Beatrice Cenci – Liens d’amour et de sang
Italie : 1969
Titre original : Beatrice Cenci
Réalisation : Lucio Fulci
Scénario : Lucio Fulci, Roberto Gianviti
Acteurs : Tomas Milian, Adrienne Larussa, Georges Wilson
Éditeur : Artus Films
Durée : 1h33
Genre : Drame, Historique
Date de sortie DVD/BR : 31 mai 2020
A Rome en 1599, la jeune Béatrice attend dans une cellule le moment de son exécution. Son crime est d’avoir commandité l’assassinat de son père, Francesco Cenci, noble tyrannique et incestueux. La sentence provoque l’ire du peuple qui voit en la « Belle parricide » la martyre d’une société arrogante et hypocrite. Mais derrière l’icône se cache un personnage complexe qui a su manipuler les sentiments du serviteur Olimpio pour arriver à ses fins…
Le film
[4/5]
Si les dérives gore et les excès en tous genre ne représentent finalement qu’une petite partie de l’imposante filmographie de Lucio Fulci, beaucoup de cinéphiles résument son œuvre au tournant qu’elle a pris en 1979 avec L’enfer des zombies, et qui se prolongerait grosso-modo jusqu’en 1982. Trois années touchées par la grâce qui permettraient à Fulci de nous livrer une série de chefs d’œuvre de l’horreur viscérale : Frayeurs en 1980, La maison près du cimetière et L’au-delà en 1981, L’éventreur de New York en 1982.
De fait, on résume souvent la carrière de Fulci à ces cinq films. C’est aller un peu vite en besogne, et oublier que le maestro est un des plus grands représentants du cinéma populaire italien, ayant œuvré dans tous les genres de l’exploitation pour le meilleur et pour le pire, slalomant du giallo à la comédie en passant, entre autres, par le polar ou encore le western. En France, on redécouvrirait petit à petit d’autres facettes du cinéma de Lucio Fulci durant la première décennie des années 2000, grâce aux efforts conjoints de Neo Publishing, qui sortirait L’emmurée vivante en 2003, puis Beatrice Cenci en 2007, de Wild Side (4 de l’apocalypse en 2004), de Studiocanal (Le temps du massacre en 2008) ou encore de The ecstasy of Films (La guerre des gangs en 2013). Mais le temps passe et les films passent de mains en mains : Le chat qui fume vient ainsi d’acquérir les droits du chef d’œuvre L’emmurée vivante (1977), et Artus Films ceux de Beatrice Cenci, également connu sous le titre Liens d’amour et de sang.
Film historique fortement teinté de stupre et de violence, Beatrice Cenci est pourtant avant toute chose une pure « reconstitution », revenant à l’aide d’une narration volontairement éclatée sur le procès de la famille Cenci au XVIème Siècle – une affaire de meurtre extrêmement connue en Italie et dans le monde entier, ayant inspiré de nombreuses œuvres littéraires, musicales et dramaturgiques (Stendhal, Alexandre Dumas, Percy Shelley, Alberto Moravia, Antonin Artaud, Stefan Zweig, Frederic Prokosch, Alfred Nobel, Alberto Ginastera…). Les Cenci sont donc trois frères et sœurs nobles accusés du meurtre avec préméditation de leur père, Francesco Cenci, un homme violent ayant abusé de plusieurs d’entre eux. Après l’avoir empoisonné et littéralement massacré à coups de marteau, ils maquilleront leur crime sordide en accident, mais leur culpabilité sera rapidement mise à jour : ils seront reconnus coupables et condamnés à mort. Giacomo Cenci, 31 ans, eut la tête écrasée sur le billot d’un coup de maillet, puis il fut démembré et ses membres accrochés aux quatre coins de la place. Beatrice Cenci, 22 ans, et Lucrezia Petroni (seconde femme de Francesco) furent décapitées.
Sorti sur les écrans italiens en 1969 (soit treize ans seulement après une précédente adaptation signée Riccardo Freda), le film de Lucio Fulci met à profit les différentes métamorphoses du cinéma durant cette décennie agitée. Visuellement, Beatrice Cenci s’imposera donc d’entrée de jeu comme un film beaucoup plus « sale » et réaliste dans sa représentation de la vie au XVIème siècle. On est en effet loin de l’aspect « propret » et Technicolor des reconstitutions historiques des années 50. Par ailleurs, au fil des siècles, l’histoire des Cenci a pris une pris une nette coloration politique, et Beatrice Cenci est finalement devenue, pour le peuple de Rome, un symbole fort de la résistance contre l’arrogance de l’aristocratie, et donc de la lutte des classes, une des préoccupations les plus incontournables des « révolutions » de la fin des années 60 un peu partout en Europe. De fait, et comme pour en rajouter encore un peu dans la parabole politique, Fulci et son coscénariste Roberto Gianviti prennent leur temps à travers de nombreux flash-backs et flash-forwards afin de souligner l’avidité, le mépris de classe tout autant que l’impunité de Francesco Cenci (impeccable Georges Wilson). Les similarités entre ce notable déjà bien habitué à « monnayer » ses peines de prison et les grands chefs d’entreprises véreux du vingtième siècle ne sont évidemment pas le fruit du hasard : Fulci et Gianviti insistent en effet beaucoup plus sur son rapport à l’argent que, par exemple, sur son sadisme ou son attirance pour la chair – on peut même d’ailleurs supposer que tous les vices du patriarche Cenci découlent de son extrême cupidité, qui finit par prendre le pas sur tout autre aspect de sa personnalité.
Film cruel et volontiers complaisant, préfigurant par certaines déviances la tendance de Lucio Fulci à verser dans le « gore », Beatrice Cenci n’épargnera pas au spectateur les séquences de torture et autres supplices physiques, la plupart d’entre eux étant réservés au personnage d’Olimpo, homme à tout faire de la famille Cenci interprété par un Tomas Milian comme toujours absolument remarquable, et faisant preuve d’une belle retenue malgré un rôle globalement assez ingrat – Milian était cela dit un habitué des scènes de torture, puisqu’il avait déjà dégusté sévère dans Saludos hombre l’année précédente. Pour autant, et malgré d’occasionnelles digressions sanglantes ou légèrement teintées d’érotisme, le film de Fulci s’attache surtout à développer un portrait de femme très réaliste, le personnage incarné à l’écran par Adrienne LaRussa étant à la fois coupable du crime dont on l’accuse, mais aussi et surtout victime – de son père et du système représenté par l’Église. Parce bien entendu, Beatrice Cenci s’applique également à dénoncer les abus de l’Église toute-puissante, dont les agissements et les manigances paraissent finalement aussi répréhensibles que les turpitudes auxquelles se livrait Francesco. Une belle réussite artistique à mettre au crédit de Lucio Fulci, qui valait amplement d’être (re)découverte en Haute-Définition donc !
Les cinéphiles les plus fascinés par l’histoire du clan Cenci pourront par ailleurs se pencher sur de nombreux ouvrages relatant les faits de façon plus ou moins romancée. Si d’aventure vous étiez amenés à visiter Rome dans un avenir (relativement) proche, on notera que des applications mobiles vous permettront de vous rendre dans différents lieux du centre historique pour en apprendre davantage sur les légendes de fantômes et les crimes horribles de l’histoire italienne. Ainsi, une légende urbaine persistante affirme que chaque année, dans la nuit précédant la date anniversaire de sa mort (11 septembre 1599), Beatrice Cenci revient à la passerelle du pont Saint-Ange… en portant sa tête à la main.
Le Combo Blu-ray + DVD + Livre
[5/5]
Éditeur indépendant parvenant à faire rimer qualité avec passion, Artus Films fait indéniablement partie des francs-tireurs les plus intéressants en France en termes de qualité et de choix éditoriaux. La variété de leurs éditions Haute-Définition est impressionnante, et leur catalogue saura à coup sûr captiver non seulement un public amateur de cinéma de genre au sens très large du terme mais aussi tout cinéphile avide de découvertes…
C’est donc Artus Films qui se charge de rééditer Beatrice Cenci en France, dans une sublime édition Combo Blu-ray + DVD + Livre présentée dans un sublime Digibook. Et une nouvelle fois, nous ne serons pas déçus à la découverte de l’objet, présenté de façon toujours aussi classe et incontournable. Côté Blu-ray, l’éditeur nous propose pour le film de Lucio Fulci un master Blu-ray très respectueux du grain argentique d’origine, encodé en 1080p et proposant un piqué d’une belle précision ainsi que des contrastes et couleurs de très belle qualité. En deux mots, le rendu est très beau, le travail sur l’image est magnifique, et proposera aux amoureux du film une véritable redécouverte, d’autant plus appréciable que l’on désespérait un peu de voir un jour débarquer Beatrice Cenci sur support Blu-ray en France. Niveau son, l’éditeur se révèle également fidèle à ses habitudes, en nous offrant un mixage LPCM Audio 2.0 en version originale et en version française, les deux mixages étant tous deux très respectueux du rendu acoustique original, propre et ne souffrant pas du moindre souffle parasite. On préférera néanmoins nettement la VO, plus dynamique et proposant des dialogues un peu moins nasillards que sur la VF.
Du côté des suppléments, l’éditeur nous a réservé quelques jolies surprises, à commencer bien sûr par le livret de 64 pages consacré au film, rédigé sous la direction de Lionel Grenier (luciofulci.fr) et intitulé « Beatrice Cenci : Sainte ou succube ? ». Riche de nombreux entretiens avec Fulci, il s’échine à nous dresser un portrait assez fidèle de la production du film, en s’attachant bien sûr à la genèse du projet et aux libertés prises avec la réalité. La censure, Adrienne Larussa ou encore les décors du film sont également passés en revue. Lionel Grenier assurera également une courte présentation (3 minutes) ainsi qu’une analyse du film (8 minutes) claire, synthétique et allant à l’essentiel. En revanche, on pourra tiquer en entendant la prononciation du nom de la famille Cenci par Lionel Grenier – qu’il prononce « Saint-Si » alors qu’on serait plutôt tenté – peut-être à tort – de le prononcer « Tchenn-Tchi ». On poursuivra ensuite avec un entretien avec Mavie Bardanzellu (20 minutes), dans lequel l’interprète de Lucrezia reviendra sur le tournage du film, ses relations avec Lucio Fulci ou encore celles, plus froides, avec Adrienne LaRussa qui selon ses propos se comportait comme une véritable « Diva ». On poursuivra avec un entretien avec Antonio Casagrande (16 minutes) : ce dernier reviendra sur son parcours au cinéma, ainsi que sur son travail sous la direction de Lucio Fulci. Intéressant. On terminera avec une anecdote d’un peu plus d’une minute de la part d’Adrienne LaRussa, concernant la doublure-corps « grassouillette » choisie par Lucio Fulci pour la scène de nudité. On terminera avec le traditionnel diaporama d’affiches et de photos. Du beau travail éditorial pour un film indispensable !
Attention : suite aux mesures de confinement liées à la crise du COVID-19, Artus Films a dû s’adapter et reporter la sortie de Beatrice Cenci, initialement prévue au 7 avril, au 31 mai pour les réseaux de vente traditionnelle. Cependant, la boutique en ligne d’Artus Films reste ouverte : vous pouvez donc d’ores et déjà commander le film sur le site de l’éditeur afin de profiter de ce petit chef d’œuvre durant le confinement !