F.I.S.T.
États-Unis : 1978
Titre original : –
Réalisateur : Norman Jewison
Scénario : Joe Eszterhas, Sylvester Stallone
Acteurs : Sylvester Stallone, Rod Steiger, Peter Boyle
Éditeur : BQHL Éditions
Durée : 2h14
Genre : Drame, Thriller
Date de sortie cinéma : 4 octobre 1978
Date de sortie DVD/BR : 25 novembre 2021
Les années 30. Après avoir été injustement licencié, Johnny Kovak rejoint le F.I.S.T., la fédération syndicale des camionneurs. Il gravit rapidement les échelons de l’organisation. Mais un sénateur décide d’enquêter sur les liens entre le syndicat et la Mafia…
Le film
[3,5/5]
Fraîchement propulsé au rang de légende du cinéma après avoir enfilé les gants de Rocky en 1976, Sylvester Stallone se lancerait, en 1978, dans deux projets qui, mine de rien, s’imposent dans la plus parfaite continuité du récit de l’ascension du boxeur italien : l’autobiographique La Taverne de l’enfer, dont on vous a déjà parlé il y a un peu plus de deux ans, et F.I.S.T., un long métrage très politisé signé Norman Jewison, qui s’efforce d’orienter le regard du public vers la montée des syndicats et du mouvement ouvrier en Amérique à la fin des années 30.
Coscénarisé par Joe Eszterhas (qui signait ici son premier scénario) avec la participation de Stallone lui-même, F.I.S.T. souffre sans aucun doute de plusieurs maladresses, souvent liées à la façon un peu trop partisane dont il met en place les événements, mais le film a le mérite de nous proposer un récit engagé, typique du « Nouvel Hollywood » : l’idée ici n’est certainement pas de remettre en question les méthodes d’influence des syndicats, mais plutôt de tenter de signer une ode vibrante à la classe ouvrière, en soulignant l’héroïsme et l’abnégation d’une poignée d’hommes en lutte contre le système au cœur d’une relecture à peine voilée de l’histoire de Jimmy Hoffa.
Il est ainsi indéniable que de nombreux éléments narratifs de F.I.S.T. tombent un peu à plat par excès de candeur ou par omission, ou tout simplement parce qu’ils s’intègrent mal à la tonalité générale du film – on pense par exemple à la romance entre le héros et la jeune Anna (Melinda Dillon), qui évoque un peu trop l’histoire d’amour au cœur de Rocky, et qui déséquilibre un peu les efforts de Joe Eszterhas afin de faire du personnage de Stallone un homme imparfait et dangereux, en partie parce qu’il ne comprend pas jusqu’où va son propre pouvoir. Cependant, dans l’ensemble, on ne peut que saluer l’effort de Norman Jewison, qui obtient une performance très convaincante de la part de Sylvester Stallone, et parvient à nourrir suffisamment son film de séquences-choc provoquant l’indignation du spectateur pour s’avérer convaincant sur la durée, malgré les baisses de rythme régulières qui tendent par moments à réduire son impact.
Pour ceux qui n’auraient encore jamais vu le film, on précisera que le F.I.S.T. du titre n’a absolument rien de sexuel. Non, mais voilà, on préfère tout de même le préciser, surtout si vous êtes arrivé sur cette page par le biais d’un moteur de recherche. Rien à voir non plus avec la carrière d’acteur « musclé », prompt à balancer les tartes dans la gueule, que se forgerait Stallone tout au long des années 80/90. Non, le F.I.S.T., c’est la « Federation of Inter-State Truckers », un syndicat de camionneurs au cœur duquel Johnny Kovac (Sylvester Stallone) va s’engager afin de tenter de faire évoluer les conditions de travail des ouvriers, qui récoltent des salaires de misère tout en trimant comme des esclaves sans aucun respect de la part des patrons. Peu à peu, avec l’aide de son meilleur ami Abe (David Huffman), Johnny se révélera être un employé des plus persuasifs, faisant du syndicat une véritable puissance, qui menace de fermer des entreprises par des grèves lorsque la direction refuse d’accéder à ses requêtes. Mais Johnny réalisera bientôt que F.I.S.T. a été construit sur des bases fragiles, surtout lorsque ses liens passés avec Babe Milano (Tony Lo Bianco), figure notoire du crime organisé, reviennent le hanter…
F.I.S.T. aborde donc de front la période de la « Grande Dépression », et le scénario n’hésite pas à souligner les liens les plus sombres entre capitalisme et autorités publiques : la corruption et le crime en général rongent la société, profitant des failles d’un pays alors en proie à des mutations littéralement sismiques. Plongeant le spectateur au cœur de cette période trouble, Norman Jewison entame son film sur les chapeaux de roue, bien servi en cela par la partition tonitruante de Bill Conti, qui contribue à insuffler une énergie radicale aux images, et à soutenir la performance totalement engagée de Sylvester Stallone. Convaincant, ce dernier parvient sans peine à donner corps aux frustrations de son personnage, et à sa confiance allant crescendo lorsqu’il rejoint l’organisation syndicale.
On ne peut également que saluer le talent de Jewison pour filmer ces hommes durs et ces discussions animées, et la façon dont le syndicat commence à se former, F.I.S.T. multipliant dès lors les jeux de pouvoir et les liens le crime organisé. Une certaine violence est également de la partie, ouvriers et patronat ripostant chacun avec leur propre niveau d’agressivité, ce qui contribuera à ériger, lentement mais sûrement, le nom de transforme le nom de Johnny Kovac en légende, ce qui finira même par susciter l’intérêt de Washington. Le personnage d’Abe (David Huffman) est également particulièrement intéressant, dans le sens où plus qu’un ami, il est surtout représenté comme la « conscience » de Johnny, soulevant les objections du spectateur face aux méthodes employées afin de conserver son leadership, ce qui apporte une dimension psychologique supplémentaire à l’ensemble.
Cela dit, les apports de Sylvester Stallone au scénario, que l’on devine étant ceux destinés à humaniser et à ériger son personnage en « héros de la classe ouvrière » tendent à faire de F.I.S.T. un film en contradiction avec lui-même, comme s’il avait constamment le cul entre deux chaises – le film ébauche ainsi une critique des liens entre les organisations syndicales et le crime organisé, mais le fait de façon presque timide, comme s’il craignait de s’attaquer aux comportements gênants et aux mauvaises décisions qui, de tous temps, ont contribué à entacher le rayonnement du mouvement ouvrier. Pour terminer, petite anecdote pour les amateurs de rock : le rôle de Kevin, le fils de Stallone dans le film, est interprété par Anthony Kiedis, futur chanteur du groupe Red Hot Chili Peppers.
Le Blu-ray
[4/5]
C’est à BQHL Éditions que nous devons le plaisir de redécouvrir F.I.S.T. sur support Blu-ray. Le master encodé en 1080p et format 1.85 :1 respecté n’est certes pas irréprochable (quelques poussières et autres griffes subsistent), mais le piqué, les couleurs et les contrastes s’en voient très nettement améliorés, et le grain argentique d’origine ne semble pas avoir trop souffert de la restauration. Certains plans sont plus doux que d’autres, on dénote toujours par ci par là un peu de bruit vidéo, mais l’ensemble est bien tenu, c’est globalement tout à fait réussi. Côté son, VF et VO anglaise sont proposées dans des mixages LPCM Audio 2.0 mono d’origine, la version française s’avérant un peu plus étouffée que sa grande sœur anglaise, avec un léger souffle persistant, mais rien de dramatique là non plus.
Dans la section suppléments, nous aurons le plaisir de trouver au cœur du boitier du film un livret inédit de 24 pages signé Marc Toullec, qui replacera le film dans son contexte de tournage et nous proposera de nombreux entretiens avec l’équipe, tout en relayant une poignée d’anecdotes assez croustillantes, notamment sur les tensions entre Joe Eszterhas et Sylvester Stallone. Comme d’habitude, l’ex-rédac’ chef de Mad Movies nous propose ici un remarquable travail de recherche et d’archives, le tout condensé dans un texte plaisant et facile à lire. Sur le Blu-ray proprement dit, on trouvera également une présentation du film par David Da Silva (27 minutes). L’historien du cinéma et auteur du livre « Sylvester Stallone, héros de la classe ouvrière » y reviendra sur F.I.S.T., deuxième volet d’une trilogie censée ériger Stallone en working class hero. Il reviendra également sur le Nouvel Hollywood, et osera quelques parallèles assez gonflés, notamment avec l’œuvre du cinéaste russe Sergueï Eisenstein.