Test Blu-ray : Joe, c’est aussi l’Amérique

0
383

Joe, c’est aussi l’Amérique

États-Unis : 1970
Titre original : Joe
Réalisation : John G. Avildsen
Scénario : Norman Wexler
Acteurs : Peter Boyle, Dennis Patrick, Susan Sarandon
Éditeur : ESC Éditions
Durée : 1h47
Genre : Drame
Date de sortie cinéma : 19 avril 1971
Date de sortie DVD/BR : 24 juillet 2024

Bill Compton, un riche publicitaire, ne supporte pas que sa fille Melissa soit en couple avec un dealer. Après une overdose qui la conduit à l’hôpital, Bill se rend chez le petit ami de sa fille et l’assassine dans un accès de colère. Peu après, il rencontre Joe Curran, un ouvrier à qui il confesse son crime…

Le film

[4/5]

Joe, c’est aussi l’Amérique est un film singulier. Réalisé par John G. Avildsen et sorti en 1970, le film du futur réalisateur de Rocky a remporté un franc succès aux États-Unis, notamment en raison des opinions politiques pour le moins tranchées – et très à droite – régulièrement exprimées par le personnage central, qui ont créé la polémique. Tourné dans un style proche du documentaire, le film met en lumière la frustration des « blue collars » américains et autres laissés pour compte d’un système en pleine (r)évolution, et s’impose presque comme une réponse cinglante à Easy Rider (Dennis Hopper, 1969), dans le sens où le récit tend vraiment à faire passer les hippies – et plus largement les jeunes – pour la lie de la société US, composée de drogués, de criminels, de sans-abris et autres sangsues s’en prenant à un système déjà au bord de l’implosion.

Au-delà de sa structure narrative étonnante, qui passe sans transition d’un personnage à un autre tout au long de sa première partie (avant de les regrouper dans son deuxième acte), Joe, c’est aussi l’Amérique est également intéressant dans le sens où le point de départ de son intrigue – la mort d’un dealer par accident – prendra au fil du récit une coloration politique forte, annonçant avec quelques années d’avance les grandes heures à venir du « Vigilante movie » (Un Justicier dans la ville, Exterminator, Exterminator 2, Vigilante…). En effet, en débarrassant la société d’un délinquant notoire, le personnage de Bill s’est substitué à la police ainsi qu’à la justice des hommes, tout comme le fera, pour ne citer que l’exemple le plus célèbre, Paul Kersey / Charles Bronson dans Un Justicier dans la ville.

Pour autant, Joe, c’est aussi l’Amérique n’est pas encore tout à fait un « Vigilante movie » dans le sens où on l’entend aujourd’hui, et ce pour diverses raisons. Déjà, il faut souligner que Joe (Peter Boyle) et Bill (Dennis Patrick) ne vont pas se lancer armes à la main dans une « croisade » destinée à nettoyer les rues de New York de toute leur racaille. L’intrigue du film est en effet construite sur un triste enchainement de circonstances, qui mènera certes à un final dramatique mais qui n’était pas à priori pensé dans ce but (quoiqu’il soit permis d’émettre quelques doutes sur les motivations réelles de Joe), mais dans celui, plus honorable, de tirer la fille de Bill des griffes de ces dangereux hippies.

Il faut également souligner que si Joe, c’est aussi l’Amérique n’est pas tendre dans sa représentation des différents personnages de hippies, pullulant, volant et partouzant – littéralement – dans les taudis de Greenwich Village, le film ne semble pas non plus forcément adopter le point de vue et les opinions politiques de Joe. C’est tout particulièrement manifeste lors d’une séquence durant laquelle les deux personnages principaux visitent un magasin type Flower Power : tombant sur un poster brocardant Richard Nixon, Joe s’exclame « Si on ne peut pas faire confiance au président des Etats-Unis, alors à qui peut-on faire confiance ? ». C’est le seul moment du film durant lequel le scénario, signé Norman Wexler (qui fut par ailleurs nommé à l’Oscar du meilleur scénario original en 1971) en fait un peu trop, et trahit sa véritable nature.

En effet, si le film de John G. Avildsen évitait jusque-là de porter le moindre signe de jugement, on comprend dès lors que les auteurs de Joe, c’est aussi l’Amérique ne sont pas des républicains frustrés, désireux de mettre au pilori tous les jeunes portant les cheveux longs. Ou peut-être le désirent-ils vraiment, mais parallèlement, ils n’adhèrent pas non plus aux discours extrémistes et racistes développés par Joe dans sa diatribe destinée à nous présenter le personnage. John G. Avildsen et Norman Wexler tirent en réalité tous azimuts à la fois sur tous les partis politiques, qu’ils soient de gauche ou de droite, pointant du doigt les dérives au cœur des deux camps et des deux générations (parents / enfants).

On l’a déjà évoqué un peu plus haut, mais Joe, c’est aussi l’Amérique développe tout au long de son intrigue un côté extrêmement naturaliste, proche du documentaire. A ce titre, il fallait que John G. Avildsen fasse appel à des acteurs très solides, capables de porter sur leurs épaules le film sans le faire basculer dans la reconstitution artificielle – rien de pire en effet qu’un acteur qui « joue le prolo », et Peter Boyle se tire à merveille de cet exercice périlleux : il est même plus vrai que nature dans la peau de ce géant paumé et brisé par la solitude. A ses côtés, Dennis Patrick s’en sort également plutôt bien dans le rôle du « bourgeois » Bill, mais on ne peut pas comparer sa prestation à l’intensité de chien fou qui habite Peter Boyle. On notera également la présence au casting d’une toute jeune Susan Sarandon, qui apparaissait pour la toute première fois à l’écran, cinq ans avant d’obtenir le rôle de Janet dans The Rocky Horror Picture Show.

Le Blu-ray

[4/5]

C’est donc sous les couleurs d’ESC Éditions que l’on pourra aujourd’hui découvrir ou revoir Joe, c’est aussi l’Amérique, qui fut un temps disponible en France en VHS, sous son titre original Joe, chez UGC Vidéo qui avait à l’époque choisi une accroche mensongère et grammaticalement douteuse : « Dans sa cible, les punks et les camés ». Pour son arrivée sur support Blu-ray, le film de John G. Avildsen s’offre une présentation tout à fait recommandable : le master Haute-Définition nous propose en effet des couleurs fidèles à la patine 70’s du film, le piqué et le niveau de détail ne faiblissent que sur les plans comportant des mentions écrites et/ou des fondus, et l’ensemble affiche un grain argentique bien préservé : c’est du très beau travail, même si l’ensemble manque peut-être légèrement de stabilité sur une séquence ou deux. Côté son, VF et VO sont proposées dans des mixages DTS-HD Master Audio 2.0, et proposent un rendu sonore clair, net et au final tout à fait recommandable. La version française d’origine, dont le doublage est assuré, entre autres, par Jacques Dynam et Marc Cassot, est clair et tout à fait satisfaisant. On notera que certains passages, coupés pour l’exploitation française du film, nous sont proposés dans la langue de Shakespeare.

Du côté des suppléments, on trouvera, en plus de la traditionnelle bande-annonce, une passionnante présentation du film par Jean-Baptiste Thoret (47 minutes). Ce dernier commencera son intervention en évoquant le Vigilante movie et la carrière de John G. Avildsen, Il embrayera ensuite avec une analyse plus poussée et très pertinente, en revenant sur le fait que le film s’oppose à la contre-culture des années 70 en donnant la parole à la fameuse « majorité silencieuse » ayant permis d’élire Richard Nixon. Il évoquera l’importance des événements sociaux de l’année 1970 : le meurtre de quatre étudiants par la garde nationale de l’Ohio lors d’une manifestation contre la guerre du Viêt Nam sur le campus de l’université d’État de Kent, et le « Hard Hat Riot » qui suivit quelques jours plus tard, quand des ouvriers du bâtiment ont attaqué des manifestants anti-guerre à Wall Street. Il reviendra également sur le rapprochement des deux personnages au cœur de l’intrigue de Joe, c’est aussi l’Amérique, qui sont des solitaires ayant échoué avec leurs enfants et entourés de collègues hypocrites, et soulignera à quel point les personnages semblent vouloir se réapproprier le mythe du héros de western américain, avec notamment une dernière partie reprenant l’intrigue de La Prisonnière du Désert à la sauce urbaine 70’s. Il terminera en revenant sur le projet de suite du film, qui ne se concrétiserait finalement pas, mais qui devait mettre en scène Joe sortant de prison dix ans après les événements du premier film, et le voir intégrer les Guardian Angels, ces fameuses milices effectuant des patrouilles dans le but de combattre la violence dans le métro de New York à la fin des années 80.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici