Inferno
Italie : 1980
Titre original : –
Réalisation : Dario Argento
Scénario : Dario Argento
Acteurs : Leigh McCloskey, Irene Miracle, Eleonora Giorgi
Éditeur : ESC Éditions
Durée : 1h46
Genre : Fantastique, Horreur
Date de sortie cinéma : 16 avril 1980
Date de sortie DVD/BR : 6 novembre 2018
Étudiant à Rome, Mark Eliot reçoit une lettre de sa sœur Rose avant qu’elle ne disparaisse. Sur les lieux, à New York, non loin de Central Park, le jeune homme découvre un immeuble immense, percé de passages secrets. Il l’explore en quête d’indices conduisant à la disparue. Tandis que tous ceux qu’ils côtoient de près ou de loin meurent dans des circonstances abominables, Mark découvre qu’une force surnaturelle habitue cet endroit chargé de ces histoires dont on n’ose croire qu’elles sont réelles…
Le film
[4,5/5]
S’il ne nous viendrait pas naturellement à l’esprit l’idée de comparer les œuvres de Dario Argento et Lucio Fulci, le calendrier des sorties vidéo en cette fin d’année 2018 nous aura permis de redécouvrir quasiment dos à dos leurs films sortis durant l’année 1980, Inferno et L’au-delà. Ainsi, si les points de convergence entre les deux films avaient pu échapper au spectateur les ayant découverts à des périodes différentes à l’ère de la VHS triomphante, il nous parait aujourd’hui difficile de ne pas dresser de passerelles formelles et thématiques entre ces deux monuments de l’horreur italienne.
Bien sûr, on n’ira pas jusqu’à affirmer que la maîtrise technique propre à Dario Argento se retrouve dans le film de Fulci, d’autant que le déluge de moyens alloués à Inferno en font véritablement l’une de ses œuvres les plus abouties d’un point de vue formel, et sans le moindre doute possible le film sur lequel il a eu toute la latitude nécessaire afin de laisser libre cours à ses délires visuels les plus baroques et les plus personnels.
Ce n’est pas à vous qu’on va l’apprendre : Inferno est donc la suite informelle de Suspiria (1977), prolongeant la mythologie des « Trois Mères » (Mater Suspiriorum, Mater Tenebrarum et Mater Lachrymarum). Toujours co-écrit avec Daria Nicolodi, le film déploie une trame narrative simple, ayant la particularité de ne pas suivre de héros ou d’héroïne en particulier, le film bifurquant sans cesse d’un personnage à un autre pendant un long moment avant de se fixer sur celui de Mark, interprété par Leigh McCloskey. Suivant une logique n’appartenant qu’à lui, Argento les suit un à un, séparément, et chacun devient à son tour le personnage principal du film, ce qui renforce encore l’aspect « morcelé » du film, fonctionnant presque comme un film à sketches. Cet aspect « film dans le film » sert et dessert à la fois Inferno, dans le sens où si chaque segment du film s’avère indéniablement réussi et profondément marquant, on pourra avoir néanmoins tendance à oublier de quel film est issu telle ou telle séquence. Ainsi, si vous me permettez, ô lecteur chéri, un aparté complètement personnel – une fois n’est pas coutume ! – il se trouve qu’étant natif de 1980, j’ai découvert Inferno relativement tard, soit au début des années 90 en VHS. Une séquence du film en particulier m’a hanté durant de longues années : il s’agit de celle durant laquelle l’antiquaire Kazanian s’en va noyer les chats du voisinage dans son grand sac de jute. Hé bien figurez-vous que si j’étais parfaitement conscient que cette scène était signée Argento, je n’arrivais plus à « remettre » le film duquel elle était tirée. Ce n’est qu’en redécouvrant le film en DVD au début des années 2000 qu’enfin je parviendrais à resituer cette séquence au cœur d’une œuvre décidément étrange, enchaînant les séquences hallucinées autant que les moments de bravoure.
Et c’est bien dans cette narration morcelée, flottante, suivant une espèce d’étrange mécanique du « rêve », que l’on pourra rapprocher Inferno de son contemporain L’au-delà : les deux films suivent en effet la même (il)logique narrative, défiant tout recours au réalisme rationnel, et faisant le choix de littéralement immerger le spectateur (c’est le cas de le dire au vu de la première séquence du film) dans un univers labyrinthique où il perdra à coup sûr tout repère. Si bien sûr l’architecture de la maison au centre du film d’Argento évoque inévitablement dans ses excès baroques celle de l’école de danse suisse de Suspiria, on ne pourra s’empêcher d’y voir des similitudes avec la maison dans le bayou de L’au-delà, dont on ne sait jamais réellement où les escaliers vont mener les personnages – en tous cas sûrement pas juste « en haut » ou « en bas »… Avec leur ambiance tenant du cauchemar éveillé, au détour duquel toutes les horreurs peuvent arriver sans crier gare, les deux films jouent la carte d’un fantastique purement « atmosphérique », et s’imposent comme de purs objets cinématographiques menés par deux cinéastes totalement en phase avec leur médium et au summum de leur créativité artistique.
Au final, Inferno s’impose sans peine comme l’une des plus grandes réussites de la carrière de Dario Argento : un film certes imparfait mais comme touché par la grâce, et au cœur duquel tous les éléments (les décors, la photo et même la musique, dissonante, bizarre, souvent à contretemps de l’action) semblent converger vers une espèce de perfection jusqu’au-boutiste, un sommet de l’Art à la fois excessif, poétique et macabre de Dario Argento.
Le coffret Blu-ray + DVD + Livret
[5/5]
Inferno était déjà sorti sur support Blu-ray sur le territoire français en 2010, dans une édition Wild Side malheureusement épuisée depuis un moment, ce qui, ironiquement, collait parfaitement à la collection des « Introuvables » à laquelle il appartenait. Grâces soient donc rendues à ESC Éditions, éditeur touche à tout français qui nous permet de redécouvrir dans l’hexagone et sur une galette Haute Définition revue et corrigée le petit chef d’œuvre de Dario Argento. Le film s’impose qui plus est dans un packaging assez sublime, un beau mediabook collector reprenant le visuel de l’affiche d’origine, qui plus est proposé dans un tirage limité à 2000 exemplaires, et comprenant non seulement le Blu-ray et le DVD du film, mais également un livret de 24 pages signé Marc Toullec intégré à l’étui.
Si le master source semble à priori être le même que celui utilisé pour l’édition précédente (et paraîtra de fait peut-être un poil trop lumineux aux chanceux ayant découvert le film en salles à sa sortie), ESC a en revanche apporté d’avantage de soin à la restitution maniaque du grain d’origine et à la gestion des noirs, ce qui sera particulièrement parlant en ce qui concerne la scène, évoquée avec nostalgie un peu plus haut, durant laquelle le personnage de Kazanian (incarné par Sacha Pitoeff) s’en prend aux multiples chats entourant la vieille bâtisse. En ce qui concerne le son, VF et VO italienne sont toujours proposées en DTS-HD Master Audio 2.0 et mono (le mixage salles d’origine était en Dolby Surround), l’éditeur nous proposant en plus une version anglaise mixée en DTS-HD Master Audio 5.1 et peut-être bien plus respectueuse du rendu sonore d’origine. En effet, ce nouveau mixage n’en fait pas des caisses dans la spatialisation et propose des effets d’ambiances sobres et efficaces, en plus d’un bon placement, dynamique à souhait, de la musique de Keith Emerson.
Du côté des suppléments, outre le livret signé Marc Toullec que l’on a déjà évoqué, l’éditeur ESC Éditions nous propose rien de moins que 2h30 de suppléments riches et intéressants, même si certains d’entre eux n’évoquent Inferno que de façon très éloignée (ou par ricochet). On commencera donc avec une présentation du film par Frédéric Mercier, d’une durée d’un peu plus d’une demi-heure, dans laquelle le journaliste à Transfuge revient avec passion sur les nombreuses qualités du film, et sur son côté « irrationnel » ; il étayera d’ailleurs encore un peu plus ses propos par l’exemple, en signant également une captivante analyse de séquences d’une durée d’un peu plus d’un quart d’heure. On poursuivra ensuite en laissant la parole au maestro lui-même : ESC est en effet parvenu à obtenir un entretien exclusif avec Dario Argento, dans lequel le cinéaste évoquera, dans la langue de Molière, la genèse du film, ainsi que son attirance pour l’alchimie et la notion de « mystère ». A cette occasion, Argento s’est également fendu, et toujours en français SVP, d’une très courte introduction au film (30 secondes !), anecdotique mais toujours plaisante. On poursuivra ensuite avec un autre entretien avec Dario Argento, datant de 2010 celui-là, et tourné en italien. Il y parlera de son expérience avec la Fox, de sa frustration de ne pas avoir vu son film sortir dans les salles américaines, et des différentes thématiques qu’il a voulu aborder avec Inferno.
Mais ce n’est pas tout : l’éditeur nous propose également un entretien avec Daria Nicolodi, passionnant et réellement rafraîchissant dans son absence totale de langue de bois. L’ex-compagne de Dario Argento s’exprime donc sa participation à Inferno en toute franchise, évoquant notamment les différends artistiques l’ayant opposée au cinéaste, qu’elle n’a peut-être pas encore réellement totalement digéré ; on peut cela dit la comprendre, surtout suite aux soucis qu’elle avait déjà rencontré avec Dario au moment de Suspiria, et au fait que son nom ait carrément été, dans les deux cas, « oublié » au générique.
Le reste des suppléments, même s’il demeure très intéressant, est un peu plus éloigné d’Inferno. On commencera donc avec un entretien exclusif avec Luciano Tovoli, directeur photo sur Suspiria… Mais pas sur le film de 1980 ! En presque une demi-heure, le talentueux chef op reviendra quasiment sur l’ensemble de sa carrière et, bien sûr, sur ses collaborations avec le maestro Argento. Ça sera ensuite au tour de Luigi Cozzi de s’exprimer sur ce géant du septième Art dans une rencontre filmée à propos de Dario Argento, session de questions / réponses avec le public d’un cinéma qui permettra au réalisateur de Starcrash et de Contamination d’exprimer toute son admiration pour Dario Argento, qui lui a d’ailleurs mis le pied à l’étrier dans le monde du cinéma puisque Cozzi avait participé aux scenarii du Chat à neuf queues (1970) et de Quatre mouches de velours gris (1971). On terminera enfin avec « L’autre mère », un autre entretien avec Luigi Cozzi qui évoquera rapidement la « suite » officieuse à Inferno qu’il a réalisée en 1989, et intitulée The black cat : un film malheureusement invisible aujourd’hui et décrit comme un vibrant hommage au cinéma d’Argento. Une édition INDISPENSABLE.