Je sais rien mais je dirai tout
France : 1973
Titre original : –
Réalisation : Pierre Richard
Scénario : Pierre Richard, Didier Kaminka
Acteurs : Pierre Richard, Bernard Blier, Hélène Duc
Éditeur : StudioCanal
Durée : 1h21
Genre : Comédie
Date de sortie cinéma : 6 décembre 1973
Date de sortie Blu-ray : 14 septembre 2022
Pierre est le fils d’un industriel qui fournit des armes aussi bien à Israël qu’à l’Égypte. C’est un doux poète qui tente de remettre dans le droit chemin trois petits malfrats qui se moquent de lui. Il est contraint d’intégrer l’entreprise familiale et il provoque d’incroyables catastrophes…
Le film
[4/5]
Encouragé par Yves Robert à se créer lui-même sa propre place au sein du cinéma français, Pierre Richard était passé à la réalisation dès le début des années 70, avec Le Distrait. Grand succès dans les salles obscures, ce premier film lui permettrait de se façonner un personnage assez unique : celui d’un grand échalas dégingandé et maladroit, occasionnellement bavard, fantaisiste, survolté et/ou poétique, et semblant surtout complètement inadapté au monde qui l’entoure. Cette personnalité, l’acteur la cultiverait avec plus ou moins de succès tout au long de sa carrière.
Et si au fil des années, les films mettant en scène Pierre Richard deviendraient de plus en plus « inoffensifs », ses premiers films en tant que scénariste, réalisateur et acteur principal portaient clairement les stigmates de l’époque à laquelle ils ont été tournés : on y sent clairement une influence « baba cool », tout autant que les espoirs (déçus ?) de la période post-Mai 68. En cela, les trois premiers films de Pierre Richard se rapprochent, dans l’esprit, beaucoup des féroces brûlots « anars de droite » tournés par Jean Yanne à la même époque, tels que, par exemple, Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil (1972). Ainsi, au-delà des gesticulations poétiques de son interprète principal, Le Distrait (1970) fustigeait clairement les dérives de la publicité, Les Malheurs d’Alfred (1972) tirait à boulets rouges sur les magouilles de la télévision, et Je sais rien mais je dirai tout (1973) s’en prenait quant à lui de façon assez frontale au cynisme des marchands d’armes.
Pour autant, si Jean Yanne faisait preuve d’un cynisme réjouissant dans ses films des années 70, il ne laissait en revanche que peu de place à l’espoir quand il s’agissait d’envisager des lendemains meilleurs. Avec Je sais rien mais je dirai tout en revanche, Pierre Richard se pose en anarchiste poétique, gentiment contestataire : on sent en effet que derrière le cynisme de façade se cachent des aspirations et des rêves utopiques concernant la société de demain. Appuyé par une bande originale signée Michel Fugain et le Big Bazar, il se risque ici à la satire socio-économique de façon assez remarquable, et même finalement assez ambitieuse dans son genre – plutôt que de dresser un constat d’échec, il joue plutôt la carte de la revendication, tout en n’oubliant jamais de se montrer inventif, très souvent drôle et même par moments assez touchant.
A travers son personnage lunaire, et une poignée de séquence développant un humour absurde parfois vraiment irrésistible, Je sais rien mais je dirai tout n’en évite pas pour autant un aspect un peu « brouillon » par moments. Il faut ainsi avouer qu’à force de tirer dans tous les sens, tout à la fois sur les marchands d’armes, le patronat, les administrations, les métiers à vocation sociale ou les organisations syndicales, Pierre Richard donne parfois un peu l’impression de s’éparpiller quelque peu. De fait, Je sais rien mais je dirai tout prendra rapidement des allures désordonnées, la construction narrative de l’ensemble s’articulant grosso modo comme une suite de sketches (la prise de sang, le guichet de l’agence pour l’emploi, le passage des peintres…).
Mais malgré ce manque de rigueur, qui eut probablement permis à Je sais rien mais je dirai tout de viser un peu plus juste, on ne pourra que s’incliner devant l’abattage déployé par Pierre Richard et ses acteurs afin de nous faire rire : la plupart des moments de bravoure du film sont en effet absolument réjouissants, même si certains ne passeraient plus du tout aujourd’hui, telles que cette remise des jouets militaires aux enfants de l’école, qui ferait probablement rugir les ayatollahs des réseaux sociaux si le film sortait de nos jours. De plus, quel plaisir de revoir tous ces seconds-rôles que l’on adore : Bernard Blier bien sûr, mais également Pierre Tornade, Daniel Prévost, Victor Lanoux, Luis Régo, Georges Beller, Didier Kaminka, les Frères Ennemis (André Gaillard et Teddy Vrignault), Pierre Repp, Michel Delahaye… et même les Charlots, qui nous livrent une petite apparition en forme de clin d’œil dans la dernière séquence.
Le Blu-ray
[5/5]
Inédit au format Blu-ray, Je sais rien mais je dirai tout vient tout juste de débarquer en Haute-Définition chez StudioCanal, au sein d’une première vague de titres posant les premiers jalons d’une formidable nouvelle collection intitulée « Nos Années 70 », supervisée par Jérôme Wybon. Le transfert de cette nouvelle édition Blu-ray nous permettra de constater un indéniable upgrade par rapport à l’édition DVD de 2002 ; les contrastes et couleurs sont bien gérés, et le léger bruit vidéo parasitant inévitablement l’édition DVD est désormais absent. La copie est d’une belle stabilité, et l’ensemble est proposé en 1080p. Du côté de la définition et du piqué à proprement parler, certains plans passeront mieux que d’autres, et dans l’ensemble, c’est vraiment de toute beauté. Côté son, le film nous est proposé en DTS-HD Master Audio 2.0 d’origine. La piste audio est parfaitement claire et nette, et ce même quand plusieurs personnes s’expriment en même temps à l’écran.
Du côté des suppléments, on commencera par une intéressante présentation du film par Jérôme Wybon (6 minutes), qui remettra le film dans son contexte de tournage, et introduira de façon habile les différentes thématiques du film. On continuera ensuite avec une véritable rareté : un long making of d’époque (56 minutes), qui nous donnera à voir Pierre Richard sur le plateau et le tournage de nombreuses scènes. Enfin, on terminera avec la traditionnelle bande-annonce, qui s’accompagnera d’une série de scènes coupées (10 minutes), introduites et expliquées par Jérôme Wybon. La plupart d’entre elles mettent en scènes les personnages incarnés à l’écran par Luis Régo, Georges Beller et Didier Kaminka, et s’avèrent parfois très étonnantes, à l’image d’une scène musicale qui devait originellement ouvrir le film. Une richesse éditoriale carrément insoupçonnée pour un film aussi ancien !
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