Elmer Gantry, le charlatan
États-Unis : 1960
Titre original : Elmer Gantry
Réalisation : Richard Brooks
Scénario : Richard Brooks
Acteurs : Burt Lancaster, Jean Simmons, Dean Jagger
Éditeur : Wild Side Vidéo
Durée : 2h27
Genre : Comédie, Drame
Date de sortie cinéma : 3 mai 1961
Date de sortie DVD/BR : 4 décembre 2019
Bel homme, opportuniste, immoral, le représentant de commerce Elmer Gantry est tout cela, et bien plus encore. Ainsi, lorsqu’il tombe par hasard sur la réunion d’un groupe de « Renouveau évangélique » et découvre qu’il peut se faire de l’argent aussi facilement que dans un saloon, Gantry se convertit à l’évangélisme. Rejoignant les rangs de Soeur Sharon Falconer, il livre des sermons éloquents contre le démon, qui lui valent gloire et fortune. Mais lorsqu’une ancienne maîtresse refait surface, Gantry doit affronter des démons d’un tout autre genre : des secrets inavouables, depuis longtemps enterrés, qui font de sa vie de « saint » un véritable enfer sur Terre…
Le film
[4,5/5]
Si le phénomène est quasi-inconnu de notre côté de l’Atlantique, les prédicateurs et autres évangélistes itinérants sillonnent les routes des Etats-Unis depuis de très nombreuses années, répandant la bonne parole du Christ à travers de grands « shows » populaires, spectaculaires et musicaux. Les sermons qui y sont souvent dispensés – le plus souvent devant des milliers de personnes – sont tellement éloignés de l’image que l’on peut se faire de ce pieux exercice qu’on pourrait affirmer qu’ils sont au traditionnel sermon d’église ce que le catch est à la boxe… Adapté du roman de Sinclair Lewis, Elmer Gantry le charlatan permet à Richard Brooks de s’attaquer de façon frontale à ce phénomène et à ses dérives. Mais s’il semble finalement plutôt éprouver de la sympathie pour ses deux personnages principaux (Burt Lancaster et Jean Simmons), même s’ils s’avèrent aux antipodes l’un de l’autre dans leur relation à la foi, ce sont d’avantage les cyniques qui sont visés, ceux qui instrumentalisent ce système de « marchandisation de la religion », dont il démonte les rouages avec une acuité des plus acerbes. Brillant, le film n’a rien perdu, presque 60 ans après sa réalisation, de son sens de l’observation, et s’avérera une surprise des plus agréables pour qui aura la chance de le découvrir de nos jours. Une réussite absolue qui avait également su convaincre notre chroniqueur Tobias Dunschen :
« Les États-Unis d’Amérique entretiennent un rapport très étroit avec la religion. Depuis les pèlerins fondateurs du Mayflower, jusqu’à l’exigence envers chaque président d’être croyant et au moins en apparence pratiquant, l’engagement religieux joue un rôle clef dans la constitution et la compréhension de la nation américaine. Sans surprise, le cinéma n’aborde que furtivement un sujet aussi épineux et férocement préservé, au détour de quelques biographies filmiques de saints, convenablement édifiantes et dépourvues de la moindre mise en question sérieuse. Dans un tel contexte, cette adaptation du roman de Sinclair Lewis du début des années 1960 s’avance courageusement sur le terrain miné du commerce avec la foi, faisant preuve d’une lucidité et d’une ambiguïté passionnantes !
Autour de la dynamique vigoureuse entre les deux personnages principaux, Gantry et Falconer, qui croient à des degrés divers en ce qu’ils font et prêchent, le film explore le mécanisme perfide, entre intérêts commerciaux et maniement des médias, qui a fait de l’Amérique le pays crédule, influençable et corrompu qu’il est jusqu’à nos jours. L’intrigue d’Elmer Gantry le charlatan a beau se dérouler dans les années 1920, le mode opératoire de l’aveuglement des foules est resté péniblement identique. Bien que les Dieux, vrais ou illusoires, prennent désormais des formes empreintes de la culture populaire (…). La dimension spectaculaire prime, jadis comme maintenant, sur le contenu intrinsèque du message véhiculé. Et la perception du public revêt une plus grande importance que la sincérité et la motivation de ceux et celles qui le guident moralement ou spirituellement.
Car ni Gantry, ni Falconer ne sont dupes de l’aspect factice de leur entreprise. Dans la grande tradition perfectionniste, là encore typiquement américaine, leurs réunions sont méticuleusement préparées, au point de nous faire douter sérieusement de la spontanéité de la conversion miraculeuse des pauvres pécheurs. Comme pour mieux souligner le côté manipulateur de la croisade pour sauver des âmes et flatter les missionnaires, le scénario fait abstraction du point de vue de la foule en quête de réconfort facile et ne se concentre que sur le parcours emblématique des imposteurs. Au détail près que l’engagement des deux têtes d’affiche s’opère selon des ambitions complémentaires, au lieu d’être concordantes. Tandis que la Sœur Sharon croit en son devoir divin, même si elle est consciente des exigences de mise en scène pour transmettre son message d’espoir et pour pouvoir ériger un temple à la gloire de Dieu, ou plutôt à la sienne, le cas d’Elmer Gantry est infiniment plus complexe.
La force et la subtilité de l’interprétation de Burt Lancaster en font un personnage complexe et difficile à cerner. Tiraillé entre son passé de pasteur défroqué et son présent de commis voyageur minable, Elmer Gantry est un homme opaque, qui cherche autant les plaisirs de la chair que sa propre rédemption. Derrière son sourire forcé et néanmoins désarmant se cache un individu étonnamment pragmatique : un vagabond dans l’âme et dans le cœur, dont la sensibilité transparaît même lors de ses coups les plus tordus. A moins que cette vulnérabilité touchante ne soit qu’un masque supplémentaire d’un des plus grands manipulateurs de l’histoire du cinéma !
Le réalisateur et scénariste Richard Brooks sait en effet maintenir l’ambiguïté du ton jusqu’au bout de son épopée magistrale. A la fois une critique cinglante du fonctionnement immuable d’une certaine Amérique et une excellente étude de caractère de deux personnages d’exception, impossibles à cerner, Elmer Gantry le charlatan réussit l’exploit remarquable de nous passionner pour un sujet, qui nous laisse normalement circonspects. »
Le Blu-ray
[5/5]
C’est à Wild Side Vidéo que nous devons le plaisir de redécouvrir Elmer Gantry le charlatan sur support Blu-ray ; le film de Richard Brooks débarque d’ailleurs dans une édition Combo Blu-ray + DVD, comprenant de plus un livre exclusif sur le film rédigé par Philippe Garnier. Le master nous propose un rendu Haute-Définition tout simplement excellent : l’image est propre et stable, le grain argentique a été soigneusement préservé ; le piqué est précis, les couleurs équilibrées, avec des teintes naturelles, des rouges qui tranchent carrément dans le vif et des noirs profonds sans être bouchés. L’encodage est sans souci, les gros plans sont vraiment de toute beauté, et on ne trouvera aucune trace visible d’un passage de l’image au DNR ou réducteur de bruit. Bien sûr, on notera que les plans à effets sont plus doux que les autres, mais cela est tout à fait normal – parallèlement à cela, le piqué, les couleurs et les contrastes retrouvent véritablement une nouvelle jeunesse. Côté son, VF et VO sont proposées en DTS-HD Master Audio 2.0 mono d’origine, la version française s’avérant un peu plus étouffée que sa grande sœur anglaise, avec un léger souffle, mais l’ensemble est très satisfaisant : les amateurs de versions françaises d’époque apprécieront le fait de retrouver le doublage d’origine du film, un brin suranné et souvent amusant. Ce dernier participera même clairement au charme du visionnage pour qui a découvert le film en VHS ou lors d’une lointaine diffusion TV. Du très beau travail.
Dans la section suppléments, nous trouverons, outre le livret de 80 pages, écrit spécialement par Philippe Garnier et illustré de photos et d’archives rares, une très belle présentation du film par Patrick Brion (44 minutes) : si le célèbre historien du cinéma y apparaît certes un peu fatigué, il fera taire les mauvaises langues qui avaient pris l’habitude de ses présentations un peu « légères » enregistrées pour la collection « Western de légende » de Sidonis Calysta. En effet, il reviendra ici sur la carrière de Richard Brooks, la genèse du film et le tournage avec Burt Lancaster d’une façon très complète et assez passionnante. On terminera ensuite avec un entretien avec Jean-Claude Zylberstein (14 minutes) dans lequel il reviendra quant à lui sur la carrière de Sinclair Lewis ainsi que sur l’importance des « con men » (hommes de confiance) et le poids financier, encore considérable de nos jours, des évangélistes aux États-Unis.