Test Blu-ray : Crash – Édition « Ultra Collector »

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Crash

Canada : 1996
Titre original : –
Réalisation : David Cronenberg
Scénario : David Cronenberg
Acteurs : James Spader, Holly Hunter, Elias Koteas
Éditeur : Carlotta Films
Durée : 1h40
Genre : Drame
Date de sortie cinéma : 17 juillet 1996
Date de sortie DVD/BR : 21 octobre 2020

À la suite d’un crash en auto avec le Dr Remington, le producteur de films publicitaires J.G. Ballard et sa femme Catherine se lancent dans l’exploration des rapports étranges entre la voiture, le sexe et la mort…

Le film

[4/5]

Même si cela parait difficile à croire à priori, il existe des points de convergence entre le cinéma de David Cronenberg et celui de David Lynch. Le point de rencontre – ou de collision pourrait-on dire ! – le plus évident entre les carrières des deux David est Crash. Petite remise en contexte : au tournant des années 90, le canadien Cronenberg multiplie les bonnes critiques depuis le succès de La mouche (1986), et finit par prendre ces dernières au sérieux. Et si il était un « Auteur » ? S’étant laissé convaincre que son œuvre avait une cohérence et des motifs récurrents, Cronenberg va petit à petit commencer à multiplier les films destinés à asseoir sa position d’Auteur reconnu. Ayant essuyé quelques critiques négatives sur Le festin nu (1991), il décide de s’éloigner radicalement de son registre habituel avec M. Butterfly en 1993. Mais patatras : ni le public ni la critique ne le suivent. David Cronenberg décide donc de faire machine arrière et de revenir de façon plus explicite à son « obsession de la chair », thématique ayant fait l’essentiel de sa renommée durant les années qui précédaient.

Mais attention : le cinéaste en a fini – et bien fini – avec le cinéma d’horreur, cela n’est plus de son âge, et ses aspirations sont plus « dignes ». Il décide donc de revenir sur le devant de la scène par le biais d’un drame psychologique, qui sera forcément très teinté d’érotisme, puisqu’il y laissera libre cours à son attirance pour les mutations, les anormalités et autres altérations physiques qui font tout le sel de son œuvre depuis ses débuts. Avec Crash, il choisit donc d’adapter un roman de l’immense James G. Ballard, mais entreprend de le faire comme un vrai « auteur », c’est-à-dire en entretenant une distance « artistique » avec son sujet. « A la David Lynch » donc, en prenant le moins de risques possible.

Exit donc la chaleur, la frontalité et la fièvre qui faisaient de Videodrome (1983) son plus grand et son plus intense chef d’œuvre. Au-delà de toutes ses qualités (car le film en a un paquet bien sûr), Crash se pose en œuvre « charnière » dans la carrière de David Cronenberg : il s’agit de son premier film ouvertement conçu et calculé non plus pour le public mais pour la critique, qui l’a érigé en auteur, et qu’il ne veut pas décevoir. En résulte au final une œuvre érotique bizarrement distanciée, très froide et très bourgeoise, abandonnant toute volonté de subversion (les personnages que le film met en scène semblent vivre complètement à l’écart du monde, comme sur une autre planète) et même toute velléité de résonance sociologique et/ou politique, alors même que le sujet aurait fort bien pu s’y prêter.

Crash est donc un film érotique, oui – mais à l’image de ses personnages que rien ne semble toucher, il s’avérera aussi bandant qu’un cube de glace. L’érotisme n’y est abordé que par un prisme cérébral, purement théorique, et malgré la quantité de plans dédiés à exhiber au spectateur les corps de ses actrices, avec ou sans artifices, rien n’y fait, le spectateur demeure, comme devant un film de Lynch, complètement « extérieur » au récit, tout autant qu’hermétique aux préoccupations des personnages qui s’agitent à l’écran.

Mais malgré tout cela, on conviendra sans peine que Cronenberg parvient encore à créer des images folles, au moins aussi marquantes que celles de ses plus grands films, et qui hanteront à coup sûr le public pendant de très nombreuses années. On pense bien sûr – et entre autres – au harnachement médical presque SM du personnage de Rosanna Arquette, qui développera un pouvoir de fascination morbide au moins aussi fort que le masque à oxygène de Dennis Hopper dans Blue velvet, ou que les personnages masqués de Mulholland Drive. Une « vision » à l’impact esthétique très fort, mais qui n’apporte rien au récit, si ce n’est un sentiment de malaise diffus et durable.

Filmé à la façon d’un cauchemar éveillé, Crash s’éloigne souvent à dessein du roman de J.G. Ballard, qu’il simplifie outrageusement. Mais en recentrant l’intrigue autour de ses propres préoccupations (ici l‘union entre chair et acier, mettant en parallèle cicatrices et tôle froissée), le film permet finalement à David Cronenberg d’enrichir sa filmographie d’une poignée d’images durablement marquantes, qui feront écho avec d’autres déjà présentes dans son œuvre. Ainsi, la cicatrice de Rosanna Arquette, qui ressemble à un vagin, pourra être rapprochée de celle de James Woods à la fin de Videodrome, ou, plus tard, aux « prises » dorsales des personnages d’eXistenZ (1999).

Au final, Crash n’est certainement pas le meilleur film de la carrière de David Cronenberg, et il semble avoir été conçu sur des bases un peu cyniques, afin que les critiques du monde entier y trouvent ce qu’ils allaient immanquablement y chercher. Cependant, le film demeure, 25 ans après sa sortie, une œuvre encore assez puissante proposant, malgré ses longueurs, une poignée de séquences dont la force reste inchangée et qui, avec le recul, permettent finalement au film d’obtenir ses galons de « classique » au sein de sa filmographie. Pas le plus grand parmi ses classiques, cependant !

Le Coffret Blu-ray 4K Ultra-HD + Blu-ray + DVD + Livre

[5/5]

Crash est le dix-septième film à intégrer les « Éditions ULTRA COLLECTOR », collection de Blu-ray initiée par Carlotta Films fin 2015 avec la sortie de Body double. Comme tous les films de cette prestigieuse collection, Crash débarque donc dans un édition limitée numérotée à 3 500 exemplaires, dont le visuel a été créé exclusivement pour cette édition par le talentueux Sam Gilbey (le visuel de l’affiche de la ressortie salles est également disponible au verso). On notera donc d’entrée de jeu la classe absolue de cet imposant coffret, contenant un gros livre de 160 pages intitulé « Réalisme des sens : Crash de David Cronenberg », passionnant ouvrage collectif dirigé par Olivier Père contenant également des photos d’archives rares ainsi que des entretiens avec David Cronenberg et J.G. Ballard. Le livre est présenté comme un vrai livre de cinéma, avec une belle couverture cartonnée, glissé dans un étui à l’italienne. On a donc entre les mains un véritable et bel objet de collection : une tuerie absolue !

Carlotta Films nous propose donc de redécouvrir au sein de ce coffret le film sur support Haute-Définition mais également en Ultra-HD puisqu’un Blu-ray 4K est également de la partie (mais ne nous a pas été fourni par l’éditeur). Côté Blu-ray, dès les premiers plans, on constatera que le boulot de restauration a été fait avec le plus grand soin du monde : le bond qualitatif est saisissant. Le grain d’origine est bien là, le piqué est d’une belle précision, et les couleurs froides et rendent hommage à la sublime photo du film signée Peter Suschitsky. On est en présence d’un transfert tout simplement superbe, avec des scènes en basse lumière admirablement gérées. Côté son, c’est la classe également : le mixage DTS-HD Master Audio 5.1 (VO) se révèle particulièrement explosif. Le dynamisme est omniprésent, la spatialisation a été finement pensée et le résultat est vraiment impressionnant. La VF ainsi que la VO d’origine sont également disponibles dans des mixages DTS-HD Master Audio 2.0 naturellement plus frontaux, mais proposant un bon équilibre général entre la musique, les dialogues et les bruitages.

Au rayon des bonus, Carlotta Films continue sur son excellente lancée, avec tout d’abord le livre « Réalisme des sens : Crash de David Cronenberg », qui reviendra sur la conception du projet et l’adaptation du roman de J.G. Ballard, des entretiens d’époque avec David Cronenberg, une analyse du film par Sandrine Marques, une analyse du roman par Nicolas Tellop, un article de Thierry Jousse sur les collaborations entre Cronenberg et Howard Shore, un article de Sébastien Geyraud consacré à J.G. Ballard et un entretien d’archive avec J.G. Ballard.

Sur le Blu-ray à proprement parler, les suppléments sont également nombreux : plus de trois heures de visionnage vous seront en effet nécessaires si vous voulez en venir à bout ! On commencera avec un module intitulé « Tiff Talks 2019 », qui comme son nom le laisse deviner consiste en une conversation entre Viggo Mortensen et David Cronenberg après une projection de Crash lors de l’édition 2019 du TIFF, alias Toronto International Film Festival (52 minutes). Le sujet consiste en une présentation du film par Viggo Mortensen, qui sera rejoint après la projection par Cronenberg, qui n’avait pas vu le film depuis vingt ans. En grand amateur de voitures, il reviendra notamment sur la thématique du film, qui selon lui est l’antithèse de l’amour de l’automobile. Suivra ensuite une Intéressante session de questions / réponses avec le public. Carlotta Films nous propose ensuite une vaste série d’entretiens avec l’équipe du film, à l’exception de David Cronenberg lui-même. On commencera avec un entretien avec le chef opérateur Peter Suschitzky (20 minutes). Ce dernier reviendra sur sa longue carrière, qui a commencé bien avant le premier Star Wars, puis plus précisément sur sa collaboration avec David Cronenberg. Il avouera ne pas aimer les scènes d’horreur et la violence, et avoir régulièrement passé la caméra à Cronenberg quand il s’agissait de tourner les plans les plus sanglants. Il reviendra ensuite plus précisément sur Crash ainsi que sur le livre de Ballard. Cela sera ensuite à un autre collaborateur régulier de Cronenberg de s’exprimer, puisque l’on aura droit à un passionnant entretien avec le compositeur Howard Shore (23 minutes), qui reviendra sur leur longue collaboration de travail et sur la liberté que lui laisse le cinéaste. Concernant Crash, il reviendra de façon assez technique sur ses motivations et le défi que représentait la musique d’un film adapté de l’œuvre de J.G. Ballard. C’est ensuite le producteur du film qui s’exprimera puisque le sujet suivant est un entretien avec Jeremy Thomas (17 minutes), qui reviendra sur leur rencontre et le montage du Festin nu avant d’évoquer Crash, qui marquait selon lui la rencontre entre deux personnalités à l’imagination débordante. Il reviendra également sur les réactions extrêmement hostiles au film rencontrées à Cannes et au Royaume-Uni. On terminera enfin le tour des nouvelles interviews avec un entretien avec Deirdre Bowen (27 minutes), au cœur duquel la directrice de casting présentera très rapidement son parcours avant d’enchaîner avec sa collaboration étroite avec Cronenberg, et ses choix d’acteurs sur Dead Zone, La mouche, Faux semblants, M. Butterfly et enfin Crash.

On continuera ensuite avec une sélections d’archives promotionnelles recyclées des précédentes éditions DVD, sous les couleurs de StudioCanal (1999) puis de Bac Films (2008) : un montage de moments volés sur le tournage du film (11 minutes), ainsi que des entretiens avec David Cronenberg (6 minutes), J.G. Ballard (3 minutes), James Spader (5 minutes), Holly Hunter (3 minutes), Deborah Kara Unger (5 minutes) et Elias Koteas (3 minutes).

Last but not least : en plus d’une sélection de différentes bandes-annonces du film, Carlotta Films nous propose également de découvrir trois courts-métrages réalisés par David Cronenberg. Les courts-métrages étant malheureusement trop peu visibles de nos jours, il s’agit d’une initiative vraiment réjouissante. Caméra (2000, 7 minutes) est une jolie réflexion sur le vieillissement vu par le prisme du cinéma. Dans Le suicide du dernier Juif sur Terre dans le dernier cinéma sur Terre (2007, 4 minutes), Cronenberg met en scène son propre suicide commenté, en voix off, par deux présentateurs TV surexcités. Enfin, Le nid (2013, 10 minutes), intéressant plan-séquence en vision subjective interprété par Evelyne Brochu et David Cronenberg lui-même (voix uniquement).

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