Evil Dead Trap
Japon : 1988
Titre original : Shiryo no wana
Réalisation : Toshiharu Ikeda
Scénario : Takashi Ishii
Acteurs : Miyuki Ono, Aya Katsuragi, Hitomi Kobayashi
Éditeur : Le Chat qui fume
Durée : 1h40
Genre : Horreur
Date de sortie DVD/BR : 15 février 2022
Nami Tsuchiya, présentatrice d’une émission TV de nuit, reçoit un jour la cassette vidéo d’un snuff movie tourné dans une base militaire désaffectée. Avec son équipe, elle se rend sur les lieux où un tueur entreprend de les décimer les uns après les autres…
Les films
[4/5]
Si le film de Toshiharu Ikeda n’est jamais sorti en vidéo en France, Evil Dead Trap n’en demeure pas moins un film ayant acquis, dans les années 90, une solide réputation de film d’horreur extrême. Si les élus ayant eu l’occasion de découvrir le film à l’époque demeurent relativement rares, on se souvient d’avoir pu voir, dans divers fanzines ou catalogues de vente par correspondance, une poignée de photogrammes du film puissamment gore et dégueulasses, qui tendait à ranger le film du côté des œuvres les plus « hardcore » de l’ère VHS, tels que les fameux Nekromantik ou Le Roi des Morts de Jörg Buttgereit.
Au début des années 2000, on commencerait tout doucement à pouvoir découvrir un peu plus facilement Evil Dead Trap, par le biais de VHS britanniques ou de VCD à la qualité déplorable, puis en DVD, dans des conditions déjà plus acceptables. Bien entendu, le film de Toshiharu Ikeda souffrirait un peu du fait d’avoir été « fantasmé » pendant tant d’années : le film n’était en effet pas tout à fait la boucherie que l’on avait pu s’imaginer à partir des quelques photos circulant çà et là, et s’était avéré une semi-déception pour beaucoup de cinéphiles priapiques et avides de sensations fortes. Dans l’absolu, on peut d’ailleurs supputer qu’Evil Dead Trap ne pouvait « que » s’avérer déceptif pour nombre de cinéphiles déviants, dans le sens où les amateurs de fantastique et d’horreur ont finalement pour la plupart découvert le film de Toshiharu Ikeda après avoir vu d’autres films extrêmes en provenance du Japon, tels que ceux de Shinya Tsukamoto.
Pour autant, il convient de remettre les choses dans leur contexte : Evil Dead Trap (1988) est antérieur à Tetsuo (1989), et il s’agit de deux films extrêmement différents, qu’il est difficile de comparer. De plus, avec le recul, force est d’avouer que le film de Toshiharu Ikeda reste, encore aujourd’hui, un film bien dégueulasse, n’ayant pas volé sa réputation de film gore extrême. La première séquence d’Evil Dead Trap fait d’ailleurs le choix audacieux de plonger le spectateur directement dans le bain, avec une scène d’éventration et une énucléation pas piquée des hannetons et encore assez difficile à regarder trente ans plus tard. Les effets spéciaux sont remarquables, et le tout est souligné par la bande-son, qui en rajoute dans les bruits flasques et peu ragoutants. La suite ne sera pas en reste, même si les meurtres tarderont un peu à arriver. Une femme est transpercée de part en part par de gigantesques tiges d’acier sortant des murs et du plancher, une machette s’abat sur le visage d’une victime, une autre est étranglée et traînée par un fil de fer, etc.
Très graphique dans ses mises à mort et ses scènes gore, Evil Dead Trap s’avère également très étonnant d’un point de vue narratif. En effet, le film de Toshiharu Ikeda déroule son récit de façon très classique, et surprendra à coup sûr le spectateur habitué au cinéma japonais par son approche très « occidentale » de l’horreur, empruntant une partie de son intrigue et de son déroulement au slasher. Le film a par ailleurs l’allure et l’atmosphère d’un film d’horreur italien, avec ses scènes enveloppées de brouillard, entrecoupées de passages gore et de l’incontournable musique au synthétiseur, que l’on croirait issue du répertoire des Goblin, ou de Fabio Frizzi. La filiation avec le cinéma de Lucio Fulci nous apparait d’ailleurs comme tout particulièrement claire : outre la scène d’énucléation, qui fait naturellement écho à celle de L’enfer des Zombies, l’omniprésence de la musique et certains plans tels que ce plafond grouillant d’asticots sont typiques de la vision grotesque de l’horreur développée par Fulci dans ses films d’horreur du début des années 80.
Et puisqu’on en est à citer les plus illustres des maestros italiens, on ajoutera qu’il est littéralement impossible de ne pas penser à Dario Argento au détour de certains passages, qui misent sur l’atmosphère et parviennent à exploiter de façon très intéressante le cadre dans lequel se déroule le film (un vieux complexe militaire désaffecté), plongeant littéralement le spectateur dans la glauquerie la plus poisseuse et la plus étouffante. Evil Dead Trap utilise et détourne également une poignée de clichés de l’horreur classique, anticipant à ce titre des franchises à succès qui viendront beaucoup, beaucoup plus tard, telles que Saw par exemple.
Evil Dead Trap est divisé en deux parties distinctes. Après une courte introduction destinée à amener l’intrigue dans la direction d’une enquête tendue dans le monde des snuff movies, un groupe de personnages entre dans une base militaire déserte, le scénario se tourne délibérément vers un schéma narratif classique de psycho-killer gore et inventif, qui constituera la première partie / première moitié du film. Pour autant, Toshiharu Ikeda se tourne occasionnellement vers le fantastique, par le biais de son ambiance et de quelques éléments surréalistes, inexplicables, tels que, par exemple, le fameux meurtre que l’on a évoqué un peu plus haut, et qui met en scène d’immenses piques de métal sortant du plancher et des murs pour transpercer une victime de part en part. Ainsi, et alors que l’on approche doucement d’une heure de métrage, on commence à s’interroger : il ne reste en effet déjà plus qu’une survivante, occasionnellement accompagnée d’un mystérieux inconnu, vêtu d’un costard et arborant une pare de geta.
La deuxième partie d’Evil Dead Trap fait clairement basculer le film dans l’étrange et le fantastique. Prolongeant habilement les détails les plus bizarres de sa partie « slasher », le deuxième acte du film utilisera le fantastique afin de développer une réflexion sur le Bien et le Mal, qui sont souvent les facettes d’une seule et même pièce. Sans en révéler trop sur les rebondissements de la dernière partie du film, disons simplement que l’introduction du personnage d’Hideki, petit frère de l’homme mystérieux, permet à Toshiharu Ikeda d’aborder l’éternelle schizophrénie du genre humain, son tiraillement entre le Bien et le Mal, qui nous sera présentée à l’écran sous un jour totalement nouveau.
Evil Dead Trap II
Japon : 1991
Titre original : Shiryo no wana 2 – Hideki
Réalisation : Izo Hashimoto
Scénario : Chiaki J. Konaka, Izo Hashimoto
Acteurs : Shoko Nakajima, Rie Kondoh, Shirô Sano
Éditeur : Le Chat qui fume
Durée : 1h38
Genre : Horreur
Date de sortie DVD/BR : 15 février 2022
Aki, une jeune femme projectionniste obèse, est hantée par les apparitions d’un jeune garçon. Elle a pour amie Emi, une journaliste qui enquête alors sur une série de meurtres avec mutilation sur des jeunes femmes. Lorsqu’Emi présente son petit ami à Aki, une relation ambiguë se noue entre les trois personnages…
Sorti sur les écrans japonais en 1991, soit trois ans après le film original, Evil Dead Trap II n’est pas une suite dans le sens traditionnel du terme : il s’agit d’un film indépendant, ne reprenant ni les mêmes personnages, ni le même contexte que le précédent. En fait, c’est le personnage d’Hideki, découvert à la fin du film de 1988, qui fera le lien entre les deux histoires, mais même ce personnage, présenté au spectateur de façon radicalement différente de ce dont il avait l’air dans les dernières images du film précédent, n’a plus grand-chose à voir avec l’œuvre d’origine.
Même d’un point de vue strictement formel, Evil Dead Trap II prend le contrepied de son modèle. Ainsi, si le film de 1988 était extrêmement gore et se rattachait presque à la tradition du « Grand Guignol », la surenchère gore a ici disparu, le film d’Izô Hashimoto se concentrant davantage sur un fantastique profondément axé sur la psychologie. De la même façon, si Evil Dead Trap était conçu « à l’occidentale », à la façon d’un gros Bis italien, Evil Dead Trap II au contraire s’imposera assez vite comme profondément ancré dans la culture japonaise : la musique, la photo et même les décors du film transpirent le Japon. Il suffira pour s’en convaincre de voir les nombreux plans essentiels à la narration et à l’articulation du récit mettant en scène des publicités, enseignes et autres affichages de néon géants, qui s’avèrent typiques du Japon contemporain et plongent les personnages du film au cœur d’un univers de (sur)consommation extrêmement normé, ne proposant qu’un seul modèle social – celui de la famille – incontournable sous peine de devenir un laissé pour compte.
C’est dans cet univers où les célibataires et ceux qui ne suivent pas le modèle familial traditionnel sont considérés comme des marginaux que prend place l’intrigue d’Evil Dead Trap II. On y suivra Aki (Shoko Nakajima), une jeune asociale qui travaille comme projectionniste pour n’avoir à croiser personne, si l’on en croit le personnage de sa meilleure amie Emi (Rie Kondo), ex star de la chanson recyclée dans l’info TV trash et les faits divers. Entre les deux femmes, on notera également l’apparition de Kurahashi (Shiro Sano), une espèce de caricature du salary-man japonais arrogant, qui joue un étrange jeu de séduction avec les deux femmes. S’il couche avec Emi, présentée comme une fille facile, une irrésistible attirance semble également le lier à Aki. Très tôt dans le déroulement de son récit, le réalisateur / scénariste Izô Hashimoto – qui se trouve par ailleurs être le scénariste du chef d’œuvre Akira – fera le choix déroutant de montrer qu’Aki, qui souffre d’hallucinations mettant en scène un étrange petit garçon, est à l’origine d’une vague de crimes sanglants.
Autant le premier film était direct et linéaire, autant Evil Dead Trap II joue la carte de la psychologie, et du trouble poussé jusqu’au malaise. Beaucoup d’éléments de l’intrigue sont volontairement laissés dans l’ombre, le récit pratiquant l’Art de l’ellipse avec une certaine habileté. Ces éléments inexpliqués rajoutent bien sûr à l’atmosphère de mystère et de fantastique qui baigne le film, et pourront amener le spectateur à se poser des questions, notamment concernant le passé des personnages. On pourra également se demander pour quelle(s) raison(s) Hideki apparaît à Aki : si l’explication la plus rationnelle serait de considérer le petit garçon comme la matérialisation du désir frustré de maternité de la part de la jeune femme (voire comme le traumatisme lié à un avortement, comme le suggère explicitement son patron à Aki à un moment dans le film), le fait qu’Hideki soit explicitement lié au personnage de Kurahashi pourra soulever un certain nombre d’interrogations quant au lien trouble et ambivalent qui les unit.
Mais c’est aussi là la principale force narrative d’Evil Dead Trap II : Izô Hashimoto présente le déroulement des événements en les décrivant uniquement du point de vue d’Aki. Le fait que cette dernière soit projectionniste de cinéma n’est pas innocent : tout ici est question de regard. Ce que voit le spectateur n’est pas la réalité brute, mais seulement un reflet de celle-ci : les apparitions d’Hideki nous sont montrées quand elles viennent de la jeune femme, mais à l’inverse, quand c’est la femme de Kurahashi qui voit l’enfant, il ne nous sera pas montré. Toute la narration est donc amenée au public de la façon dont Aki la perçoit, et l’histoire se teinte forcément par conséquent de ses fantasmes, de ses angoisses, de son ressenti. Il n’est ainsi pas étonnant que les reproches émis par le personnage d’Emi à l’encontre de son amie nous paraissent injustifiés. Le malaise ressenti par le spectateur tout au long du film est également, en grande partie, celui d’Aki, seule et perdue dans la jungle de la ville et des relations sociales.
D’une façon somme toute logique, Evil Dead Trap II est construit sur un schéma narratif s’enfonçant en crescendo dans la folie. A ce titre, le dernier acte du film, qui bascule brutalement dans le délire d’affrontements barbares et de scènes « gore », s’impose réellement comme le point d’orgue de l’œuvre d’Izô Hashimoto, et qui contribuent à leur manière à éclairer la psychologie du personnage principal.
Le coffret 2 Blu-ray
[5/5]
Il en faut finalement peu pour emplir nos cœurs de joie, et on avoue que l’on est toujours un peu émus et heureux quand on voit Le Chat qui fume s’aventurer dans des eaux qui lui sont, à priori, moins familières que celles du cinéma Bis européen. Ainsi, après nous avoir permis de découvrir la Trilogie Majin au format Blu-ray à l’été 2020, puis avoir été faire un tour du côté des Philippines avec Bayan Ko l’hiver dernier, le Chat revient au Japon avec ce coffret Evil Dead Trap I – II. Il s’agit d’une sortie événementielle, très attendue de la part des amateurs de cinéma de genre, et on espère, qu’elle sera, peut-être, un jour suivie par d’autres explorations de la déviance japonaise, avec des films tels que ceux de Gakuryū Ishii (Burst City), Masato Harada (Gunhed) ou encore Shozin Fukui (964 Pinocchio, Rubber’s lover).
En attendant, et comme à ses excellentes habitudes, Le Chat qui fume nous propose avec ce coffret Evil Dead Trap I – II un joli tour de force éditorial, qui nous arrivera de plus présenté sous la forme d’un « bel objet », que l’on sera fier de voir trôner sur nos étagères. Une nouvelle fois présentés dans un très classieux digipack 3 volets doté d’une maquette du tonnerre signée Frédéric Domont, les deux disques Blu-ray disponibles au sein de ce coffret prouveront à quiconque en douterait encore à quel point Le Chat qui fume met toute la concurrence à l’amende.
En ce qui concerne le master des deux films, Evil Dead Trap est bien entendu présenté en version intégrale, au format 1.66:1 respecté et dans un tout nouveau transfert HD. Restituant parfaitement son ambiance visuelle soignée, le transfert du Blu-ray du premier film est assez doux, mais cela est probablement dû aux conditions de tournage et de conservation des films japonais. Cependant, il va sans dire qu’on n’avait jamais vu le film de Toshiharu Ikeda dans ces conditions : malgré des couleurs très saturées et de multiples effets de fumée, le film s’impose comme une totale redécouverte. Sans surprise, le master d’Evil Dead Trap II s’avère tout aussi enthousiasmant, d’autant que le film d’Izô Hashimoto a sans aucun doute bénéficié de conditions de tournage plus confortables : le piqué est toujours doux, mais conserve une joli précision – l’apport Haute-Définition est indéniable et bien réel. Côté son, dans les deux cas, la version originale japonaise nous est proposée en DTS-HD Master Audio 2.0, et assure une immersion parfaite au cœur de ces deux films de barges, avec un bon petit dynamisme acoustique.
Du côté des suppléments, étant donné qu’il est quasiment impossible de retrouver des images du tournage de ces deux films, Le Chat qui fume nous propose une alternative « maison » absolument passionnante et remarquable. On notera déjà – et même si elle n’est pas indiquée sur la jaquette – que le premier film du coffret commencera avec une courte introduction d’Oliver Stone, qui évoquera son admiration pour Evil Dead Trap. La présence du cinéaste américain sur la galette d’un film japonais soulève un certain nombre de questions, et pas des moindres : Le Chat ne serait-il pas en train de nous préparer une édition Blu-ray et/ou 4K Ultra-HD de La Main du cauchemar ? Ah ! Ah ! On t’a percé à jour, le matou !
On continuera ensuite avec une présentation d’Evil Dead Trap par Julien Sévéon (43 minutes), qui s’avère une des références en France dès qu’il s’agit de cinéma de genre en provenance d’Asie. Comme à son habitude, il nous livre ici une prestation très complète, remettant le film de Toshiharu Ikeda dans son contexte de tournage, et nous livrant de nombreuses anecdotes sur le tournage et la pérennité du film. Passionnant, au même titre que la présentation par Fathi Beddiar (50 minutes), qui s’impose d’entrée de jeu comme beaucoup plus subjective. Le scénariste / réalisateur de Colt 45 reviendra donc sur sa découverte du film en 1991 dans un vidéo-club parisien spécialisé dans les VHS japonaises. Sur le ton de la discussion passionnée, il reviendra ensuite avec un enthousiasme débordant sur le film, qu’il a vu dans un premier temps sans sous-titres, et ne pourra s’empêcher d’évoquer sa légère déception quand, plus tard, il découvrit ce que se disaient « vraiment » les personnages du film. Il citera également quelques-uns des autres films de Toshiharu Ikeda qu’il avait eu l’occasion de découvrir à l’époque, avant d’embrayer sur Evil Dead Trap II et Evil Dead Trap III. On terminera le tour des suppléments disponibles sur le premier Blu-ray du coffret avec la traditionnelle bande-annonce, mais vous savez bien qu’avec Le Chat qui fume, quand il n’y en a plus, il y en a encore : sur le deuxième Blu-ray, on trouvera donc une présentation d’Evil Dead Trap II par Julien Sévéon (19 minutes). Ce dernier reviendra sur la mise en chantier du film, et s’avérera finalement très enthousiaste vis-à-vis du résultat final, qu’il considérerait volontiers comme supérieur au premier opus. Pour vous procurer cette édition limitée à 1000 exemplaires, rendez-vous sur le site du Chat qui fume.