Bloody Mama
États-Unis : 1970
Titre original : –
Réalisation : Roger Corman
Scénario : Don Peters, Robert Thom
Acteurs : Shelley Winters, Don Stroud, Pat Hingle
Éditeur : ESC Éditions
Durée : 1h31
Genre : Drame, Policier
Date de sortie cinéma : 25 novembre 1970
Date de sortie DVD/BR : 10 avril 2024
Élevée dans les immondices et la saleté au milieu de la pauvreté d’Ozask et privée de toute chance d’éducation ou de progrès, Kate Barker grandit en nourrissant une haine amère pour la société, et la loi du « système ». En 1912, elle donne naissance au dernier de ses quatre fils, lui offrant un monde qui consiste en trois frères crasseux et sous-alimentés, un père vivant d’expédients et une baraque de deux pièces dans un lotissement désert d’un terrain vague. Alors que les fils grandissent, les envies de la mère sont d’établir son niveau de vie avec le reste du monde et de trouver de l’argent dans sa maisonnée. Enfin, le temps arrive pour Mama de rassembler ses fils : Herman, Lloyd, Arthur et Fred…
Le film
[4/5]
En France, on a parfois tendance à résumer Roger Corman à une simple casquette de producteur débrouillard et un brin cynique. C’est un tort : on oublie trop souvent le grand cinéaste qu’il fut avant de prendre sa retraite de réalisateur au début des années 70. Touche à tout, aussi à l’aise dans la chronique socio-politique (le formidable The intruder) que dans le formalisme le plus pur (ses sublimes films gothiques adaptés d’Edgar Poe), Corman avait un don indéniable pour capter l’air du temps.
Et s’il s’inscrit dans une veine de cinéma dit « d’exploitation », censé surfer sur les succès de Bonnie & Clyde (Arthur Penn, 1967) et des Tueurs de la lune de miel (Leonard Kastle, 1969), Bloody Mama, sorti en 1970, ne déroge pas à la règle, et porte sur lui les stigmates d’une époque en plein changement. L’intrigue du film de Corman se déroule dans les années 30, et le cinéaste nous propose une reconstitution relativement soignée (quoique spartiate) de l’époque. On notera un cynisme un peu désabusé au fil de l’évolution de la cavale de la famille Barker, tirant même du côté de la subversion dans la façon dont le film aborde les grands événements historiques rencontrés par les personnages du film, tels que la crise de 1929. Mais au fond, personne n’est réellement dupe : Roger Corman parle de son temps, et chaque élément du scénario semble surtout trouver une résonance dans la société des années 70. Ainsi, les préoccupations socio-culturelles de l’Amérique post-68 sont donc au centre du film, même si ce dernier est censé se dérouler quelques décennies plus tôt…
La toxicomanie du personnage incarné par Robert de Niro est par exemple abordée de front (alors que les drogues de type héroïne/cocaïne n’avaient pas encore connu leur essor majeur dans les années 30), de même que la sexualité, largement à l’honneur puisqu’on évoque la prostitution, les relations échangistes, l’homosexualité (via le personnage de Robert Walden) ou encore les frustrations sexuelles, qui hantent littéralement le personnage de Shelley Winters. Insatisfaite, Ma’ Barker pense en effet pouvoir s’accomplir en tant que femme en découvrant l’orgasme, et le recherche auprès de plusieurs compagnons : paumée autant dans son corps que dans son pays, ne parvenant pas à trouver sa place – si ce n’est en tant que mère – elle finira par rejeter la société en bloc, à l’image de la jeunesse américaine du début des années 70, perdue face à l’horreur de la guerre du Vietnam.
En développant une fascination morbide pour ces anti-héros, que le spectateur suit de cloaque en cloaque et de mauvais coup en mauvais coup, sans la moindre possibilité d’échappatoire ou de rémission, Corman anticipe avec Bloody Mama le nihilisme des films des années qui suivront ; on pense par exemple beaucoup à La dernière maison sur la gauche de Wes Craven (1972). Ce nihilisme et cette misanthropie latente – directement hérités des Tueurs de la lune de miel de Kastle – sont d’ailleurs encore renforcés par la vision qu’a Corman de ses contemporains, tels que ces badauds qui se réunissent pour pique-niquer devant la maison où est en train de se dérouler une fusillade mortelle entre la police et la famille Barker… Un humour très noir au service d’un film fascinant, qui traverse les décennies avec une aisance confondante.
Le Combo Blu-ray + DVD + Livret
[4/5]
Disponible en Blu-ray chez ESC Éditions, Bloody Mama s’offre donc un lifting Haute-Définition plutôt attendu par les amoureux du cinéma américain des années 70. Et comme toujours avec l’éditeur, il n’y aura pas grand-chose à redire du côté du master, aussi bien côté image que côté son : ESC nous propose une édition HD de très bonne tenue. Le film de Roger Corman est présenté dans son format d’origine, en 1080p et dans sa version « intégrale ». L’éditeur a pris soin de préserver la granulation argentique du 35MM, proposant même par moment un piqué surprenant et de belles couleurs bien éclatantes. On notera quelques petits « décrochages » épars, mais l’ensemble s’avère tout à fait resplendissant, et même clairement enthousiasmant. Du côté des enceintes, le mixage audio VF / VO est proposé en DTS-HD Master Audio 2.0 mono d’origine, et se révèle parfaitement équilibré, clair, net et précis, sans sensation de souffle ou de voix « étouffées ». Du très beau travail technique.
Côté suppléments, on trouvera tout d’abord un livret inédit rédigé par Marc Toullec et intitulé « Roger Corman – Les années de plomb », qui reviendra dans le détail sur le film tout en le replaçant au cœur de la carrière de Roger Corman. On continuera ensuite sur la galette proprement dite, avec une présentation du film par Alexandre Jousse (21 minutes), qui s’attardera tout d’abord sur la véritable histoire de Ma Barker, et aux différentes références qui lui ont été faites dans la culture populaire, à la TV, au cinéma ou même dans la musique. En voix off, il s’attardera ensuite sur le film de Roger Corman, sur les acteurs du film et la méthode « Actor’s Studio », ainsi que sur les libertés prises par le film avec la réalité. Il terminera en revenant sur l’héritage immédiat du film : Boxcar Bertha et la trilogie des « Mamas » : Big Bad Mama (Super Nanas, 1974), Crazy Mama (1975) et Big Bad Mama II (Super Nanas 2, 1987). On continuera ensuite avec un entretien avec Roger Corman (15 minutes), qui reviendra sur le financement du film ainsi que sur le tournage de certaines séquences. Il se remémorera également de l’implication de Shelley Winters dans le film, et abordera un par un ses souvenirs de tous les acteurs du film. On terminera enfin avec une galerie de photos contenant des images de scènes coupées au montage, ainsi qu’avec la traditionnelle bande-annonce.