Test Blu-ray : Hors d’atteinte

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Hors d’atteinte

États-Unis : 1998
Titre original : Out of sight
Réalisation : Steven Soderbergh
Scénario : Scott Frank
Acteurs : George Clooney, Jennifer Lopez, Ving Rhames
Éditeur : Rimini Éditions
Durée : 2h02
Genre : Policier
Date de sortie cinéma : 2 décembre 1998
Date de sortie DVD/BR : 12 mai 2021

Jack Foley n’a pas son pareil pour braquer les banques sans arme ni violence. Mais, poursuivi par la poisse, il se retrouve pour la troisième fois en prison. Il réussit à s’enfuir avec l’aide extérieure de l’un de ses complices. La marshal Karen Sisco tente de s’interposer. Les deux hommes l’emmènent avec eux…

Le film

[4/5]

Quand Steven Soderbergh réalise Hors d’atteinte en 1998, il n’en est pas à son coup d’essai derrière la caméra, et pour cause : il s’agit en fait de son septième long-métrage, et son premier film, Sexe, mensonges et vidéo, avait réussi l’exploit de remporter la Palme d’Or à Cannes en 1989. Pour autant, il semble difficile d’éluder le côté éminemment « matriciel » de cette première collaboration avec George Clooney au sein de la carrière de Soderbergh, tant Hors d’atteinte semblait définir les bases de son œuvre à venir en tant que cinéaste.

En effet, cette adaptation d’Elmore Leonard marquait non seulement les débuts d’une fructueuse collaboration avec George Clooney (avec qui il tournerait six films) ou avec Don Cheadle (avec qui il en tournerait cinq), mais elle imposait surtout Steven Soderbergh comme l’un des réalisateurs Hollywoodiens les plus prometteurs, capable, à la façon des cinéastes les plus prestigieux des années 40/50, de signer des œuvres réconciliant tout à la fois la critique et le public.

Comme l’a souligné avec beaucoup d’à propos le critique américain Roger Ebert au moment de la sortie du film, Hors d’atteinte était le premier film à réellement « s’approprier » les codes narratifs hérités de Quentin Tarantino et de son Pulp Fiction (1994) plutôt que de simplement les imiter. Si Soderbergh et son scénariste Scott Frank nous proposaient également un récit jouant avec la notion de temporalité, des dialogues acérés et des situations violentes teintées d’absurde, le film imposait en revanche son propre tempo, sa propre musique, très personnelle et éloignée de Tarantino – et ce bien sûr malgré le parallèle évident que l’on pourra adresser entre Hors d’atteinte et Jackie Brown ; en effet, les deux films étaient non seulement tous deux adaptés d’Elmore Leonard, mais ils mettaient tous les deux en scène le personnage de Ray Nicolette, dans les deux cas incarné par Michael Keaton.

Hors d’atteinte s’inscrit globalement dans la mouvance d’un certain polar teinté de comédie très noire, né au milieu des années 90 sous les impulsions croisées de Quentin Tarantino (Pulp Fiction) et des frères Coen (Fargo), et que l’on se plaît à appeler polar « de pieds nickelés ». Ce genre mettait grosso modo en scène, le plus souvent sur une intrigue assez complexe et foisonnante de personnages, des truands improbables – voire franchement idiots – embarqués dans des histoires qui les dépassent complètement, et ayant des réactions parfois franchement irrationnelles.

Si Hors d’atteinte ne développe certes jamais réellement le cynisme impayable du cinéma des frangins Coen, l’intrigue du film croise néanmoins les temporalités et les personnages hauts en couleurs, brodant au fur et à mesure un canevas complexe s’amusant des notions de destin et/ou de prédestination. Sous le couvert d’une jolie histoire de « coup de foudre » transcendant les limites de la loi, le scénario met surtout en scène une large brochette d’inadaptés, incapables d’apprendre de leurs erreurs et reproduisant constamment le même schéma, les mêmes erreurs les conduisant droit dans le mur.

Ainsi, le héros Jack Foley (George Clooney) se rattachera constamment au mythe archi-rebattu du « dernier coup avant de se ranger » qui ne lui permet finalement que d’enchaîner les allers-retours en prison. Éternelle amoureuse, Karen Sisco (Jennifer Lopez) tombera sous le charme du bad boy Clooney. On pourrait croire au « cup de fudre » si le récit ne nous apprenait pas qu’elle a déjà eu par le passé une relation avec un truand, qui s’est mal terminée : elle ne fait ici que reproduire le même schéma. Idem pour le personnage de Buddy (Ving Rhames), qui passe chaque jour des heures au téléphone avec sa sœur, alors même que cette dernière l’a déjà dénoncé aux autorités à deux reprises… La liste des mauvaises décisions est aussi longue que celle des personnages du film.

Au final, Hors d’atteinte s’impose donc comme une jolie fable, un polar de pieds nickelés dont la particularité la plus prégnante est probablement le recours – assez inhabituel dans le genre – à une histoire de coup de foudre. Cette histoire d’amour entre les personnages de George Clooney et de Jennifer Lopez est portée par une réelle alchimie entre les deux acteurs, et par une science du montage absolument remarquable (en 2012, la Motion Picture Editors Guild a d’ailleurs classé Hors d’atteinte comme le 52ème film le mieux monté de tous les temps). Un sacré tour de force de la part de Steven Soderbergh, surtout étant donné que sur le plateau, les tensions entre George Clooney et Jennifer Lopez étaient palpables.

Si l’on en croit la légende tournant autour du film, l’hostilité entre ces deux personnalités alors montantes du cinéma Hollywoodien était manifeste, et les insultes fusaient volontiers sur le plateau et dans les coulisses. Le mépris qu’ils affichaient l’un pour l’autre fut d’ailleurs pour le moins durable, puisqu’en 2015, dix-sept ans après la fin du tournage, J-Lo crachait encore volontiers son venin à l’encontre de George Clooney dans l’émission de John Stewart « The daily show ». Quoi qu’il en soit, à l’écran, l’animosité a peut-être contribué à créer l’étincelle, le « je ne sais quoi » qui enflammerait littéralement Hors d’atteinte. Leur duo est parfait : le charme chic et choc de Clooney convient parfaitement au personnage de Jack Foley, tout en « attitude » à l’extérieur – et perclus d’incertitudes à l’intérieur. Dans le rôle de Karen Sisco, Jennifer Lopez nous livre également une composition de premier ordre, insufflant au personnage toute sa force, et son mélange de masculinité (physique) et de vulnérabilité (psychologique).

Du côté des seconds rôles, tout est parfait également, de Ving Rhames (qui apporte une vraie présence à un rôle par ailleurs ingrat) à Don Cheadle en passant par Steve Zahn, Dennis Farina ou encore Catherine Keener, très amusante dans la peau d’une ex-assistante de magicien. Tous parviennent à donner une réelle substance à un casting coloré, foisonnant de personnages pittoresques. En complément de cet article, on vous invite à vous régaler de la remarquable critique de notre chroniqueur Jean-Jacques Corrio !

Le Blu-ray

[4,5/5]

Déjà sorti au format Blu-ray en 2011 – soit il y a tout pile dix ans – sous les couleurs d’Universal Pictures, Hors d’atteinte s’offre aujourd’hui un upgrade technique et éditorial bien mérité grâce à Rimini Éditions. Et cette nouvelle édition marque une réelle amélioration par rapport au Blu-ray précédent, avec un piqué d’une belle précision dans l’ensemble mais dont le rendu peut fluctuer d’une séquence à une autre, principalement en raison des nombreux plans « à effets » et des nombreux arrêts sur image effectués par Soderbergh sur son film. Les couleurs sont éclatantes, les teintes estivales laissant la place à des rouges sensuels (la fameuse scène du coffre) ou aux bleus froids de Detroit. Le grain cinéma a été préservé, et les contrastes sont indéniablement solides. Du côté des enceintes, VF et VO sont toutes deux proposées en DTS-HD Master Audio 5.1. Dynamiques et bien punchy, les deux mixages nous propose une belle immersion au cœur du film. Les effets d’ambiance sont clairs et naturels, et les dialogues se détachent parfaitement du reste. Cerise sur le gateau : VF et VO sont également disponibles en DTS-HD Master Audio 2.0, plus cohérents si vous visionnez Hors d’atteinte sur un « simple » téléviseur.

Du côté des suppléments, on retrouvera l’intégralité des suppléments déjà disponibles depuis la sortie du film au format DVD en 1999. On commencera donc avec un commentaire audio du réalisateur Steven Soderbergh et du scénariste Scott Frank (VOST), qui reviendront avec beaucoup d’humour sur de nombreux aspects du film ainsi que des détails techniques du tournage, tout en évitant soigneusement d’aborder l’animosité entre les deux têtes d’affiche. L’ensemble est à la fois drôle et parfaitement instructif. On félicite par ailleurs l’éditeur Rimini Éditions de nous proposer ce commentaire audio avec les indispensables sous-titres français, absents de l’édition Universal de 2011. On poursuivra ensuite avec une large sélection de scènes coupées ou étendues (22 minutes), qui permettront aux amoureux du film de prolonger le plaisir. Enfin, on terminera le tour des suppléments recyclés de l’édition DVD Universal avec un intéressant making of (25 minutes), qui donne la parole au casting et à l’équipe du film, mais également au romancier Elmore Leonard.

Mais ce n’est pas tout : Rimini Éditions a également fait le pari d’un supplément inédit, avec une discussion autour du film menée par Mathieu Macheret, du Monde, et Frédéric Mercier, de Transfuge (32 minutes). Les deux compères ont donc – littéralement – retroussé leurs manches pour aborder le gros morceau de péloche signé Soderbergh. Ils y évoqueront les dix années de « flottement artistique » qui séparent Sexe, mensonges et vidéo de Hors d’atteinte, le mélange des genres, le montage du film ou encore sa musicalité. S’ils ont comme toujours un peu tendance à répéter les petites phrases toutes faites qu’on a pu lire ou entendre depuis trente ans sur le film ou sur Soderbergh en général, le sujet est globalement bien mené, pertinent et pas ennuyeux.

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