Bug
États-Unis : 2006
Titre original : –
Réalisation : William Friedkin
Scénario : Tracy Letts
Acteurs : Ashley Judd, Michael Shannon, Harry Connick Jr
Éditeur : Metropolitan Vidéo
Durée : 1h38
Genre : Thriller, Drame, Fantastique
Date de sortie cinéma : 21 février 2007
Date de sortie Blu-ray : 7 décembre 2023
Agnes vit seule dans un motel désert. Elle est hantée par la disparition de son enfant et redoute la visite de son ex-mari, un homme violent tout juste sorti de prison. Dans cet univers coupé du monde, Agnes tombe amoureuse de Peter, un ex-soldat. Leur relation tourne au cauchemar lorsqu’ils remarquent l’existence de mystérieux insectes capables de s’introduire sous la peau. Ensemble, ils vont chercher la vérité : hallucination ou secret d’état ?
Le film
[4/5]
Basé sur une pièce de théâtre écrite par Tracy Letts en 1996, Bug, comme beaucoup de pièces adaptées à l’écran, joue essentiellement la carte du huis-clos. Le film se déroule quasi-uniquement dans une chambre de motel un rien délabrée, lieu de vie d’Agnes (Ashley Judd), qui va bientôt rencontrer Peter (Michael Shannon). Bien qu’il y ait certes une poignée d’intrigues secondaires au cœur du film, Bug ne s’éloigne jamais très longtemps du couple formé par Peter et Agnes, proposant au spectateur de découvrir leur rencontre, de suivre au fil de quelques ellipses temporelles l’évolution / détérioration de leur relation (et de leur état mental) et, enfin, d’assister à l’inévitable tragédie à laquelle aboutira leur paranoïa grandissante.
Car Peter et Agnes sont rongés par la folie ; le spectateur se rendra assez rapidement compte de la schizophrénie latente du personnage incarné à l’écran par Michael Shannon, et la mise en scène de William Friedkin mettra en évidence, au fur et à mesure que se déroule l’intrigue de Bug, la « contagion » qui opérera, Agnes devenant elle aussi de plus en plus instable, jusqu’au basculement total dans les dédales les plus incohérents de la paranoïa. Cette folie incontrôlable transformera peu à peu physiquement les deux personnages, mais gagnera également leur intérieur, la chambre miteuse d’Agnes se transformant en un véritable blockhaus, où tous les éléments de mobilier sont recouverts d’aluminium – une façon assez spectaculaire de traduire à l’image toute l’angoisse psychologique qui hante ce couple.
Bien qu’on puisse classer Bug dans la catégorie du « thriller psychologique », le film de William Friedkin ne se limite pas à cette case, et s’offre également quelques incursions au cœur d’autres genres, tels que l’horreur, la science-fiction et même le mélodrame. Sur le papier, Bug nous propose une étude de caractère visant à démonter les rouages de la paranoïa – ou du complotisme pour utiliser un terme à la mode depuis la crise sanitaire du Covid – et sa propension à se propager rapidement. Le film montre que l’isolement et l’absence de contradiction sont un terreau fertile pour laisser s’épanouir toutes sortes de théories du complot, et à l’ère de la toute-puissance des réseaux sociaux, sur lesquels les informations sont dispensées en fonction d’algorithmes (et non de façon objective), le discours presque prophétique développé par Bug en 2006 fait littéralement froid dans le dos.
Derrière la caméra, William Friedkin fait grimper la tension de façon méthodique, chaque séquence de Bug faisant monter l’intensité jusqu’à en devenir presque étouffante. Le contrôle dont fait preuve Peter sur Agnes est également assez fascinant : la voix monotone de Michael Shannon laisse régulièrement la place à des diatribes fiévreuses, des soliloques post-modernes et conspirationnistes qui interpellent le spectateur parce qu’ils défient la logique et/ou le sens commun. Il piégera donc la fragile Agnes dans son réseau alambiqué d’extrapolations délirantes, notamment en reliant des événements réels à des pertes personnelles ayant marqué la psyché d’Agnes – ainsi, Peter parvient à créer des liens entre la première guerre d’Irak, les essais d’armes du gouvernement US et la disparition du fils d’Agnes dans un supermarché.
Séduite par le charme toxique de Peter, Agnes adhérera peu à peu à ses délires, la seule réalité « tangible » du couple étant de plus en plus marquée par la peur, la dépression, la paranoïa et la violence. Et alors que la descente aux enfers des personnages incarnés à l’écran par Ashley Judd et Michael Shannon finira par générer chez eux des émotions trop intenses pour être contrôlées, Bug avancera crescendo vers un inévitable final apocalyptique. Les indices formels de leur déchéance sont nombreux, et au fil des quatre-vingt dix minutes de film, le réalisateur William Friedkin opte par moments pour des artifices de mise en scène presque expressionnistes afin d’illustrer son propos. Les teintes jaunes et craspec de la chambre d’Agnes nous rappelleront ainsi forcément la maladie qui rampe entre ses murs. Plus tard, quand l’obsession des deux personnages pour les insectes les contraindront à suspendre dans la chambre des dizaines de rouleaux de papier tue-mouches, ces bandes verticales prendront l’apparence, pour le spectateur, de véritables barreaux de prison : la métaphore de l’enfermement de Peter et Agnes est évidente. Par ailleurs, Bug permet à William Friedkin de dresser un amusant parallèle entre l’amour et la maladie mentale. En effet, au fur et à mesure que la relation entre Peter et Agnes se développe, leur paranoïa s’accroît également, ce qui établit un lien intéressant entre la psychose et l’amour, comme si le sentiment amoureux marquait la (fine) ligne qui sépare la santé mentale de la folie.
Le Blu-ray
[4/5]
Disponible depuis le 7 décembre sous les couleurs de Metropolitan Vidéo, Bug débarque au format Blu-ray une quinzaine d’années après sa sortie au format DVD. Si le film de William Friedkin a mis si longtemps à se voir upgradé en Haute-Définition, c’est probablement en raison de sa facture technique, et notamment de sa granulation extrêmement forte, des ses couleurs poisseuses et de la lumière peu flatteuse créée pour le film par Michael Grady.
On le salue d’autant plus bas que Bug arrive dans une superbe édition limitée prenant la forme d’un Digipack deux volets à la composition graphique absolument remarquable. Et côté Blu-ray, comme on pouvait s’y attendre de la part de l’éditeur, la galette HD de Bug est d’excellente tenue, avec un grain cinéma très rugueux, des couleurs fidèles aux teintes d’origine et des contrastes finement travaillés. L’image est par ailleurs très stable, et le film est curieusement présenté en 1080i. Côté son, l’éditeur nous propose deux mixages DTS-HD Master Audio 5.1 (VF/VO) très immersifs : bien sûr, ils privilégient tous deux les ambiances à la démo d’effets dynamiques, mais une belle authenticité se détache des deux versions, qui s’imposent comme parfaitement solides et efficaces. La version française est par ailleurs assez soignée.
Du côté des suppléments, l’éditeur a tout d’abord recyclé les bonus de l’édition DVD de 2008 : on commencera donc avec un riche Commentaire audio de William Friedkin (VOST). Le regretté cinéaste nous y livrait une piste informative, en revenant longuement sur la pièce de théâtre de Tracy Letts et la façon dont cette dernière avait enflammé son imagination, et en abordant la signification (ou le symbolisme) de ses différentes idées de mise en scène. On enchaînera ensuite avec une featurette d’époque (12 minutes) revenant sur la préparation et le tournage du film : on y découvrira quelques images volées sur le tournage, entrecoupées d’interviews avec William Friedkin, Michael Shannon, Ashley Judd… On continuera ensuite avec une interview-carrière avec William Friedkin (28 minutes) au cours de laquelle le cinéaste répondait à des questions spécifiques sur sa filmographie, ainsi que sur l’évolution de l’industrie du cinéma en l’espace de quelques décennies. Il abordait avec honnêteté les longs délais de préparation entre ses différents films, reconnaissant que dans les années 1970, il avait la liberté de faire tout ce qu’il voulait, alors qu’à partir des années 90, il avait du travailler pendant des années pour réunir les fonds nécessaires à la réalisation d’un film. Enfin, en plus de la traditionnelle bande-annonce, on trouvera un entretien inédit avec William Friedkin (26 minutes), enregistré à l’époque de la sortie du film en France. Il y reviendra sur le thème de la paranoïa, parlera de guerre et de politique (il citera même Jacques Chirac), de la perte des valeurs / de l’effondrement de la culture dans la société contemporaine, et évoquera brièvement la censure. Passionnant !