Test Blu-ray : Emmanuelle et Françoise

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Emmanuelle et Françoise

Italie : 1975
Titre original : Emanuelle e Françoise (Le sorelline)
Réalisation : Joe D’Amato
Scénario : Joe D’Amato, Bruno Mattei
Acteurs : George Eastman, Rosemarie Lindt, Patrizia Gori
Éditeur : Le chat qui fume
Durée : 1h37
Genre : Thriller, Érotique
Date de sortie cinéma : 21 septembre 1977
Date de sortie DVD/BR : 19 novembre 2018

Humiliée jour après jour par son petit ami Carlo, Françoise finit par se suicider. Venue reconnaître le corps de sa sœur, Emmanuelle récupère une lettre dans laquelle Françoise relate toutes les souffrances endurées auprès de l’homme qu’elle aimait. Dès lors, Emmanuelle va tout mettre en œuvre pour retrouver Carlo et se venger de la plus cruelle des façons…

Le film

[4/5]

La critique a ses codes, et ses amendements tacites, profondément ancrés dans des années et des années de comptes rendus culturels publiés, durant quelques décennies, sur papier plus ou moins glacé, puis, plus récemment, sur des sites Internet dédiés aux Arts pullulant par centaines comme autant de bouteilles à la mer. Parmi ces codes, on notera qu’il est absolument proscrit d’utiliser la première personne ; il est de la même façon considéré comme du plus mauvais goût d’aborder une critique par le prisme de la « réaction », par exemple en se basant sur les écrits d’un confrère dans le but de les tourner en dérision. Exceptionnellement, et avec l’accord du lecteur (qui a de toute façon toujours le choix de continuer à lire ou pas), on a décidé de faire fi de ces codes, du moins pour un temps, afin d’aborder Emmanuelle et Françoise, qui vient de débarquer en Combo Blu-ray + DVD sous les couleurs du Chat qui fume.

Parce que je ne sais pas vous, mais je me suis toujours fait un grand plaisir de collecter et de répertorier les critiques ouvertement négatives ayant pour sujet des films que, d’un point de vue personnel, j’aime beaucoup. Ainsi, je me régale souvent à feuilleter quelques anciennes revues de cinéma afin de relire les critiques assassines des films qui ont contribué à forger ma cinéphilie. Et force est d’admettre que moins les critiques sont argumentées et construites, plus le plaisir de s’amuser de la mauvaise foi du critique est grand. Ainsi, ce ne sont finalement pas dans les revues analytiques les plus réputées que l’on trouvera les papiers sont les plus drôles, mais bien dans ce qu’on appellera les « généralistes » (Studio, Premiere, CinéLive, CinemaTeaser…), ou dans les « brèves » de certaines revues plus anciennes qui s’échinaient parfois à traiter l’intégralité des sorties salles en France (pornos inclus). On vous encourage donc à chiner et à farfouiller dans les brocantes et autres bouquinistes : vous trouverez peut-être en l’échange de quelques centimes de petits trésors de drôlerie, comme la critique de Predator (John McTiernan, 1987) dans Studio à l’époque de sa sortie, ou, encore mieux et toujours dans Studio, celle d’Akira (Katsuhiro Otomo, 1988), qui comparait le film à la série Goldorak… Une mine de créativité comique insoupçonnée.

Et à force de chercher, on a fini par trouver une critique d’époque d’Emmanuelle et Françoise, qu’on vous livrera ici « dans son jus ». Elle est signée de la plume de Gilles Cèbe, auteur de monographies sur Fred Astaire, Sergio Leone et Woody Allen dans les années 80, et tirée du numéro 63 de la revue Ecran.

« Médiocrement interprété par un transfuge du western italien, tout aussi médiocrement réalisé par l’immortel auteur de La possédée du vice, avec une musique qui pille le Morricone du Clan des siciliens et de Cité de la violence, Emmanuelle et Françoise appartient à cette catégorie de softcores tolérés par le Vatican et entrelardés de plans hard visiblement ajoutés pour l’exportation. Inutile de se déranger : au surplus mal doublé, ce navet débile n’offre pas le moindre intérêt. »

Bien sûr, le regard que l’on pourra porter sur la critique de Gilles Cèbe doit être tempérée par le fait que la « version intégrale » que nous propose aujourd’hui de découvrir Le chat qui fume n’est pas celle qu’a pu voir le critique au cinéma en 1977. En effet, comme on peut le comprendre dans ses propos, le film de Joe D’Amato avait été, lors de sa sortie en salles, remonté et caviardé de séquences pornographiques additionnelles. Cette pratique était finalement assez courante dans le cinéma bis de l’époque, de nombreux films de Jess Franco notamment avaient eu l’honneur de se voir également agrémentés de quelques séquences porno ; plus étonnant, ce fut aussi le cas de La nuit de la grande chaleur de Terence Fisher, sorti en France en 1975 dans un montage contenant une poignée de séquences « hard » supplémentaires. Dans le cas d’Emmanuelle et Françoise, on ira même jusqu’à dire que l’on « comprend » la tentation qu’ont pu avoir les distributeurs de l’époque, dans le sens où le film de Joe D’Amato fait partie de ces expérimentations des années 70 visant à repousser les limites entre les genres, à la façon par exemple du très beau Psychose et phantasmes sexuels de Miss Aggie (Gerard Damiano, 1974). En effet, le film surfe ouvertement sur le succès rencontré par Emmanuelle en 1974 (l’héroïne Rosemarie Lindt a d’ailleurs fort probablement été choisie pour sa ressemblance avec Sylvia Kristel), mais dans sa dernière partie, versera dans l’horreur graphique la plus pure. De la même façon, les expériences du cinéaste sur le son et l’image, qui s’amplifient au fur et à mesure que le piège se referme sur le personnage de George Eastman et exploseront durant sa captivité renforcent réellement l’ambiance de malaise dans laquelle baigne le métrage : une atmosphère absolument oppressante, et d’autant plus surprenante que le déroulement de la première partie du film, finalement très proche des classiques de l’érotisme des années 70, ne laisse que très partiellement deviner le véritable déferlement de folie furieuse qui occupera le dernier acte. Cependant, même si l’on considère quelques coupes éventuelles et l’ajout de scènes porno explicites, le fait de reléguer Emmanuelle et Françoise à un statut de porno bas de gamme comme il en fleurissait un peu partout dans les cinémas durant les 70’s parait tout de même un peu aberrant, surtout au vu de la qualité formelle et visuelle de l’ensemble.

Aussi, si certains parmi nos lecteurs n’hésiteront pas à arguer que Gilles Cèbe avait « de la merde dans les yeux », on préférera jouer la carte de la modération en déplorant tout simplement que le critique soit complètement passé à côté d’Emmanuelle et Françoise, comme cela arrive malheureusement à tout le monde dans une vie de cinéphile.

Il est vrai aussi que le film de Joe D’Amato, à l’image de toute son œuvre d’ailleurs, n’est probablement pas à mettre devant tous les yeux et sera plutôt réservé, comme l’indique la jaquette, à « un public averti et pervers ». Parce que bien sûr, Emmanuelle et Françoise va loin, très loin dans les outrances et le mauvais goût. Peut-être pas aussi loin que Blue holocaust (1979) ou Porno holocaust (1981), deux autres de ses films parmi les plus célèbres, mais cette histoire de vengeance se vautre tout de même volontiers dans les séquences les plus douteuses, les plus gratuites et les plus complaisantes. Pour autant, D’Amato n’en demeure pas moins un habile technicien, qui signait également la photo de son film.

Ainsi, Emmanuelle et Françoise affiche une patine visuelle très soignée ; bien sûr, ses éclairages éthérés et ses compositions de plans en général évoquent beaucoup la photo du premier Emmanuelle, signée Sylvia Panigel, autant que les travaux photographiques d’Irina Ionesco ou de David Hamilton. Cette direction artistique très léchée et sophistiquée était tout à fait dans l’air du temps de l’époque, et serait recyclée dans toute la vague de films érotiques « haut de gamme » que le spectateur subirait jusqu’au début des années 80 ; ici, elle crée un contraste d’autant plus surprenant avec le côté ouvertement barge et craspec de la dernière partie du film. Ce choc des univers était probablement l’effet recherché par Joe D’Amato, qui a, tout au long de sa carrière (197 films répertoriés sur IMDb), cherché à créer l’inattendu en confrontant Eros et Thanatos.

Devant la caméra, on trouvera un George Eastman visiblement très influencé par le jeu halluciné de Tomás Milián période La rançon de la peur, et bien déterminé à en faire des caisses ; peu importe finalement, ses excès collent parfaitement avec l’esprit du film. Du côté du casting féminin, on trouvera donc, on l’a déjà dit un peu plus haut, Rosemarie Lindt dans la peau d’Emmanuelle, et Patrizia Gori dans celle de Françoise. Et malgré ce que le titre pouvait laisser entendre, elles n’auront finalement que très peu de scènes ensemble, le récit se centrant sur la vengeance d’Emmanuelle suite au suicide de Françoise. Et quelle vengeance !

Le Combo Blu-ray + DVD

[5/5]

On ne change pas une équipe qui gagne : Le chat qui fume nous propose donc pour cette édition Combo Blu-ray + DVD d’Emmanuelle et Françoise un packaging particulièrement soigné, avec un superbe coffret (digipack 3 volets surmonté d’un étui cartonné) au format « large » et au design toujours aussi classieux signé par le graphiste Frédéric Domont, dont on ne se lasse pas de souligner le talent. Le tirage de cette édition est limité à 1000 exemplaires.

Côté image, si le master utilisé pourra peut-être paraître un peu « doux » aux ayatollahs de l’ère numérique, on pourra néanmoins penser que cet aspect lisse est probablement une des caractéristiques de la photographie mise en place par Joe D’Amato sur son film. Ainsi, le rendu Haute Définition s’avère au final des plus convaincants : il y a fort à parier en effet que l’atténuation notable de la granulation argentique soit une volonté artistique, participant au côté éthéré de l’ensemble. La définition est satisfaisante, les couleurs assez extraordinairement restituées ; propreté immaculée et stabilité sont également de la partie : à nouveau, Le chat qui fume nous propose une très belle présentation visuelle. Comme vous pouvez le constater sur les captures d’écran qui émaillent ce test, la copie utilisée comporte les mentions écrites en français. Niveau son, l’éditeur nous propose de découvrir le film soit dans sa version originale italienne, soit dans son doublage français, qui n’avait pas plu à Gilles Cèbe mais qui nous a paru, quant à nous, tout à fait réjouissant, ne serait-ce que par son côté suranné qui ajoute encore un « je ne sais quoi » au plaisir indéniable pris pendant le visionnage. Les deux mixages sont proposés en DTS-HD Master Audio 2.0 et proposent un confort acoustique optimal : propres, équilibrées, sans souffle ni crachotements intempestifs. La musique de Gianni Marchetti prend une ampleur toute particulière, et le tout s’avère très naturel. Un sans-faute donc.

Du côté de la section suppléments, la galette Blu-ray disponible au sein de ce Combo Blu-ray + DVD d’Emmanuelle et Françoise s’avère vraiment bien fourni : presque trois heures de bonus sont donc disponibles, pour le plus grand plaisir des cinéphages.

On commencera donc avec un entretien avec George Eastman, ici crédité de son vrai nom Luigi Montefiori (« De l’autre côté du miroir », 24 minutes). L’acteur, qui s’est également essayé à l’écriture et à la réalisation, revient donc sans la moindre langue de bois sur sa relation avec Joe D’Amato. S’il ne tarit pas d’éloges en ce qui concerne son talent de technicien, il critique en revanche son côté ouvertement versatile et son manque d’ambition artistique : usant d’une métaphore footballistique typiquement italienne, il déclare que le cinéaste se contentait de suivre les modes et livrait au final une œuvre lui ayant uniquement permis de progresser en « ligue 2 », alors que selon lui, il avait du talent et aurait pu « s’élever » d’un point de vue artistique. Il reviendra également sur son expérience sur Emmanuelle et Françoise. D’une façon plutôt surprenante, il rejoint le clan de Gilles Cèbe en déclarant qu’il n’aime pas beaucoup le film. Le bonus suivant nous donnera l’opportunité de rencontrer une actrice ayant un tout petit rôle dans le film : il s’agit d’un entretien avec Maria Rosaria Riuzzi (« Trois femmes et un miroir », 15 minutes) qui joue dans l’incontournable scène lesbienne du film, passage obligé du cinéma d’exploitation italien de l’époque. Les souvenirs de l’actrice ne concernent probablement qu’une ou deux journée(s) de tournage, mais elle se remémore une équipe aux petits soins et dresse un portrait très flatteur de Joe D’Amato.

Mais ce n’est pas tout : Le chat qui fume nous propose aussi de découvrir un long documentaire sur Joe D’Amato, intitulé chez nous « Une expérience de l’horreur », qui alternera les extraits de films et les passages d’entretiens avec le cinéaste ainsi qu’avec quelques-uns de ses collaborateurs réguliers. Ce documentaire passionné d’une durée de presque 1h20 se révélera assez bien rythmé, bourré d’anecdotes et sans la moindre langue de bois ; il atteint d’ailleurs parfaitement son objectif dans le sens où une fois le doc terminé, on s’est pris d’affection pour le cinéaste, et on aurait bien envie de découvrir quelques-uns des films dont on découvre ici les extraits. Last but not least (comme on le dit aux States), on se régalera de la présentation du film par Sébastien Gayraud (« Emmanuelle, Françoise et Joe », 49 minutes), pièce maitresse de cette interactivité déjà bien riche. En effet, le critique, auteur d’une monographie sur le cinéaste (« Joe D’Amato : Le réalisateur fantôme », Artus Films, 2015), s’avère absolument passionné par son sujet, et emportera le spectateur avec lui grâce à un tourbillon d’anecdotes sur la carrière du réalisateur, et sur Emmanuelle et Françoise en particulier : on découvre en effet grâce à lui que le film s’impose comme très représentatif des obsessions du cinéaste. Et comme à l’accoutumée, on fermera la section « bonus » avec une petite poignée de bandes-annonces estampillées Le chat qui fume.

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