Emilia Pérez
France, Mexique, États-Unis : 2024
Titre original : –
Réalisation : Jacques Audiard
Scénario : Jacques Audiard
Acteurs : Zoe Saldana, Selena Gomez, Karla Sofía Gascón
Éditeur : Pathé
Genre : Drame, Comédie musicale, Thriller
Durée : 2h12
Date de sortie cinéma : 21 août 2024
Date de sortie DVD/BR/4K : 21 décembre 2024
Surqualifiée et surexploitée, Rita use de ses talents d’avocate au service d’un gros cabinet plus enclin à blanchir des criminels qu’à servir la justice. Mais une porte de sortie inespérée s’ouvre à elle, aider le chef de cartel Manitas à se retirer des affaires et réaliser le plan qu’il peaufine en secret depuis des années : devenir enfin la femme qu’il a toujours rêvé d’être…
Le film
[4/5]
L’une des grandes qualités de critique-film.fr, c’est la diversité de son équipe éditoriale, qui permet à votre site préféré de multiplier les points de vue, et d’aborder tous les genres de cinéma, sans jamais s’enfermer dans un ghetto. De ce fait, les divergences d’opinion entre les différents chroniqueurs sont relativement fréquentes, et rares sont les films qui font l’unanimité auprès de tous. Pourtant, il arrive que l’alignement des planètes permette à un long-métrage de réussir cet exploit : en 2024, ce fut le cas pour Emilia Pérez. Ecrit, produit et réalisé par Jacques Audiard, le film avait été sélectionné en compétition officielle au Festival de Cannes 2024, où il avait remporté le prix du jury et le prix d’interprétation féminine pour l’ensemble des actrices. Emilia Pérez a déjà fait l’objet de deux critiques dans nos colonnes, aussi peut-on supposer que toutes les qualités du film de Jacques Audiard ont déjà été évoquées, dans deux styles très différents, par nos chroniqueurs « maison ».
La première critique d’Emilia Pérez est signée Guillaume Imbert, qui revient sur le film dans son style moderne proche de l’esprit « blogosphère », cassant les codes traditionnels de la critique cinéma en utilisant, sciemment et de façon permanente, la première personne. Vous trouverez ci-dessous quelques morceaux choisis de sa critique du 9 juillet.
« Je vis une histoire d’amour complexe avec le cinéma de Jacques Audiard. Il fut à l’origine de certains de mes premiers émois cinématographiques, une ouverture vers un cinéma français stylisé et puis, peu à peu, le symbole d’une idéologie un peu confuse, bradant parfois sa morale sur l’autel du spectaculaire. Il m’a fallu du temps pour déconstruire à quel point Audiard s’inscrivait dans une réécriture assez évidente d’un certain thriller à l’américaine qu’il assaisonne de sa science du dialogue et d’une grande maîtrise de la caméra portée. (…) Emilia Pérez, c’est à la fois le retour au fantasme mais aussi à la maîtrise. En affichant par la forme de la comédie musicale le décalage de son spectacle, Audiard réussit à accomplir un très joli scénario en piochant encore une fois dans la tradition américaine mais cette fois pour la pirater de l’intérieur. (…) Emilia Pérez est sublime dans ses chorégraphies, dans son rythme. Il est un peu grotesque par sa bien-pensance, par ses couleurs un peu douteuses et par cette manière qu’à son réalisme magique de fédérer tous les symboles comme si le monde entier tenait sur un geste de son Emilia Pérez. Une histoire très habile, originale, cocasse, brouillonne certes, mais stupéfiante dans ces vrais moments de cinéma. (…) Alors que les grands spectacles se font de plus en plus aseptisés, Audiard aura enfin réussi enfin à imprimer vraiment sa patte sur un film américain. Cet Emilia Pérez restera une étrangeté réjouissante, un film plus esthétique que politique mais qui est unique par la seule impossibilité de le ranger dans une case. »
La deuxième critique d’Emilia Pérez à avoir été publiée dans les colonnes de critique-film.fr est signée de l’indéboulonnable Jean-Jacques Corrio, qui signe avec une régularité de métronome de riches critiques pour votre site préféré depuis rien de moins que treize ans. Grand défenseur d’un cinéma réfléchi et ambitieux, il avait également mis en évidence les qualités du film de Jacques Audiard dans sa critique du 16 août, dont vous trouverez un « Reader’s Digest » ci-dessous.
« Bons ou mauvais, il y a des réalisateurs qui, peu ou prou, font sans arrêt le même film. A l’inverse, certains réalisateurs arrivent à se débrouiller pour que chaque nouveau film arrive à surprendre les spectateurs. Indéniablement, Jacques Audiard fait partie de cette famille de réalisateurs qui ne cesse d’innover tout au long de leur carrière. Avec Emilia Pérez, récompensé au dernier Festival de Cannes par le Prix du Jury et un prix d’interprétation féminine obtenu collectivement par les quatre têtes d’affiche du film, il s’est écarté encore plus que d’habitude de tout ce qu’il avait déjà réalisé dans le passé tout en restant fidèle aux thèmes qui lui sont chers, la paternité et la transmission de la violence. (…) En réalisant Emilia Pérez, c’est un pari audacieux que s’était lancé Jacques Audiard : risquer de se voir accuser d’opportunisme en s’attaquant à un thème très actuel, la transidentité, et développer ce thème dans le cadre d’un film qui soit tout à la fois un drame tournant au mélo, un thriller et une comédie musicale. Excusez du peu ! Ce pari, Jacques Audiard l’a gagné haut la main, tellement ce film audacieux et exubérant s’avère brillant, chaleureux et émouvant tout en étant également beaucoup plus profond que ce qu’une approche superficielle pourrait laisser penser. En effet, mine de rien, Emilia Pérez, en plus de traiter la transidentité avec empathie, aborde au moins deux questions qui n’ont rien de futiles : d’abord, si on admet que le monde masculin est plus violent que le monde féminin, le fait que les hommes deviennent des femmes pourrait-il arriver à éradiquer le trop plein de violence qui pourrit la planète ? Ensuite, Manitas/Emilia a réussi par une action radicale à sortir du chemin que la nature semblait lui avoir assigné mais, d’une manière générale, est-il si facile de sortir du chemin que les origines familiales et l’environnement ont tracé pour vous et qui ne correspond pas forcément à votre « moi » intime ? (…) Avec Emilia Pérez, son dixième long-métrage, tout à la fois drame, thriller et comédie musicale, Jacques Audiard prouve une fois de plus, s’il en était besoin, qu’il est un des réalisateurs les plus importants du cinéma français et même mondial. Et n’oublions pas que, grâce à son film, une comédienne trans a, pour la première fois, obtenu un prix d’interprétation féminine au Festival de Cannes. »
Le Blu-ray
[4/5]
Après avoir réuni un peu plus d’un million de spectateurs dans les salles françaises, le dernier film de Jacques Audiard débarque enfin chez vous en Haute-Définition, et comme il fallait s’y attendre, le Blu-ray d’Emilia Pérez édité par Pathé nous propose véritablement une expérience Home Cinéma au taquet. L’image est littéralement superbe, même dans ses nombreux passages nocturnes, et rend parfaitement hommage à la belle photo du film signée Paul Guilhaume (Les Olympiades, Les Cinq diables). La définition est précise, les couleurs très saturées sont respectées à la lettre, et même durant les séquences les plus chaotiques à l’écran (fumée, couleurs vives qui tranchent net), le master tient toujours parfaitement la route et nous ravit pleinement les mirettes. Côté son, c’est également du lourd, en VO espagnole comme en VF. Nous aurons donc droit en version originale à un puissant mixage Dolby Atmos (qui sera décodé en Dolby TrueHD 7.1 par les amplis non compatibles), et le moins que l’on puisse dire, c’est que le film en imposera au spectateur tant du point de vue visuel qu’acoustique, avec des passages musicaux époustouflants blindés d’effets dynamiques de toutes parts. La version française, disponible en DTS-HD Master Audio 7.1, saura également tirer son épingle du jeu d’un point de vue sonore : le mixage est épatant, et la spatialisation des scènes musicales apportera au spectateur son lot de petites surprises aux quatre coins de la pièce. Un superbe boulot.
Dans la section suppléments, on trouvera un entretien avec Jacques Audiard (36 minutes), présenté par Pathé comme une « conversation avec Philippe Rouyer ». Cela dit, on comprend parfaitement que l’éditeur n’ait eu d’autre choix que de renommer cet entretien, tout simplement parce que le journaliste ne parvient pas à rester à sa place et ne cesse de couper la parole au cinéaste, parlant à sa place ou en son nom, ce qui s’avère, à vrai dire, assez insupportable en dépit du nombre d’informations très intéressantes qui nous sont communiquées. Même Jacques Audiard s’agacera occasionnellement de la tournure que prend l’entretien : « bah alors, le casting, il a fallu, euh, trouver les actrices ? » « Ben oui, comme à chaque fois ! » répond Audiard, ce à quoi Rouyer rétorque « bah oui, mais là, ça a été plus compliqué » Et c’est comme ça sur tous les sujets : repérages, chansons, tournage… Rouyer sait tout mieux que le réalisateur lui-même, et passé le premier quart d’heure d’entretien, on n’entend quasiment plus que lui, Jacques Audiard ne s’exprimant plus que par monosyllabes. Enfin, on terminera avec un sujet consacré aux coulisses du tournage, soit onze minutes de séquences volées sur le plateau et pendant la préparation du film, et entrecoupées de courts entretiens avec l’équipe et les actrices, et notamment avec Selena Gomez.