Candyman
États-Unis, Canada : 2021
Titre original : –
Réalisation : Nia DaCosta
Scénario : Jordan Peele, Win Rosenfeld, Nia DaCosta
Acteurs : Yahya Abdul-Mateen II, Teyonah Parris, Colman Domingo
Éditeur : Universal Pictures
Durée : 1h31
Genre : Horreur
Date de sortie cinéma : 29 septembre 2021
Date de sortie DVD/BR : 16 février 2022
D’aussi loin qu’ils se souviennent, les habitants de la cité Cabrini-Green à Chicago ont toujours été frappés d’effroi à l’évocation d’une légende urbaine selon laquelle il suffirait de répéter 5 fois le nom d’un tueur démoniaque en se regardant dans un miroir, pour invoquer sa venue. Une décennie après la démolition des dernières tours de Cabrini-Green, l’artiste peintre Anthony McCoy et sa compagne emménagent dans un loft de l’ancien quartier reconverti et désormais réservé à de jeunes professionnels et artistes aisés…
Le film
[4/5]
La mort de George Floyd en mai 2020 et l’explosion du mouvement « Black lives matter » ont rapidement trouvé un écho sur les écrans américains, à travers une petite poignée de films et de séries TV. Cependant, aucune œuvre n’avait su explorer les arcanes de cette tragédie de la violence raciale de façon aussi profonde, complexe et politisée que Candyman.
Un peu hâtivement considéré comme un simple « reboot » du film de Bernard Rose, le film de Nia DaCosta, co-écrit par le talentueux Jordan Peele, s’avère en réalité bien plus que cela : il s’agit en effet d’une véritable suite, prolongeant de façon radicale le film original, tout en explorant des pistes narratives passionnantes, qui trouvent une résonance assez troublante dans la société actuelle. Le lien avec le film de 1992 se fait donc par le biais de l’histoire d’Helen Lyle, devenue en l’espace de trente ans une nouvelle légende urbaine autour du quartier de Cabrini-Green à Chicago, au cœur duquel se déroulait l’intrigue du premier Candyman. Vanessa Williams, qui incarnait un des rôles-clés du film de Bernard Rose, reprend ici son rôle, assurant la continuité entre le film original et cette suite signée Nia DaCosta.
Durant les trente ans qui séparent ces deux occurrences de Candyman, la « gentrification » a fait son œuvre, et l’ancien ghetto est devenu un quartier huppé, et un des hauts-lieux de la vie artistique de la ville de Chicago. Pour autant, comme l’a montré l’assassinat de George Floyd par la police de Minneapolis en 2020, rien n’a changé aux États-Unis en ce qui concerne les tensions raciales, bien au contraire, et les scénaristes de Candyman l’ont bien compris, comme le montre leur décision de dépasser le simple personnage de Daniel Robitaille (Tony Todd) et de faire du croque-mitaine un « symbole », un personnage multiple, dont l’identité change en fonction de ses apparitions dans le récit.
Ainsi, quand le croque-mitaine aux mille visages de suppliciés écrit sur un miroir « Say my name » avec le sang de ses victimes, c’est une façon de souligner le fait que si George Floyd a un bel et bien un nom, dorénavant fortement ancré dans l’inconscient collectif, le personnage de Candyman quant à lui représente ces centaines de « sans noms », ces victimes de la haine et du racisme mortes depuis des siècles sous les coups, les brimades, les lynchages de l’homme blanc. L’idée est forte, subversive, et permet à Jordan Peele, Win Rosenfeld et Nia DaCosta de se réapproprier complètement le récit de Clive Barker, comme l’avait également fait Bernard Rose il y a trente ans. D’ailleurs, la nouvelle de Barker ne comportaient pas réellement la dimension « raciale » qui a fait de Candyman ce qu’il est aujourd’hui : le croque-mitaine de l’histoire y était en effet décrit comme un homme blanc, « à la peau jaunâtre », et non noire. Son histoire et son background n’y étaient pas non plus explicités.
On pouvait d’ailleurs voir dans le Candyman de 1992 ressurgir une poignée de peurs primales plutôt typiques de « l’homme blanc » : le ghetto de Cabrini-Green y était montré comme une espèce de « jungle » urbaine, et le personnage de Candyman, incarné par Tony Todd avec beaucoup de sensualité, pouvait être vu comme une menace liée à la masculinité / virilité de l’homme noir, traditionnellement véhiculée par les clichés racistes de par le monde. Tous ces aspects sont naturellement gommés par le scénario de Jordan Peele, Win Rosenfeld et Nia DaCosta, même si bien sûr, il existe une réelle continuation avec l’esprit et l’histoire du film original. Candyman version 2021 explore juste cet univers par le prisme d’une sensibilité différente, et mêle de fait l’horreur viscérale – en partie influencée par David Cronenberg et le « body horror » – à une conscience sociale encore plus aiguë que sur le film précédent.
Candyman enrichit donc considérablement le mythe autour du personnage, et étend la légende d’une manière à rendre hommage au film original tout en introduisant une nouvelle génération aux réalités terrifiantes qui y étaient exposées. Mais en dépit de son approche socialement engagée, et de son scénario extrêmement travaillé, le film s’impose également comme un puissant exercice de style formel, qui se préoccupe autant de l’approche esthétique que des fondements narratifs du récit. La réalisatrice Nia DaCosta se montre ainsi capable d’équilibrer sa vision de Candyman de façon percutante, et visuellement très impressionnante.
La musique imaginée par Robert Aiki Aubrey Lowe est grandiose, les flashbacks prenant la forme d’ombres chinoises absolument remarquables, et l’ingéniosité avec laquelle la cinéaste filme ses scènes de carnage et de meurtres est manifeste. Le fait que le croque-mitaine n’apparaisse que dans les « reflets » (vitres, miroirs) la force à organiser sa mise en scène de façon vraiment habile, et le fait est que le spectateur gardera probablement bien plus longtemps en mémoire les scènes de meurtres de son Candyman grâce à son utilisation habile du cadre et des différentes échelles de plan, qui prend d’ailleurs souvent le pas sur les effets spéciaux.
Ainsi, si beaucoup de cinéphiles craignaient que le film de Nia DaCosta ne soit qu’un reboot sans âme de l’œuvre originale, Candyman s’impose finalement comme une œuvre puissante et conscientisée. Le public américain ne s’y est d’ailleurs pas trompé, en assurant au film un gros succès aux États-Unis : avec 78 millions de dollars de recettes, on peut supposer que le croque-mitaine reviendra prochainement sur les écrans. En France en revanche, ce Candyman cuvée 2021 n’aura attiré que 143.000 curieux sur un circuit de 360 salles, ce qui est beaucoup moins que le premier, qui avait attiré 177.000 français sur seulement 83 salles début 1993.
Le Blu-ray
[4/5]
Le Blu-ray de Candyman est donc édité par Universal Pictures, et comme d’habitude avec l’éditeur, on ne déplorera aucun souci du côté du transfert du film, qui s’avère assez sublime : la définition et le piqué sont d’une belle précision, même durant les nombreux passages nocturnes, la profondeur de champ est au rendez-vous, le piqué est d’une précision redoutable… On applaudit des deux mains l’éditeur, qui nous offre assurément ici un très beau Blu-ray. Côté son, la galette nous est proposée avec un puissant mixage Dolby Atmos en VO, qui fera le job sans le moindre souci. Le mixages privilégie l’ambiance oppressante du film, et fait la part belle à la musique de Robert Aiki Aubrey Lowe, mais sait également se montrer démonstratif en termes de spatialisation sur les scènes de flippe. On privilégiera ainsi clairement la version originale à sa petite sœur la VF, mixée en Dolby Digital 5.1 : si le doublage s’avère tout à fait convaincant, la piste française demeure très en retrait côté rendu acoustique, et naturellement moins fin dans la spatialisation des effets.
Dans la section suppléments, Universal Pictures fait très fort en revanche, avec environ une heure de bonus tout à fait passionnants dans leur genre. On ne pourra que saluer l’implication de Jordan Peele dans le film : le cinéaste s’avère presque plus présent que la réalisatrice dans les bonus de cette édition Blu-ray. On commencera donc avec une intéressante fin alternative (3 minutes), prenant place dans une galerie d’Art, pour enchaîner avec une petite poignée de scènes alternatives (6 minutes), nous donnant à voir trois scènes du film en version longue. On passera ensuite à diverses featurettes, qui aborderont les aspects les plus singuliers du film. Le premier sujet, qui fera office de mini-making of (7 minutes), explorera la filiation avec le film original et sa « mise à jour » à travers le prisme des problèmes sociaux et des complexités du monde d’aujourd’hui. Les sujets suivants seront d’avantage axés sur des aspects formels du film. On commencera avec le « Body Horror » (6 minutes), qui reviendra sur les maquillages et les prothèses du film, puis on abordera la « vision » de Nia DaCosta pour son film (5 minutes), les différentes peintures utilisées pour le film, que l’on doit à de véritables artistes de Chicago (7 minutes), la très originale musique de Robert Aiki Aubrey Low (5 minutes) et les particularités de son enregistrement, et enfin, on terminera avec les scènes tournées en ombres chinoises, réalisées par les équipes de Manual Cinema, et le lien qu’elles créent avec le film original. Enfin, on terminera avec une table ronde dédiée au film et plus largement au genre dit du « Black Horror » (20 minutes), assurée par Colman Domingo, Tananarive Due, Wendy Ashley, Yolo Akili Robinson et Lorenzo Lewis.