Test Blu-ray : I comme Icare – Réédition 2022

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I… comme Icare

France : 1979
Titre original : –
Réalisation : Henri Verneuil
Scénario : Henri Verneuil, Didier Decoin
Acteurs : Yves Montand, Roland Amstutz, Jean-Pierre Bagot
Éditeur : Gaumont
Durée : 2h08
Genre : Thriller, Politique
Date de sortie cinéma : 19 décembre 1979
Date de sortie DVD/BR : 29 juin 2022

Le procureur Volney poursuit seul l’enquête sur l’assassinat du président réélu Marc Jary, assassiné par un tireur isolé. Alors que le rapport officiel fait état d’un seul tireur, Volney découvre de bien étranges contradictions, et conclut à la présence d’un second tireur…

Le film

[4,5/5]

Résolument tournée vers le cinéma grand public, la carrière d’Henri Verneuil se divise en plusieurs grandes périodes, étroitement liées à une poignée d’acteurs fort différents les uns des autres : Fernandel durant les années 50, puis Jean Gabin dans les années 60, et enfin Jean-Paul Belmondo durant les deux décennies suivantes. Cependant, on trouve également, tournés en plein cœur de sa « période Belmondo », deux films atypiques, qui s’imposent rétrospectivement comme de véritables sommets au sein de sa carrière de cinéaste : I comme Icare (1979) et Mille milliards de dollars (1982).

Avec I comme Icare, Verneuil choisissait de délaisser pour un temps l’action bondissante représentée par Bébel pour proposer au public un film à la croisée des chemins entre le « film-dossier » à la Costa-Gavras (la présence d’Yves Montand au casting n’est pas une coïncidence) et le thriller politique à l’américaine, à la façon du chef d’œuvre d’Alan J. Pakula À cause d’un assassinat, sorti en 1974. I comme Icare revient donc de façon très libre sur l’enquête et les théories du complot entourant l’assassinat de John F. Kennedy. Le personnage d’Yves Montand est basé sur la personnalité de Jim Morrison, procureur de la République qui avait publiquement mis en doute la véracité des résultats de la commission Warren et avait lancé sa propre enquête pour découvrir la vérité sur l’assassinat.

Malgré la concordance avec les faits historiques réels, Verneuil a choisi de placer son histoire dans un pays fictif, avec des personnages fictifs, et en déformant délibérément quelques faits pour qu’ils correspondent mieux à la thèse qu’il avance : celle d’un enquêteur héroïque, véritable chevalier blanc s’attaquant à une conspiration « d’État dans l’État » et qui finira par mourir en martyr pour la vérité, la démocratie et la liberté. Bien sûr, il s’agit là de considérables libertés prises avec la réalité historique, mais celles-ci permettent à Henri Verneuil et à I comme Icare d’atteindre leur but de façon absolument remarquable. Ces entorses avec le réel permettent également à Verneuil de faire dévier l’intrigue vers d’autres sujets qui l’intéressent : l’intrigue centrée sur la mort du président est ainsi élargie à d’autres activités des services secrets en Amérique du Sud, et nous propose également réflexion sur les concepts de soumission à l’autorité et de banalité du mal.

D’ailleurs, il semble que le personnage d’Yves Montand dans I comme Icare représente plus un « symbole » qu’autre chose : si on découvre certes dans la dernière séquence qu’il est lié à une femme (qui lui expliquera d’ailleurs le mythe d’Icare), ce dernier semble dépourvu de toute vie privée, se jette dans son travail comme un robot, dort dans son bureau et semble uniquement « vivre » pour découvrir ce qui se trame derrière la mort du président. Symbole d’intégrité, d’honnêteté et de moralité, il ne semble n’avoir dans le film pas de personnalité mais une fonction : celle de découvrir la vérité.

D’un point de vue purement technique, I comme Icare s’impose également comme une véritable réussite. La photo, les décors, l’atmosphère glaciale et bien sûr la partition envoûtante d’Ennio Morricone contribuent à véhiculer au spectateur un sentiment de trouble et de paranoïa allant grandissant au fil des séquences. La séquence dédiée à l’expérience de Milgram fonctionne en quelque sorte comme un film dans le film, et en termes d’exécution, elle pourrait vraiment être tirée d’un film de science-fiction dystopique. Avec I comme Icare, Verneuil laissait libre cours à son talent de créateur d’images fascinantes, et nous livrait un film qui se révèle toujours aussi puissant quarante ans plus tard : malgré force invraisemblances, nombre de procédés artificiels (l’émission de TV qui ouvre film) et moult didactismes et autres surlignages un poil trop grossiers, le film d’Henri Verneuil reste un putain de grand spectacle, hypnotique et désenchanté.

Le Blu-ray

[4,5/5]

I comme Icare est longtemps resté inédit en DVD en France, jusqu’à ce qu’un petit éditeur, LCJ Éditions, ne finisse par mettre la main dessus en 2017, et à nous le proposer au format Blu-ray. Malheureusement, le Blu-ray édité à l’époque par LCJ souffrait de très nombreux problèmes : le film était encodé en 1080i, et l’image avait un aspect lissé et très « numérique », ce qui sous-entendait que le master avait fait l’objet de quelques bidouillages, notamment en ce qui concerne la réduction du bruit. Si, en son temps, cette première édition Blu-ray avait pu faire illusion auprès de certains observateurs, la généralisation des TV 4K ne fait aujourd’hui plus de pitié concernant ce genre de galettes, qui affichent un rendu absolument abominable. Une réédition s’imposait donc !

Entre-temps, Gaumont a racheté à EuropaCorp les droits des films du catalogue Roissy Films (La Grande bouffe, La Guerre du feu, Les Ripoux, Les Sous-doués, Le Cave se rebiffe…), et nous propose aujourd’hui une nouvelle édition Blu-ray, très attendue, de I comme Icare. Et comme on pouvait s’y attendre, le Blu-ray édité par Gaumont atomise littéralement la précédente édition, avec un rendu littéralement sublime. Le film d’Henri Verneuil a visiblement bénéficié d’une restauration maniaque, et affiche aujourd’hui une image extraordinaire malgré les années. L’image est d’une belle stabilité, le grain d’origine est scrupuleusement respecté, le piqué est d’une étonnante précision, les couleurs superbes, rendant justice à la photo froide et désaturée de Jean-Louis Picavet. Une réussite totale. Côté son, I comme Icare est proposé dans un mixage DTS-HD Master Audio 2.0 propre et clair, restituant parfaitement les dialogues et la musique du film, et faisant preuve d’un équilibre remarquable.

Du côté des suppléments, Gaumont fait également très fort. L’éditeur nous propose tout d’abord un entretien avec Didier Decoin, co-scénariste du film (18 minutes). Ce dernier saluera le grand sens de l’image d’Henri Verneuil, ainsi que son perfectionnisme, puis évoquera le travail à ses côtés, nous expliquant comment le projet I comme Icare est né à partir de l’idée de monter un film autour de l’expérience de Milgram. On continuera ensuite avec une approche plus analytique et contextualisée, avec un passionnant entretien avec Jean-Baptiste Thoret (37 minutes), qui rappellera la grande influence qu’a pu avoir le cinéma américain sur Henri Verneuil, et lancera l’idée selon laquelle le projet I comme Icare pourrait avoir été fait pour « séduire la critique », qui boudait généralement son cinéma. Il évoquera l’influence de Costa-Gavras, reviendra sur l’affaire JFK en la mettant en parallèle avec le film, et situera le film à mi-chemin entre le film-dossier et le thriller politique, relevant notamment la forte influence qu’a pu avoir À cause d’un assassinat (1974) sur le film, ne serait-ce que dans la façon dont, visuellement, les personnages semblent toujours écrasés par des décors beaucoup plus grands qu’eux. Il n’hésitera pas non plus à soulever ce qui s’avère selon lui le gros problème du film, qui est de ne pas réussir à choisir entre la thématique de la conspiration et celle de la banalité du mal. Ce concept de banalité du mal sera également évoqué dans le dernier supplément de la section bonus, un entretien avec Laurent Bègue (24 minutes), professeur de psychologie sociale à l’Université Grenoble Alpes. Ce dernier nous dira tout sur l’expérience de Milgram, et nous expliquera entre autres que les résultats de celle-ci ont été légèrement modifiés pour amplifier l’impact dramatique de I comme Icare.

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