De bruit et de fureur
France : 1988
Titre original : –
Réalisation : Jean-Claude Brisseau
Scénario : Jean-Claude Brisseau
Acteurs : Bruno Cremer, François Négret, Vincent Gasperitsch
Éditeur : Carlotta Films
Durée : 1h35
Genre : Drame
Date de sortie cinéma : 1 juin 1988
Date de sortie DVD/BR : 4 septembre 2019
Bruno a 14 ans. A la mort de sa grand-mère, il revient vivre à Bagnolet chez une mère totalement absente. Dans une classe où tous ont les mêmes difficultés scolaires, il fait la rencontre de Jean-Roger, terreur du CES. C’est par lui que le jeune garçon va être mis en contact avec les membres pervers et violents de la bande de Mina…
Le film
[5/5]
La carrière et le cinéma de Jean-Claude Brisseau (1944-2019) ont été assombris par une sombre affaire de mœurs en 2005/2006, et depuis une dizaine d’années, son œuvre n’était plus vraiment – et c’est un euphémisme – placée sous le feu des projecteurs. Même lors de sa disparition au mois de mai dernier, rares sont les médias qui ont pris le temps de saluer son immense talent. Grâces soient donc rendues à Carlotta Films, qui nous permet ce mois-ci avec la sortie en Blu-ray de ses trois premiers films de remettre en avant une figure majeure du cinéma français…
Deuxième long-métrage de Jean-Claude Brisseau, De bruit et de fureur est « LE » film avec lequel il marquera réellement de son empreinte indélébile l’Histoire du cinéma français. Pas celui qui rencontrera le plus gros succès en salles, mais celui qui à coup sûr marquera le plus les mémoires, par son ambiance, ses scènes « choc », mais aussi et surtout par sa richesse formelle et thématique, littéralement extraordinaire. Car qu’on le prenne du point de vue social, psychanalytique ou même philosophique, le discours développé par Brisseau au cœur de son film propose une réflexion en tous points brillante, jonglant avec des concepts forts – en partie similaires à ceux d’Un jeu brutal, son film précédent – tels que l’héritage, l’éducation, la place du père, l’isolement, la vie / la mort, la nature, l’idée de « réussite sociale » ou encore la notion de « transgression », que le cinéaste mêle avec habileté à un récit initiatique trouble et émouvant, baigné dans la violence et les rapports de force.
Et l’impression que l’on avait pu avoir à la découverte du film précédent, selon laquelle le « mal » se concentrait dans les grands ensembles et autres cités HLM apparus avec l’essor de l’habitat urbain dans les années 70 se confirme plus que jamais. Ces grands blocs « où personne ne se parle mais où tout le monde connaît tout de son voisin ». Située à Bagnolet (où a réellement enseigné Jean-Claude Brisseau), l’intrigue de De bruit et de fureur met en scène la violence, qui ne semble jamais artificielle, jamais gratuite : elle suinte au contraire presque naturellement de ces espaces confinés où s’entasse la population. Bien sûr, le film dresse également un amer constat d’échec concernant l’éducation nationale, qui n’a pu, faute de moyens – mais également à cause de parents clairement irresponsables – endiguer l’échec scolaire et la délinquance. Et si aujourd’hui, trente ans plus tard, le film nous apparaît aussi « visionnaire » (il est bien antérieur aux émeutes de banlieue qui déchireront la France en 2005), c’est juste parce qu’il établissait un constat que personne ne voulait voir : celui d’une France au cœur de laquelle une large portion des enfants de la République apparaissent comme des laissés pour compte, des oubliés du système. Mais si De bruit et de fureur démontre l’état de déliquescence sociale de son époque, le film ne se limite pas à cela, et va beaucoup plus loin, en frappant le spectateur direct au cœur.
Impossible d’oublier De bruit et de fureur. Que vous l’ayez découvert à sa sortie en 1988 ou que vous vous apprêtiez seulement à le voir aujourd’hui, le film de Brisseau constitue une expérience de cinéma forte, âpre, à la fois déplaisante et absolument fascinante – un film qui marque, et que l’on n’oublie pas. Aussi, si l’on peut vous donner un conseil, préparez-vous. Préparez-vous à être hanté pour longtemps par la fébrilité et la détresse de chien fou dans le regard de François Négret, préparez-vous à vous sentir, dégouté, révolté, mais également ému au regard de la trajectoire du petit Bruno (impeccable Vincent Gasperitsch), à ce salut qui semblait si proche mais ne s’avèrera au final qu’une illusion tragique. Préparez-vous à pleurer, mais aussi à rire – de ce rire un peu nerveux qui vous surprend quand vous êtes foncièrement mal à l’aise ; préparez-vous à entendre les propos les plus justes sortir de la bouche des pires ordures. Préparez-vous à être impressionné par le charisme et la puissance animale du jeu de Bruno Cremer, littéralement époustouflant ; préparez-vous à être transporté également, par la beauté picturale de certains plans, magnifiés par la photo éblouissante de Romain Winding. Et préparez-vous à vous lamenter sur le sort de la France qui déjà il y a trente ans laissait se creuser le fossé des inégalités sociales qui mèneront un jour ou l’autre à l’implosion. Bref, préparez-vous, car De bruit et de fureur, on n’en sort pas indemne.
Le Blu-ray
[5/5]
C’est donc sous les couleurs de Carlotta Films que les cinéphiles français pourront (re)découvrir De bruit et de fureur pour la toute première fois en Haute Définition, dans un master restauré 2K flambant neuf. Le résultat est d’ailleurs sans appel, et s’avère absolument excellent, tant au niveau de la définition (fine et précise) que de la colorimétrie (extrêmement stable, proposant des tonalités subtiles), ou encore des contrastes ou de la stabilité / propreté de l’image, qui nous apparaît comme immaculée. Le grain cinéma d’origine a également été scrupuleusement préservé, et la compression est invisible. Du travail très solide, une véritable réussite. Côté son, le film est proposé dans un mixage DTS-HD Master Audio 1.0, stable, équilibrée et proposant des dialogues clairs quoique par moments légèrement étouffés.
Dans la section bonus, on retrouvera avec plaisir un entretien avec Jean-Claude Brisseau, déjà disponible sur le DVD de 2006, qui nous permettra d’entendre le cinéaste s’exprimer sur son parcours d’enseignant à Bagnolet – il affirme d’ailleurs avoir vécu des situations encore plus sordides que celles qu’il a mises en scène dans le film – ainsi que sur les différentes thématiques du film. S’il se refuse à livrer une explication toute faite, notamment sur la nature de « l’apparition » aux côtés du personnage de Bruno, il livre avec naturel et sans langue de bois une série de pistes de compréhension très intéressantes pour qui prendra la peine de les explorer. On continuera ensuite avec un commentaire des scènes d’ouverture du film, toujours par Jean-Claude Brisseau qui, devant son téléviseur, revient sur une poignée de choix artistiques qui tendront à faire penser au spectateur que le cinéaste n’a pas laissé grand-chose au hasard. On terminera ensuite avec la traditionnelle bande-annonce.