Test Blu-ray : Border Line

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Border Line

Espagne : 2022
Titre original : La Llegada
Réalisation : Alejandro Rojas, Juan Sebastián Vasquez
Scénario : Alejandro Rojas, Juan Sebastián Vasquez
Acteurs : Alberto Ammann, Bruna Cusí, Ben Temple, Laura Gómez
Distribution : Condor Entertainment
Durée : 1h17
Genre : Drame, Thriller
Date de sortie cinéma : 1er mai 2024
Date de sortie DVD/BR : 12 septembre 2024

Projetant de démarrer une nouvelle vie aux États-Unis, Diego et Elena quittent Barcelone pour New-York. Mais à leur arrivée à l’aéroport, la Police des Frontières les interpelle pour les soumettre à un interrogatoire. D’abord anodines, les questions des agents se font de plus en plus intimidantes. Diego et Elena sont alors gagnés par le sentiment qu’un piège se referme sur eux…

Le film

[4/5]

Si vous envisagiez de tout plaquer pour partir vous installer aux États-Unis, Border Line pourrait bien vous faire changer d’avis. Écrit et réalisé par Alejandro Rojas et Juan Sebastián Vásquez, deux cinéastes vénézuéliens émigrés en Espagne, le film suit la trajectoire de Diego et Elena (Alberto Ammann et Bruna Cusí), qui quittent l’Espagne afin de partir s’installer aux États-Unis. Lui est récemment diplômé en urbanisme, elle est danseuse ; leurs papiers sont en règle, mais lors de leur arrivée à Newark, ils sont invités par la Police des Frontières à se soumettre à une série de formalités supplémentaires, qui prendront rapidement la forme d’un interrogatoire en bonne et due forme…

Écrit à partir de témoignages d’amis et de leur propre expérience d’expatriés, le scénario d’Alejandro Rojas et Juan Sebastián Vásquez prendra rapidement des allures de plongée étouffante dans les coulisses de la frontière américaine. Conçu en huis-clos et porté par deux acteurs littéralement exceptionnels, Border Line pose ses personnages et fait grimper la tension, tout d’abord en confrontant ses personnages à l’attente et à l’incompréhension, puis, alors que les questions des agents se précisent, au doute. Au fond, Elena connait-elle si bien que cela Diego, qui partage sa vie depuis trois ans ?

Petit à petit, au fil des questions des deux agents en charge de leur interrogatoire, le spectateur ne pourra que se poser la question de la légitimité des doutes émis par la police des frontières : des éléments du passé de Diego sont révélés, et il se trouve qu’il n’a pas été à 100% honnête avec Elena. D’où notre interrogation légitime : et si les soupçons de la police étaient fondés ? Que cache ce personnage, est-il vraiment celui que l’on croit qu’il est ? C’est ainsi que tout en révélant au spectateur la nature étonnante – et pour le moins intrusive – des enquêtes de personnalité auxquelles se livre l’oncle Sam avant d’accepter de délivrer la fameuse « Green Card », Border Line change subrepticement de nature, et prend les atours d’un véritable thriller, intense et angoissant.

Troublant, politique, implacable, le récit de l’arrivée de Diego et Elena sur le sol américain place le spectateur dans une position inconfortable, témoin impuissant de privations de liberté, d’intimidations et d’ingérences dans la sphère privée tenant presque de l’humiliation – le tout étant dissimulé sous une politesse de façade. Et même si le film se déroule en grande partie dans une seule pièce, Border Line fonctionne parfaitement, ne laissant jamais au public le temps de reprendre ses esprits, à l’image d’Elena, qui au début du film nous apparait comme une femme sure d’elle et déterminée, mais qui perdra bientôt toute contenance sous l’autorité étroite des deux agents menant l’interrogatoire.

Les moments de tension exacerbée sont nombreux : on pense au face à face entre Diego et l’agent Vásquez (Laura Gómez), ou ce passage durant lequel l’agent Barrett (Ben Temple) demande à Elena de « danser » dans l’exiguë salle d’interrogatoire afin de prouver qu’elle est bien danseuse… En ce sens, et mine de rien, Border Line invite le spectateur à reconsidérer les lois qui donnent aux agents des frontières le pouvoir de bafouer tous les droits des citoyens, et pointe du doigt la question de la soumission à l’autorité, à la manière de films tels que Reality (Tina Satter, 2023) ou Compliance (Craig Zobel, 2012). A quel moment un citoyen a-t-il le droit de se rebeller contre une autorité abusive ? Telle est la question que semblent nous poser Alejandro Rojas et Juan Sebastián Vásquez.

Mais la proposition de cinéma aussi intense que minimaliste qu’est Border Line ne serait sans doute pas aussi puissante sans la performance de ses deux acteurs principaux, Alberto Ammann et Bruna Cusí. Compte tenu de la situation dans laquelle se trouvent les personnages, où chaque mot qu’ils prononcent est scruté à la loupe, ils parviennent à trouver les émotions justes, les moments les plus marquants du film se produisant d’ailleurs dans le silence – dans les regards, les hésitations, les pauses entre les mots, ou dans leurs yeux qui s’emplissent de larmes, mais que leur dignité empêche de laisser couler. Chaque phrase a un sens profond, chaque regard a du poids, et sans que rien ne soit jamais dit dans le film à ce sujet, on sait pertinemment que l’expérience qu’ils ont vécu dans ces bureaux laissera des traces indélébiles dans leur relation.

Découvrez également la critique de notre chroniqueur Jean-Jacques Corrio !

Le Blu-ray

[4/5]

Après une carrière dans les salles obscures ayant attiré 115.000 français sur un circuit limité de 125 copies, Border Line arrive finalement au format Blu-ray sous les couleurs de Condor Entertainment. Confiant dans la force de son thriller douanier, l’éditeur s’est d’ailleurs fendu d’un bien beau travail technique : définition exemplaire, piqué précis, couleurs éclatantes, noirs d’une belle densité… Le rendu est impeccable, homogène, en tous points parfait. Côté audio, VF et VO sont toutes deux encodées en Dolby TrueHD 7.1 et proposent des mixages immersifs, naturellement essentiellement basés sur les ambiances, qui s’avèrent réalistes et finement distillées. Le caisson de basse vient occasionnellement apporter son soutien et un peu de relief à l’ensemble, et le placement des voix est parfait.

Du côté des suppléments, Condor Entertainment nous propose de prolonger l’expérience du film par le biais d’un entretien avec Alejandro Rojas (20 minutes). Le coscénariste / coréalisateur de Border Line s’y exprime en français. Il reviendra sur la conception du film, évoquer sa volonté de « raconter la géopolitique dans l’intimité », et reviendra sur la persistance tenace du suranné « rêve américain » pour les vénézuéliens. Il admettra volontiers que Border Line est un film d’acteurs, et reviendra sur les qualités de ses acteurs – le talent d’Alberto Ammann pour les accents, la façon très analytique de Bruna Cusí d’aborder son rôle… Il avouera également avoir consciemment été influencé par le cinéma de Sidney Lumet. Très intéressant !

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