Boire et déboires
États-Unis : 1987
Titre original : Blind Date
Réalisation : Blake Edwards
Scénario : Dale Launer
Acteurs : Kim Basinger, Bruce Willis, John Larroquette
Éditeur : ESC Éditions
Durée : 1h35
Genre : Comédie
Date de sortie cinéma : 9 septembre 1987
Date de sortie DVD/BR : 3 novembre 2021
Walter Davis, banquier, doit conclure un très gros contrat avec un riche homme d’affaires japonais au cours d’un dîner. Il se met alors en quête d’une compagne pour la soirée. Grâce à son frère et à sa femme Suzy, il fait la connaissance de Nadia, cousine de Suzy, une jeune femme qui vient de rompre avec son fiancé. Suzy conseille à Walter de ne pas donner d’alcool à Nadia, mais un simple verre de champagne va transformer la vie de Walter…
Le film
[3,5/5]
Au début des années 60, Blake Edwards trouvait dans le dernier acte de La Panthère rose une occasion de réinventer la mécanique du vaudeville, avec une longue séquence extrêmement maîtrisée multipliant les personnages, les rebondissements et les ressorts comiques efficaces. Ce que Blake Edwards n’imaginait peut-être pas en 1963, c’est qu’en l’espace d’un petit quart d’heure de métrage mettant en avant le fameux inspecteur Clouseau (Peter Sellers), il poserait les bases de son cinéma pour les trente années suivantes. En effet, à partir de ce film, la carrière de Blake Edwards semblerait définitivement placée sous le signe du burlesque, du comique visuel, du vaudeville sophistiqué, mettant en scène avec le plus grand sens du cadre et de l’espace des personnages gauches, cachés dans des placards ou sous des lits, ou n’étant plus largement pas à leur place, décalés par rapport à leurs contemporains.
Gros succès populaire à sa sortie en 1987 (40 millions de dollars de recettes), Boire et déboires s’impose comme une volonté manifeste de la part de Blake Edwards de ressusciter la « Screwball Comedy » (ou comédie loufoque) américaine des années 30/40. Le film prend donc les atours d’une romance contrariée, mettant en scène un homme et une femme passant une heure et demie à essayer de se supporter avant de finir par accepter la nature de leurs sentiments véritables. Comme dans les classiques du genre signés Howard Hawks, Frank Capra, Ernst Lubitsch, Preston Sturges ou Leo McCarey, l’histoire d’amour au cœur de Boire et déboires est surtout un prétexte pour poser une femme au caractère bien trempé (ici révélé par l’alcool) qui deviendra rapidement une espèce de tornade détruisant littéralement tout sur son passage. Les situations, de plus en plus délirantes au fur et à mesure que le film avance, s’enchaînent sur un rythme soutenu, et le film se révèle un vrai petit plaisir oublié.
Se basant sur un script signé Dale Launer que Blake Edwards a tant et tant modifié que le scénariste finirait par le désavouer complètement, Boire et déboires est également le premier film mettant en scène Bruce Willis en tête d’affiche, et ce un an avant le rôle de John McClane qui lui apporterait la gloire internationale. Même si Bruce Willis était déjà un peu connu du public grâce à son rôle dans la série Clair de lune (1985-1989), c’est cela dit sans doute à Blake Edwards que l’on doit la naissance du Bruce Willis « de cinéma » tel qu’on l’a connu durant les premières années de sa carrière – non pas celui du héros musclé et sûr de lui qu’il aime à interpréter aujourd’hui, mais au contraire celui du mec lambda qui s’en prend littéralement plein la gueule. Piège de cristal (1988), Le Bûcher des vanités (1990), Hudson Hawk (1991), Le Dernier Samaritain (1991) ou encore La mort vous va si bien (1992) sont ainsi autant de films qui le posent en figure du personnage constamment malmené à l’écran, comme si la souffrance physique était son seul mode d’expression. Le fait est qu’il était réellement excellent dans ce registre, et Boire et déboires lui permettait largement d’exprimer son talent inné pour un comique « physique ».
Aux côtés de Bruce Willis, on notera également la performance extraordinaire de Kim Basinger, dont le jeu dévoile une subtilité étonnante tout autant qu’un véritable tempérament comique. Pour nos lecteurs les plus jeunes, rappelons que Kim Basinger fut révélée en tant que James Bond Girl dans le JezBond non-officiel Jamais plus Jamais (1983), mais que sa carrière exploserait réellement avec le film érotique 9 Semaines ½ en 1986 (You can leave your hat on, tsin-tsin-tsin tsin-tsin-tsin), qui lui permettrait d’intégrer le casting de Boire et déboires (1987), puis de Batman (1989). On la reverrait par la suite régulièrement sur les écrans jusqu’à Cellular en 2004, mais Hollywood est cruel avec les actrices de plus de 50 ans, et son nom finit par disparaitre des écrans radar, malgré un petit sursaut il y a quelques années avec The Nice Guys (2016) et Cinquante nuances plus sombres (2017) / Cinquante nuances plus claires (2018), qui s’avèrent à ce jour ses dernières apparitions au cinéma.
Plus de trente ans après sa sortie dans les salles, la redécouverte de Boire et déboires nous permet de confirmer l’idée selon laquelle Blake Edwards avait vraiment le don d’exploiter la folie latente de ses acteurs, et que personne n’était plus doué que lui pour chorégraphier, en Scope et avec un sens du timing redoutable, des situations grotesques aux ressorts humoristiques réglés avec la précision d’une horloge suisse. En plus des problèmes liés à l’ingestion d’alcool par le personnage de Nadia (Kim Basinger), le film développe également une sous-intrigue liée au personnage de David (John Larroquette), son ex-petit ami, possessif et dérangé, qui la poursuit de ses assiduités avec une hargne toute cartoonesque.
Ainsi, si Boire et déboires met un certain temps à installer son intrigue et ses personnages, on admettra que lorsque le chaos se déchaîne, il le fait avec une force absolument destructrice et imparable sur nos zygomatiques. La trajectoire de Walter (Bruce Willis) est réjouissante – de golden boy disposant d’un avenir prometteur dans la finance, il fera l’erreur de servir un verre de champagne à celle qui l’accompagne le temps d’un rendez-vous arrangé – on l’avait prévenu, pourtant, comme un Gremlin qu’il ne faut en aucun cas nourrir après minuit, qu’il ne fallait pas faire boire Nadia… A partir de cette erreur de jugement, et suivant le déroulement classique de la Screwball Comedy, Boire et déboires s’échinera donc à réduire la vie de notre héros en miettes. On notera cela dit qu’il s’agit là d’un des codes implicites du genre : l’existence du personnage masculin se doit invariablement d’être ruinée afin que ce dernier puisse accepter que l’existence qu’il menait n’était pas celle à laquelle il aspirait, et qu’il découvre sa véritable nature et sa place dans le monde (son objectif secret ici étant de vivre de sa musique).
Pour terminer, on notera également une poignée de seconds rôles savoureux, du majordome anglais (Graham Stark) à la geisha qui affirme ne pas parler un mot d’anglais (Momo Yashima) en passant, bien sûr, par le regretté Phil Hartman, membre de l’équipe du Saturday Night Live entre 1986 et 1994, voix régulière des Simpsons, également acteur de la série NewsRadio, mort assassiné par sa femme au printemps 1998.
Le Blu-ray
[4/5]
Fidèle à son excellente réputation concernant les galettes Haute-Définition qui apparaissent régulièrement au sein de son catalogue décidément très fourni, ESC Éditions nous livre avec ce Blu-ray de Boire et déboires une expérience Home Cinema assez exemplaire : préservant la granulation d’origine tout en nous proposant une image propre, stable et imposant sans peine un piqué précis et des couleurs naturelles, ce Blu-ray fait réellement honneur au support. Pas de bidouillages numériques à l’horizon, c’est du tout bon. Côté son, le film de Blake Edwards s’impose en version française et version originale dans des mixages DTS-HD Master Audio 2.0 d’origine tout ce qu’il y a de plus satisfaisant, proposant une excellente immersion au cœur du film. Du très beau travail ! Pas de suppléments.