Et Sabata les tua tous
Espagne, Italie: 1970
Titre original : Un par de asesinos
Réalisation : Rafael Romero Marchent
Scénario : Joaquín Luis Romero Marchent, Mario Alabiso
Acteurs : Gianni Garko, Guglielmo Spoletini, María Silva
Éditeur : Elephant Films
Durée : 1h25
Genre : Western
Date de sortie cinéma : 22 mars 1972
Date de sortie DVD/BR : 5 novembre 2024
Après avoir dévalisé une banque en compagnie des frères Burton, Sabata et son acolyte Marcos se retranchent dans une maison abandonnée. Encerclés par les forces de l’ordre, les deux bandits se retrouvent isolés sans espoir d’en réchapper vivant. Alors que leurs associés se sont évaporés avec magot, ils décident de jouer leur sort aux cartes : celui qui perd se sacrifie pour que l’autre s’échappe et puisse traquer les frères Burton…
Le film
[3,5/5]
Initié par l’excellent Pour une poignée de dollars en 1964, le western spaghetti aura fait les beaux jours du cinéma populaire italien : plus de 700 westerns auraient en effet été tournés en Europe en l’espace, grosso modo, d’une quinzaine d’années. Si le genre a contribué à révéler plusieurs cinéastes majeurs, les acteurs ayant joué les cow-boys solitaires sous le cagnard de Cinecittà durant ces années-là ont tous eu à souffrir de l’ombre d’un seul et même acteur devenu le représentant ultime et mythique du genre : on veut bien sûr parler de Clint Eastwood. Mètre étalon du cow-boy de cinéma, Eastwood et son personnage de l’homme sans nom ont créé de nombreuses vocations et donné naissance à de nombreux rejetons illégitimes, à qui cependant une poignée de cinéphiles vouent parfois un culte aussi ardent que vivace… Parmi ceux-là, on peut notamment citer Giuliano Gemma, Anthony Steffen, Peter Lee Lawrence, George Hilton, William Berger, et bien sûr Gianni Garko, qui joua dans rien de moins que 15 westerns italiens entre 1966 et 1974.
Une autre particularité notable du western spaghetti était que les cow-boys au cœur de tous ces films, le plus souvent conçus sur le modèle taciturne de Clint Eastwood, se ressemblaient souvent vaguement, envahissant les séries B plus vite que leurs ombres. Les trois plus connus d’entre eux, à savoir Trinita, Django et Sartana, fleurissaient donc régulièrement sur les affiches des cinémas de quartier, aux côtés d’Alléluia, Trinita ou encore de Sabata, au gré de quelques titres internationaux ou français, sans forcément systématiquement apparaître réellement dans les films en question. Le cas de Et Sabata les tua tous rajoute encore une petite couche de complexité à l’affaire, dans le sens où cette coproduction italo-espagnole sortie en 1970 changeait le nom du cow-boy en fonction des pays où le film a été distribué : en Espagne et aux États-Unis, le personnage était appelé Sartana (même s’il ne porte pas le costume/cravate et le long manteau que Garko arborait dans Sartana en 1968), en France, il était nommé Sabata (même s’il n’a rien à voir avec le personnage incarné par Lee Van Cleef dans Sabata en 1969), et en Italie, le personnage est alternativement appelé Sartana ou Santana, en fonction des séquences.
Et Sabata les tua tous est donc le fruit d’une coproduction entre l’Espagne et l’Italie, et s’avère également un film conçu « en famille » : réalisé par Rafael Romero Marchent, ce petit western des familles a de plus été coécrit par son frère Joaquín Luis Romero Marchent, et met en scène, dans un petit rôle, son neveu Carlos Romero Marchent. Si le film bénéficie de l’élégance et de la présence magnétique de Gianni Garko dans le rôle de Sabata, Et Sabata les tua tous n’est pas réellement centré sur un personnage de « lonesome cowboy », mais davantage sur un duo antinomique de cow-boys, à savoir Sabata et Marcos, interprété par Guglielmo Spoletini, et qui parvient sans trop de peine à voler la vedette à Gianni Garko, qui s’avère un peu en retrait. Figure très connue des amateurs de westerns spaghetti, Guglielmo Spoletini a enchainé les seconds-rôles dans le genre : sa filmographie contient en effet 19 westerns, tournés entre 1965 et 1974, et dont certains sont vraiment des classiques (Arizona Colt, La Mort était au rendez-vous, Le Dernier face-à-face, Un par un sans pitié…). Excellent dans la peau de Marcos, le petit escroc un peu trop bavard, Guglielmo Spoletini nous prouvait avec ce personnage qu’il était en mesure de tenir des rôles de plus grande envergure.
Côté intrigue, Et Sabata les tua tous nous plonge en plein cœur de l’action : Sabata et Marcos sont poursuivis par les forces de l’ordre pour avoir dérobé un butin de 100.000 dollars avec l’aide des frères Burton, qui se sont enfuis avec le magot. Après une série de péripéties mettant en scène tantôt l’un, tantôt l’autre des deux truands, ils retrouveront la trace de l’argent et fileront vers le Sud. Mais ils ne sont pas les seuls à rechercher les 100.000 dollars subtilisés par les Burton : ils devront composer avec la présence de Maria (María Silva), l’ex-propriétaire d’un saloon bien décidée à se remettre sur pieds, et de la famille Kirby, menée par un patriarche impotent menant à la baguette ses quatre tarés de fils… Loin de ralentir le récit, la présence de ces personnages annexes fait au contraire tout le sel du film de Rafael Romero Marchent : l’apparition de Maria permet au duo de cow-boys de devenir une espèce de singulier triangle amoureux, et celle des Kirby permet au cinéaste d’installer d’intéressantes ruptures de ton dans son récit, Et Sabata les tua tous passant de ce fait des passages détendus et humoristiques à d’autres nettement plus tendus, notamment lorsque le patriarche et ses fils massacrent tout le monde dans un relais de diligence. Un scénario habile et intéressant, un rythme bien tenu, des acteurs solides, une photo soignée de Guglielmo Mancori et une musique tout à fait sympathique de Marcello Giombini : tout est donc réuni pour faire de Et Sabata les tua tous un très agréable western spaghetti !
Le Blu-ray
[4/5]
Inédit au format DVD, Et Sabata les tua tous était au fil des années devenu quasiment invisible en France – il n’était en effet plus disponible qu’au format VHS, ce qui tend, de nos jours, à limiter plus que sérieusement le nombre de cinéphiles en capacité de le voir. C’est donc avec un grand plaisir que l’on accueillera cette nouvelle édition Blu-ray du film, disponible à partir du 5 novembre chez Elephant Films, au cœur de sa collection dédiée au western spaghetti, la bien nommée « Vendetta Collezione ».
Techniquement, c’est du beau travail : le master est relativement propre, et l’image est proposée au format 2.35 respecté. En dépit de quelques petites baisses de régime, le piqué est globalement satisfaisant, et les couleurs sont solides, avec des contrastes bien tranchants, et le tout est plutôt stable. On notera par ailleurs que le grain argentique du film a été scrupuleusement préservé. Côté son, la version française, mais également la version anglaise et la version italienne sont toutes trois proposées dans des mixages DTS-HD Master Audio 2.0. Les trois versions restituent les dialogues avec la plus parfaite clarté, et en dépit d’un léger petit souffle ici ou là, l’ensemble s’avère tout à fait recommandable. Du joli travail !
Du côté des suppléments, on trouvera, en plus des bandes-annonces des films disponibles au sein de la « Vendetta Collezione », une intéressante présentation du film par Romain Vandestichele (26 minutes), ce dernier ayant d’ailleurs été rebaptisé « Romain Vandestiche » dans le menu du Blu-ray. Ce dernier reviendra, avec le talent qu’on lui connaît, sur les particularités les plus notables de Et Sabata les tua tous. Il soulignera donc la façon dont l’intrigue oscille entre le malsain et le comique, avec un duo principal qui rappelle le « buddy movie », et un personnage de Marcos qui se démarque de Sabata, et s’avère plus attachant – il s’interroge ainsi sur le fait que ce personnage atypique ait pu en inspirer d’autres, et notamment celui de Providence qu’interprétera Tomás Milián dans On m’appelle Providence (Giulio Petroni, 1972) et On remet ça, pas vrai Providence ? (Alberto De Martino, 1973). Enfin, il terminera son intervention en mettant en évidence le personnage de Maria et la musique du film signée Marcello Giombini. Pour terminer, on notera que comme chaque titre de cette nouvelle vague de la « Vendetta Collezione », Et Sabata les tua tous nous est présenté en Exclusivité Fnac dans un beau FuturePak métallique, et contient un livret de 24 pages signé Alain Petit.