La baie sanglante
Italie : 1971
Titre original : Reazione a catena
Réalisateur : Mario Bava
Scénario : Filippo Ottoni, Mario Bava, Giuseppe Zaccariello
Acteurs : Claudine Auger, Luigi Pistilli, Claudio Volonté
Éditeur : ESC Éditions
Durée : 1h25
Genre : Horreur
Date de sortie cinéma : 3 avril 1973
Date de sortie DVD/BR : 5 mars 2019
La vieille comtesse Frederica est brusquement arrachée à son fauteuil d’invalide et pendue par son mari qui à son tour meurt sous les coups de poignard d’un mystérieux assassin. Quatre jeunes gens venus se divertir pénètrent par effraction dans la villa. Pendant que l’une des filles se baigne nue dans la baie et se retrouve la gorge tranchée, un garçon et une fille désirant faire l’amour se retrouvent épinglés au lit par une lance…
Le film
[4,5/5]
Si Mario Bava a contribué à créer le genre « giallo » avec La fille qui en savait trop (1963) puis avec Six femmes pour l’assassin (1964), dans lequel il introduira certains des motifs les plus emblématiques du genre (le meurtrier masqué, le fétichisme du couteau brillant et des mains gantées de noir), les bases du genre tel qu’il inonderait les écrans du monde entier durant les années 70 seraient surtout posées par Dario Argento avec L’oiseau au plumage de cristal (1970).
La baie sanglante (1971) permettra donc à Bava de prouver à ceux qui en douteraient encore qu’il était un des créateurs de formes les plus fascinants de son époque : il y reprendra en effet les bases du giallo établies par Argento et lui-même pour y ajouter un soupçon de cynisme, presque parodique, qui montrent à quel point le cinéaste ne se reposait pas sur ses acquis. D’un point de vue narratif, le scénario bouge perpétuellement, chaque personnage devient à un moment un loup pour l’autre, le premier tueur cédant la place à un autre, puis un autre, puis à un autre, chacun tuant pour son propre intérêt jusqu’à un dénouement aussi amusant qu’absurde et cruel.
Si le récit est parfaitement bien huilé, il est indéniable que La baie sanglante est transcendé par la mise en scène de Mario Bava, dont les mouvements de caméra, précis et amples, conviennent parfaitement à ce récit absurde mettant en scène des réactions en chaîne (Reazione a catena est d’ailleurs le titre original du film) aussi graphiques que méchamment « gore », surtout compte tenu de l’époque : une machette plantée en travers de la tronche, un couple en pleine copulation transpercé par une lance, une jeune femme égorgée en pleine course… Ça ne vous rappelle rien ? Les analogies avec le Vendredi 13 de Sean S. Cunningham sont nombreuses, mais force est de constater que le pompage ricain ne passionnera guère les gens de bon goût.
Alors certes, les cancres du fond près du radiateur railleront ironiquement le fait que le film est assez grotesque et volontiers vulgaire, et que l’on est loin du Bava gothique du Corps et le fouet ou du Masque du démon. Arg, vous avez raison, les cyniques, comment pourrait-on affirmer le contraire, d’ailleurs ? Mais force est de constater tout de même que cette Baie Sanglante, riche de ses outrances narratives et visuelles quasi-ininterrompues, constitue vraiment un divertissement de haute tenue, et un film très attachant – un des sommets inattendus de la carrière de Mario Bava en somme !
Pour la petite histoire, et pour entériner le fait que La baie sanglante est un film absolument déviant, on signalera ici que le long-métrage de Bava est, à l’image de beaucoup de films des late 60’s et des early 70’s, une œuvre « phare » pour les amateurs d’upskirt. Kézaco me demanderez-vous ? L’upskirt (anglicisme argotique, signifiant littéralement « sous la jupe ») est une forme d’érotisme soft dérivée du voyeurisme, existant depuis le milieu des années 60, qui consiste à photographier ou à filmer sous les jupes des femmes, le plus souvent en contre-plongée, dans le but de dévoiler leurs sous-vêtements. A l’évidence, Mario Bava était un des précurseurs de l’upskirting – c’est flagrant dans un film tel que La baie sanglante, mais également dans d’autres films tournés par le cinéaste à la même époque, tels que L’île de l’épouvante (1970) ou Quante volte… quella notte (1971). De nos jours, il serait en prison, car cette pratique est considérée comme illégale dans de nombreux pays. En France notamment, un amendement au projet de loi contre les violences sexistes et sexuelles prévoit une peine d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende pour les auteurs d’upskirting depuis 2018.
Le Blu-ray
[5/5]
L’édition collector Blu-ray + DVD + livret de La baie sanglante éditée par ESC Éditions en mars dernier est déjà la troisième édition du film proposée sur le territoire français, mais la première en Haute Définition. Le film était en effet déjà sorti en DVD en 2000 sous les couleurs de TF1 Vidéo, puis en 2009 sous celles de Carlotta Films. Mais par le soin éditorial déployé par ESC Éditions et la présence d’un Blu-ray fait forcément de cette nouvelle édition un incontournable, et de très loin la meilleure disponible en France à ce jour pour ce film.
Aussi bien côté image que côté son, le master proposé par l’éditeur est d’excellente tenue, et risque à priori de mettre tout le monde d’accord : le film est proposé au format 1.85:1 respecté et encodé en 1080p. L’éditeur a tenu éloignée la tentation d’avoir recours au réducteur de bruit, les défauts liés au temps constatés sur le DVD de 2008 ont été corrigés, le piqué est d’une belle précision, le grain argentique a été préservé et la gestion des contrastes semble avoir fait l’objet d’une attention toute particulière : l’ensemble est excellent. On notera également la présence du montage italien du film, légèrement différent de celui auquel nous sommes habitués, présenté à des fins « d’archive » et dans un état un peu inférieur du strict point de vue technique (présence de poussières, etc). Côté son, le film est proposé dans plusieurs versions, qui ont toutes leurs qualités et leurs défauts, mais dans tous les cas, les mixages imposent un dynamisme assez étonnant, surtout si l’on tient compte de l’âge du film (presque 50 ans, tout de même). LA VF en DTS-HD Master Audio 2.0 restitue parfaitement les dialogues, et laisse s’épanouir la musique de Stelvio Cipriani de façon très agréable. La version française est également proposée en DTS-HD Master Audio 5.1, mais la spatialisation est somme toute – et fort heureusement – finalement assez anecdotique. La version anglaise et la version italienne (post-synchronisées dans les deux cas) sont également proposées en DTS-HD Master Audio 2.0, et sont tout à fait satisfaisantes. Les sous-titres ne posent pas de problème particulier.
Côté suppléments, l’éditeur nous propose, outre la version italienne inédite qui s’avère une véritable curiosité pour qui apprécie le film, une série d’entretiens très riches et la plupart du temps assez passionnants. On commencera avec un entretien avec Gérard Lenne (25 minutes), historien du cinéma fantastique, qui remettra le film dans son contexte de tournage tout autant qu’au sein de la carrière de Mario Bava. Il évoquera les difficiles conditions de tournage du film, surtout critiques du point de vue financier, et l’étrange destinée du film, resté sur les étagères des producteurs avant de se voir finalement révélé par le festival d’Avoriaz en 1973, où il sera véritablement découvert et pourra répandre son influence au-delà des frontières italiennes, puisque La baie sanglante s’impose comme un véritable précurseur du slasher américain. On continuera avec un entretien avec Nicolas Stanzick (25 minutes), qui partira un peu d’avantage sur la pente « analytique », dans le sens où ce dernier, après avoir rapidement replacé le film dans l’œuvre de Bava, évoquera ses aspects les plus formels tout autant que les multiples interprétations que l’on peut faire de l’intrigue. L’esthétique et les thématiques du film y seront largement passées en revue par un Nicolas Stanzick toujours aussi passionnant et curieusement toujours aussi jeune – tel un Peter Pan de la critique, il ne semble pas vieillir, ce qui finira par lui jouer des tours : il est ainsi qualifié dans le sujet de « critique aux Cahiers du Cinéma », alors que s’il avait quelques cheveux blancs, il serait probablement promu au rang plus prestigieux d’« historien du cinéma ». Un titre honorifique qu’il mérite par ailleurs amplement, malgré une petite erreur sur le patronyme du directeur photo de Bava, Ubaldo Terzano, devenu « Terzani » durant son intervention. On lui pardonne cela dit cette petite erreur. On terminera ensuite avec une analyse de séquences par Mathieu Macheret (20 minutes), qui reviendra dans le détail sur les premières minutes du film, puis sur la séquene de la baignade fatale du personnage incarné par Brigitte Skay. Certains de ces propos sont très intéressants, mais le sujet aurait peut-être nécessité un peu de coupe, dans le sens où le critique tombe par moments dans le travers propre à ce genre d’analyse de séquences, et se contente de simplement décrire ce qui se passe à l’image. Pour autant, ses propos, dès qu’ils se révèlent plus affutés et analytiques, sont non seulement tout à fait pertinents mais également assez passionnants.
A l’approche de Noël, on notera que le Blu-ray de La baie sanglante édité par ESC Éditions est disponible au cœur d’un coffret dédié à Mario Bava, contenant également Le corps et le fouet et Une hache pour la lune de miel.