario Bava dans la chambre de Nora, Nora draguée par le professeur, la fin du film, etc. Très intéressant !
Par ailleurs, l’éditeur Sidonis Calysta ne se sépare pas de ses excellentes habitudes, avec la traditionnelle présentation du film par Olivier Père (26 minutes), qui reviendra sur l’importance de la ville de Rome, sur la photo, la gestion de l’espace, la mise en scène et le récit, qui posent à leur manière les bases du Giallo. On continuera ensuite avec une discussion autour du film avec Luigi Cozzi, Richard Stanley, Alan Jones et Mikel Koven (21 minutes). Ils évoqueront la transformation du film, de la comédie romantique initialement prévue jusqu’à devenir un thriller atmosphérique et déminal. Ils noteront également les références Hitchcockiennes et quelques autres aspects du film. Place ensuite à un entretien avec John Saxon (9 minutes), qui se remémorera sa rencontre avec Leticia Roman, son travail avec Mario Bava, ainsi que l’ambiance de ces années de travail en Italie dans les années 60. On terminera enfin avec la traditionnelle bande-annonce.