Johnny Guitare
États-Unis : 1954
Titre original : Johnny Guitar
Réalisation : Nicholas Ray
Scénario : Philip Yordan
Acteurs : Joan Crawford, Sterling Hayden, Paul Fix
Éditeur : Sidonis Calysta
Durée : 1h50
Genre : Western
Date de sortie cinéma : 11 février 1955
Date de sortie DVD/BR : 2 décembre 2021
Armé de sa seule guitare, Johnny Logan renoue avec Vienna, une vieille connaissance qui, désormais propriétaire d’un saloon isolé, attend que le chemin de fer en construction arrive jusqu’à elle. Une perspective qui n’est pas du goût des éleveurs de la région, inquiets que le train n’y déverse des flots de colons. Également suspectée de cacher le « hors-la-loi » Dancing Kid et ses complices accusés de meurtre, Vienna a plus que jamais besoin de la protection de cet homme surgi du passé…
Le film
[4/5]
Johnny Guitare est un western de Nicholas Ray sorti en 1954, n’ayant pas forcément convaincu tout le monde lors de sa sortie il y a soixante-dix ans, mais étant aujourd’hui quasi-unanimement considéré comme un des plus grands chefs d’œuvre du genre. Il faut dire que de nos jours, on tend à surtout lire dans le film sa critique déguisée du maccarthysme, quitte à faire l’impasse sur sa drôle d’allure formelle. Parce qu’après avoir vu passer des dizaines de processus de films couleur différents au fil des années (Technicolor, Agfacolor, Magnacolor, Trucolor…), le cinéphile contemporain ne fait plus vraiment attention aux couleurs du western, et cet aspect passe finalement un peu à la trappe dans notre appréciation du genre.
Sauf que dans le cas de Johnny Guitare, il semble difficile de mettre de côté les couleurs vives, limite fluo / cartoonesques, qui donnent au film de Nicholas Ray un côté grotesque, coloré comme du Baz Luhrmann, d’autant plus ridicule que le film verse régulièrement dans le mélo. La plupart des cinéphiles conservent dans un coin de leur esprit que l’évolution des processus de films en couleur s’est faite assez lentement, que les couleurs d’hier n’étaient pas celles d’aujourd’hui. De plus, on imagine aussi parfois qu’il existe une certaine « dérive » des couleurs au fil des ans, que l’on met sur le compte de je ne sais quel principe de vieillissement de la pellicule, comme si tel ou tel rendu chromatique d’aujourd’hui n’était pas forcément celui qui était obtenu à l’époque.
Il n’en est rien. On ne peut pas balayer cet aspect du film de Nicholas Ray d’un revers de la main en mettant son originalité uniquement sur le compte de son époque de production. Les couleurs criardes de Johnny Guitare étaient déjà telles quelles en 1954, et la saturation des couleurs était un élément formel sur lequel Nicholas Ray jouait volontairement. Les lèvres de Joan Crawford arboraient déjà un rouge beaucoup trop rouge. Sa chemise jaune avait déjà cette tonalité presque fluorescente. Les blancs étaient déjà éclatants au point de faire ressortir tous les yeux et les dents comme des phares dans la nuit, ce qui avait déjà tendance à accentuer de façon très claire le bleu des yeux de tous personnages. Le décalage temporel ne peut nous faire oublier que ce traitement des couleurs extrêmement particulier était recherché par Nicholas Ray, qui nous offrait alors une série B dont la forme flirtait volontiers avec l’expérimental, à la façon par exemple d’un film tel que Les larmes du tigre noir (2002), qui lui rendait clairement hommage.
Et le fait de faire verser ses personnages habillés en clowns dans le mélo le plus sirupeux amène forcément une distanciation, nécessaire à Nicholas Ray afin de souligner les multiples niveaux de lecture de son œuvre. Le spectateur de l’époque ne pouvait être dupe, et il n’est ainsi point étonnant que les cinéastes de la Nouvelle Vague aient adoré Johnny Guitare à la sortie du film en France en 1955 : jouant avec les codes du western et du cinéma en général, le film est toujours sur la corde raide entre le sublime et le grotesque, développant une ambiance presque surréaliste. Un cinéaste tel que Jean-Luc Godard s’inspirerait énormément de ce grand chamboulement des règles classiques dans ses premiers films en couleurs : il jouerait également beaucoup sur le côté volontairement outré des couleurs dans des films tels que Pierrot le fou ou Le mépris.
Et pour encore en rajouter une couche dans le côté « ridicule » et atypique de son western, Nicholas Ray dévirilise complètement ses personnages masculin : le Johnny Guitare du titre (Sterling Hayden) est un pleurnichard, et le casting est dominé par deux personnages féminins très forts, incarnés par Joan Crawford et Mercedes McCambridge, qui utilisent les hommes comme autant de simples marionnettes. Ces deux femmes fortes remettent en question un certain « machisme de genre », qui définit d’ailleurs encore largement le western de nos jours. Tous ces changements radicaux permettent à Nicholas Ray d’investir le western comme un terrain de jeu expérimental, très éloigné d’un quelconque sentiment d’authenticité, mais créant et maintenant sur toute sa durée une atmosphère unique. Bizarre, baroque, kitsch, mais aussi curieusement fascinant et attachant – autant dire définitivement unique.
Le Blu-ray
[4/5]
Inédit au format Haute-Définition, Johnny Guitare était attendu de pied ferme en Blu-ray par les amateurs de western, et le master proposé par Sidonis Calysta, même s’il n’a sans doute pas bénéficié de la restauration 4K annoncée sur la jaquette, est tout à fait satisfaisant : le film est proposé au format 1.37 et encodé en 1080p, et l’image affiche globalement un niveau de détail accru, tout en respectant le grain argentique d’origine. Le piqué est bon, les couleurs explosives et les contrastes pointus accentuent l’impression de profondeur de l’ensemble : c’est du très beau travail. Le mixage audio est proposé en DTS-HD Master Audio 2.0 d’origine, en VF et en VO : dans les deux cas, la présentation acoustique est claire et nette, il n’y a rien à redire, c’est tout à fait satisfaisant.
Côté suppléments, l’éditeur nous propose tout d’abord un livret inédit de 80 pages rédigé par Patrick Brion, et largement illustré de photos. Il y reviendra sur les intentions de Nicholas Ray ainsi que sur le contexte de tournage du film. Sur la galette à proprement parler, on commencera avec une introduction de Martin Scorsese (3 minutes), qui reviendra sur les particularités du film et sur sa réception aux États-Unis et en Europe. On poursuivra ensuite avec une présentation du film par Patrick Brion (22 minutes), qui résumera en vidéo ce qu’il a écrit dans le livret. On en profite par ailleurs pour souhaiter un JOYEUX ANNIVERSAIRE à Patrick Brion, qui fête aujourd’hui même ses 80 ans. On trouvera également une présentation du film par Jean-François Giré (20 minutes), qui quant à lui dressera un parallèle entre le personnage de Vienna (Joan Crawford) dans Johnny Guitare et celui de McBain (Frank Wolff) dans Il était une fois dans l’Ouest, avant de s’attarder assez longuement sur les qualités du film ainsi que sur le jeu de Mercedes McCambridge. Enfin, on terminera avec un entretien avec Bertrand Tavernier au sujet de Johnny Guitare (37 minutes), réalisé à l’origine par Olivier Père pour la chaîne Arte. Il y reviendra sur la paternité du scénario, sur la relation entre Joan Crawford / Nicholas Ray, ainsi que sur le tournage, les dialogues du film ou encore le procédé du Trucolor. Enfin, on terminera avec un clip de Peggy Lee chantant la chanson du film, d’une qualité absolument atroce (sûrement tirée de Youtube) ainsi qu’avec les traditionnelles bandes-annonces.