Bunker Palace Hotel
France : 1989
Titre original : –
Réalisation : Enki Bilal
Scénario : Enki Bilal, Pierre Christin
Acteurs : Jean-Louis Trintignant, Carole Bouquet, Maria Schneider
Éditeur : Rimini Éditions
Durée : 1h35
Genre : Science-fiction
Date de sortie cinéma : 14 juin 1989
Date de sortie DVD/BR : 17 octobre 2023
Dans un pays inconnu, dans un ville inconnue lors d’une guerre inconnue, s’agite sous terre l’élite d’un régime inconnu. Son quartier général : le Bunker Palace Hotel, offrant confort et sécurité. Tout semble se dérouler pour le mieux pour les dignitaires du régime qui attendent leur président. Cependant, d’étranges bruits courent à la surface de la terre et les rebelles sont de plus en plus actifs malgré la vigilance du machiavélique Holm. Quant au personnel androïde, il donne de curieux signes de dysfonctionnement…
Le film
[3,5/5]
Dans la deuxième moitié des années 80, sous l’impulsion d’une poignée de producteurs désireux de faire un peu bouger les lignes, le cinéma français s’est laissé tenter à plusieurs reprises par le cinéma de genre tendance Fantastique / Science-fiction. On pense à des films tels que Clash (Raphaël Delpard, 1984), Kamikaze (Didier Grousset, 1986), Terminus (Pierre-William Glenn, 1987), Gandahar (René Laloux, 1987), Baxter (Jérôme Boivin, 1989), 36-15 code Père Noël (René Manzor, 1989), Tom et Lola (Bertrand Arthuys, 1990), Delicatessen (Caro & Jeunet, 1990), Adrénaline le film(s) (Yann Piquer, 1990), Baby Blood (Alain Robak, 1990), Gawin (Arnaud Sélignac, 1991), Simple mortel (Pierre Jolivet, 1991)…
Pour la plupart, il s’agit de films aujourd’hui oubliés, passés sous silence, qui ne perdurent que grâce au souvenir d’une poignée de cinéphiles ayant eu la chance de les découvrir dans les salles il y a presque quarante ans, et au boulot d’une poignée d’éditeurs bien décidés à leur faire reprendre la place qu’ils méritent dans l’Histoire du cinéma hexagonal. Et au-milieu de tous ceux-là, il y avait également Bunker Palace Hotel, le premier long-métrage réalisé par Enki Bilal, sorti dans les salles obscures en 1989, qui s’offre aujourd’hui une deuxième vie grâce aux efforts de Rimini Editions, qui lui offre qui plus est un bel écrin Haute-Définition.
Pour ceux qui l’ignoreraient encore, Enki Bilal est un des auteurs les plus prestigieux et les plus reconnus de la bande dessinée française. Auteur de la fameuse « Trilogie Nikopol », constituée de La Foire aux immortels (1980), La Femme piège (1986) et Froid Équateur (1993), le dessinateur s’est également illustré au cinéma avec trois longs-métrages, même si l’on ne retient souvent de sa filmographie que son troisième film, Immortel (Ad Vitam), qui était parvenu à réunir presque un million de français dans les salles en 2004. Ses débuts au cinéma furent néanmoins plus modestes : son premier film Bunker Palace Hotel n’avait attiré qu’un peu plus de 120.000 spectateurs dans les salles, et son deuxième film, Tykho Moon n’avait clairement pas rencontré son public, puisqu’il n’avait enregistré qu’un peu plus de 62.000 entrées à sa sortie en 1996.
Le hasard des sorties vidéo fait que l’on redécouvre cette année Bunker Palace Hotel à peu près au même moment que le sublime Delicatessen de Caro & Jeunet. C’est amusant dans le sens où les deux films ont quelques points communs d’un point de vue formel, et d’autant plus intéressant que Marc Caro vient également du monde de la bande dessinée pour adultes (Métal hurlant, L’Écho des savanes…), ce qui donnerait presque l’impression, avec le recul, que les auteurs de BD prenaient d’assaut le cinéma français à la fin des années 80. Bien sûr, il ne s’agit là que d’une impression, les tentatives dans le genre s’étant à peu près limitées à ces deux personnalités à l’époque – il faudrait attendre 2007 et le choc Persepolis pour que les dessinateurs de BD se voient à nouveau courtisés par le monde du cinéma (Joann Sfar, Riad Sattouf…).
Et que reste-t-il de Bunker Palace Hotel 35 ans après sa sortie ? Rien de moins qu’une solide petite mise en bouche, doublée d’une intéressante porte d’entrée à l’univers d’Enki Bilal. Bénéficiant d’un production design soigné, d’acteurs remarquables et d’un postulat de départ assez passionnant, le film prend son temps afin d’installer son atmosphère, et l’ensemble fonctionne sans que l’on ressente le moindre temps mort. Se déroulant dans un lieu quasi-unique, le film met en scène une poignée de personnages hauts en couleurs qui permettent à Bilal et à son co-scénariste Pierre Christin (déjà collaborateur du dessinateur sur les séries de BD Légendes d’aujourd’hui et Fins de Siècle) de livrer une critique particulièrement bien sentie et amusante de l’hypocrisie du corps politique et de ses accointances avec les grands groupes industriels.
Le Blu-ray
[4,5/5]
Bunker Palace Hotel vient donc de débarquer dans un joli coffret Combo Blu-ray + 2 DVD sous les couleurs de Rimini Éditions – conscient de la singularité du film d’Enki Bilal, l’éditeur a d’ailleurs décidé de lui offrir un joli écrin : le film est en effet proposé dans un joli digipack trois volets surmonté d’un fourreau et contenant, en cadeau, un jeu de trois cartes postales nous proposant des dessins préparatoires signés Bilal ainsi que la reproduction de l’affiche d’origine.
Côté master, Bunker Palace Hotel retrouve ici tout son éclat : le rendu est optimal et permet une telle redécouverte que l’on fermera les yeux avec bienveillance sur les très rares fourmillements perceptibles sur quelques arrière-plans – le prix à payer pour sauvegarder la texture argentique d’origine. Les couleurs sont solides et soigneusement étalonnées, respectant les tons froids souhaités par le directeur photo Philippe Welt, et la fermeté des contrastes témoigne de la qualité de la restauration. Côté son, le film nous est proposé en DTS-HD Master Audio 2.0, et le mixage s’avère d’une irréprochable propreté, avec un bon équilibre entre les dialogues et la musique de Arnaud Devos et Philippe Eidel. Du très beau travail.
Mais c’est vraiment grâce à ses suppléments absolument remarquables que cette édition Blu-ray de Bunker Palace Hotel se révèle le plus passionnante. On commencera par un entretien avec Enki Bilal (46 minutes), qui reviendra sur sa relation au médium cinéma, et abordera dans le détail les différentes étapes de la création de son premier film. Le projet de court-métrage, la rencontre avec le producteur Maurice Bernart, l’importance des décors et des costumes, le tournage à Belgrade, les acteurs… Enki Bilal évoquera chaque détail de la création de son bébé sans langue de bois, et terminera en revenant sur ses deux autres films. On continuera ensuite avec le projet « Cinémonstre », qui nous sera présenté par Enki Bilal (5 minutes) : il s’agit d’un spectacle musical de 2006 se basant sur un habile montage de séquences tirées de ses trois longs métrages. Le film de montage constituant la base de ce spectacle – sans la musique de Goran Vejvoda – nous est d’ailleurs proposé en intégralité sur le Blu-ray édité par Rimini (1h07). Les séquences tirées de Bunker Palace Hotel nous permettront d’ailleurs de mesurer le bond qualitatif que nous propose le master Haute-Définition du film. On continuera ensuite avec un reportage d’époque sur le tournage (3 minutes), tiré des archives de l’INA, et on terminera avec un passionnant documentaire sur Enki Bilal (51 minutes). Diffusé en 2019 sur France 5, ce documentaire intitulé Enki Bilal, souvenirs du futur est signé Christian Guyonnet. On y découvrira l’artiste dans son sublime atelier, ses méthodes de travail et les allers-retours entre l’atelier et le PC sur lequel il compose son « montage », le doc ayant été tourné pendant la conception du deuxième volet de son album Bug. On notera également une poignée d’interventions de « collègues » dessinateurs d’Enki Bilal, tels que Philippe Druillet et Bastien Vivès.