Test Blu-ray : La Fièvre de Petrov

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La Fièvre de Petrov

Russie, France, Suisse : 2021
Titre original : Petrovy v grippe
Réalisation : Kirill Serebrennikov
Scénario : Kirill Serebrennikov
Acteurs : Semion Serzine, Tchoulpan Khamatova…
Éditeur : Condor Entertainment
Durée : 2h20
Genre : Drame
Date de sortie cinéma : 1er décembre 2021
Date de sortie Blu-ray : 1 décembre 2022

Affaibli par une forte fièvre, Petrov est entraîné par son ami Igor dans une longue déambulation alcoolisée, à la lisière entre le rêve et la réalité. Progressivement, les souvenirs d’enfance de Petrov ressurgissent et se confondent avec le présent…

Le film

[3,5/5]

La grande question qui pourra venir à l’esprit du spectateur à la découverte de La fièvre de Petrov est de savoir si, oui ou non, le film de Kirill Serebrennikov s’inscrit dans le genre de la science-fiction et nous propose une vision dystopique de la Russie. Les autorités russes affirmeraient bien entendu que le film de Serebrennikov ne représente pas le pays tel qu’il est aujourd’hui, et il est vrai que le film se déroule dans un univers de violence et de misère sociale qui fait froid dans le dos, et qui rappelle tout autant les soirs de « Purge » imaginés par la saga American Nightmare que des mégalopoles ultra-violentes mises en scène par des chefs d’œuvre du cinéma d’anticipation tels que Robocop par exemple.

Cependant, dans les premières minutes du film, un personnage s’adressant à Petrov lui déclare : « Gorbatchev a vendu le pays, Eltsine buvait comme un trou. Berezovsky l’a viré et il a nommé ceux qui sont encore là. » Ainsi, il semble manifeste que La fièvre de Petrov inscrit bel et bien son récit dans une société russe pas si éloignée de la réalité, ce qui donne davantage de poids à la réflexion amorcée par le film sur le ras-le-bol des classes sociales les plus désavantagées du peuple russe, qui s’avèrent ivres de racisme, de violence et de misogynie.

Basé sur un roman d’Alexeï Salnikov « Les Petrov, la Grippe, etc. » (Editions des Syrtes, 2020), le film commence en suivant le personnage de Petrov (Semion Serzine), malade, voyageant dans un bus et entouré de personnages bizarres. Un vieil homme monte dans le bus, agresse verbalement une petite fille, et est rapidement jeté dehors. Petrov lui-même est alors pris à parti et impliqué en tant que tireur dans un peloton d’exécution visant un petit groupe de cols blancs, puis invité à suivre Igor (Youri Kolokolnikov), qui circule à l’arrière d’un corbillard en buvant beaucoup et s’avérera capable de relier le monde des vivants et celui des morts. En l’espace de quelques minutes seulement, La fièvre de Petrov embarque avec lui le spectateur dans une nuit qui s’annonce d’entrée de jeu comme bizarre, hypnotique et carrément fascinante.

Nous ferons ensuite la connaissance de Nurlinsa (Tchoulpan Khamatova), l’ex-femme de Petrov, ainsi que de son jeune fils, dans des séquences mélangeant volontiers fantasmes et réalité(s), les visions liées au personnage de Nurlinsa étant également très violentes. À partir de là, la narration de La fièvre de Petrov, clairement non conventionnelle, passera sans prévenir, et souvent dans un même plan, du passé au présent, du fantasme à la réalité. Et pile au moment où l’on pensait avoir adhéré à la structure détraquée du film, Kirill Serebrennikov nous assène un nouveau coup de théâtre, obligeant notre cerveau à se reconnecter et à recommencer à réfléchir. Le cinéaste, et c’est louable, n’offre jamais de réponses faciles : son film invite le spectateur à réfléchir sur la société du passé, du présent et de l’avenir. De fait, les séquences qui s’enchaîneront pendant près de deux heures et demie au cœur de La fièvre de Petrov – tant dans la réalité que dans les rêves – seront parfois difficiles à appréhender dans leur déferlement, et présenteront un intérêt variable, qui tend parfois à faire baisser l’intérêt du spectateur sur ce qui est en train de se dérouler à l’écran. Parmi le déluge de personnages et de scènes du film, il y en a une poignée qui sont vraiment extraordinaires, mais il y en a tout autant de plus faibles, et dans l’ensemble, elles sont rarement liées entre elles et ne se complètent pas forcément les unes les autres.

Heureusement, d’un point de vue strictement technique, La fièvre de Petrov s’avère tout simplement époustouflant. La photo audacieuse de Vladislav Opeliants et le montage expert de Iouri Karikh font s’entremêler d’une manière impressionnante les mondes du rêve et de la réalité, avec des transitions fluides entre chaque histoire et chaque scène. Cette sensation de fluidité rappelle notamment celle de Birdman (Alejandro González Iñárritu, 2014), et s’avère souvent tout aussi impressionnante. Vladislav Opeliants utilise également des angles de caméra originaux et assez uniques pour conférer à La fièvre de Petrov cette atmosphère flirtant toujours de près avec la science-fiction. Les effets visuels sont impressionnants, et les éclairages éthérés amplifient cette impression tenace de naviguer dans un monde n’étant pas tout à fait le nôtre : même une simple lampe finit par ressembler à un vaisseau spatial dans le film de Kirill Serebrennikov.

En deux mots comme en cent, La fièvre de Petrov s’avère une expérience cinématographique sauvage et audacieuse : Kirill Serebrennikov y fait preuve d’un style visuel et d’une maîtrise technique absolument bluffantes, mais peine finalement un peu sous le poids de sa propre ambition. Le film aurait ainsi probablement gagné à se voir légèrement resserré, ce qui aurait permis à cette déambulation fiévreuse et alcoolisée sujette à de multiples interprétations de gérer son rythme de façon un peu plus efficace.

Le Blu-ray

[4/5]

Après nous avoir proposé de découvrir La fièvre de Petrov au format DVD, Condor Entertainment s’est finalement rendu à l’évidence : visuellement époustouflant, le film de Kirill Serebrennikov méritait amplement une présentation en Haute-Définition. La fièvre de Petrov ressort donc aujourd’hui au format Blu-ray, et on ne pourra que saluer l’éditeur pour cette initiative courageuse (et méritée). Et comme on pouvait s’y attendre, la redécouverte du film en HD est un véritable régal pour les mirettes : le rendu visuel du film est de toute beauté, la définition et le piqué sont à couper le souffle et les couleurs explosent littéralement de mille feux. La profondeur de champ est d’une belle précision, et même les scènes en basse lumière affichent une forme pas croyable. Le boulot d’encodage des équipes techniques de Condor Entertainment rend ainsi pleinement justice à la très belle photo du film, signée Vladislav Opeliants. Du côté du son, la version originale nous est proposée en DTS-HD Master Audio 5.1, et le mixage proposé par l’éditeur est tout à fait satisfaisant, prenant toute leur ampleur lors de nombreuses scènes riches en gros surrounds et effets multi-directionnels à gogo. On notera par ailleurs que Condor n’oublie pas les cinéphiles qui visionnent leurs films à domicile sans utiliser de système de spatialisation sonore : l’éditeur nous propose également de découvrir le film en DTS-HD Master Audio 2.0 – un choix qui s’avérera probablement plus cohérent si vous visionnez La fièvre de Petrov sur un « simple » téléviseur, sans utiliser de barre de son ou d’installation Home Cinema.

Côté interactivité, on trouvera une présentation du film par Joël Chapron (40 minutes), historien et spécialiste du cinéma russe, qui tentera de nous donner quelques clés de lecture du film. En préambule, le réalisateur Kirill Serebrennikov conseillera donc au spectateur de garder l’esprit ouvert et le sens de l’humour, de façon à accepter cette « histoire fantastique assez déjantée ». Chapron y reviendra sur la personnalité de Serebrennikov, sur son parcours artistique ainsi que sur le contexte de production du film. Il reviendra sur certaines séquences du film en particulier, et soulèvera l’idée selon laquelle le film gagnerait à être vu en « odorama », chaque séquence du film dégageant une odeur particulière.

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