Test Blu-ray : Au P’tit Zouave

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Au P’tit Zouave

France : 1950
Titre original : –
Réalisation : Gilles Grangier
Scénario : Pierre Laroche, Albert Valentin
Acteurs : Robert Dalban, François Périer, Dany Robin
Éditeur : Pathé
Durée : 1h44
Genre : Drame
Date de sortie cinéma : 14 juillet 1950
Date de sortie DVD/BR : 16 octobre 2024

Dans un quartier populaire de Paris, où les policiers et un assassin de vieilles filles sévissent, le café Au P’tit Zouave offre réconfort et sécurité aux habitants modestes de la ville. Mais l’arrivée d’un homme plus fortuné et mystérieux vient perturber l’équilibre déjà précaire de l’établissement…

Le film

[4/5]

Boulevard (1960), La Ville bidon (1976), Neige (1981), De bruit et de fureur (1987), État des lieux (1995), Les Misérables (2019)… Quand le cinéma français parvient à saisir le pouls d’un quartier populaire à un moment donné, le résultat à l’écran est souvent fascinant, et rajoute avec le temps une portée sociologique au simple intérêt cinématographique. Au P’tit Zouave fait partie de ces films : au-delà de la plongée dans un petit bistrot confronté à la peur d’un serial killer qui sévit dans le quartier, le film de Gilles Grangier nous permet aujourd’hui également de nous replonger dans l’ambiance de la France d’après-guerre, avec ses cafés de quartier, ses prostituées, ses petites magouilles, et bien sûr son langage, aujourd’hui disparu.

Difficile en effet de ne pas sourire en entendant le marchand de journaux à la criée entrer dans le café en scandant « Dernière nouvelle, on rafle à Grenelle : on emballe les pétasses ! », mais là se situe une partie du charme d’Au P’tit Zouave, qui ne quittera jamais le café au cœur du film, placé au beau milieu du quartier ouvrier de Grenelle, dans le quinzième arrondissement, dans le voisinage immédiat des usines Citroën et du métro aérien. De fait, Gilles Grangier nous donnera rapidement à découvrir le patron Armand (Robert Dalban) et sa femme (Alice Field), ainsi que par leur employée Fernande (Annette Poivre), une femme simple et directe, dont l’intrigue laisse comprendre qu’elle couche probablement avec le patron : « laisse choir, va, j’t’expliquerai ça quand on s’ra tous les deux seuls dans ma chambre. Et avec des gestes, encore ! ».

Film choral, porté par les dialogues simples et souvent percutants de Pierre Laroche, Au P’tit Zouave traite la quasi-totalité de ses personnages sur un pied d’égalité, et au fil des allées et venues des clients dans le café, cela s’avérera un véritable plaisir de faire connaissance avec la clientèle haute en couleurs de l’établissement : autour d’un verre ou d’une partie de belote, le spectateur apprendra petit à petit à connaître une poignée d’ouvriers modestes, composée d’un vendeur de fruits et légumes (Yves Deniaud), Olga, une prostituée philosophe (Marie Daëms) et son souteneur, qui se trouve être un ancien flic révoqué devenu « virgile » (Renaud Mary), le vieil employé des Pompes Funèbres Générales, fasciné par le « tueur à la bouteille de lait » qui sévit dans le quartier (Arthur Devère), le veuf éploré aux penchants lubriques (Henri Crémieux), le petit voleur (Bernard Lajarrige), la dactylo courtisée (Dany Robin), le propriétaire de machines à sous (Jacques Morel) et le nouveau venu, monsieur Denis, un mystérieux jeune homme distingué (François Périer).

En toute honnêteté, la partie « policière » d’Au P’tit Zouave, celle centrée sur l’identité du tueur en série, n’est pas la plus efficace du film. Malgré les efforts de Gilles Grangier afin d’orienter alternativement les soupçons sur différents personnages du film, le spectateur devinera assez rapidement qui est le tueur. Cela dit, le portrait des nombreux protagonistes intervenant au fil du récit permet néanmoins au cinéaste de construire une « chronique » du Paris des années 50 absolument remarquable. Les acteurs sont formidables, avec une mention toute particulière pour Robert Dalban et Odette Poivre. De plus, pour maintenir un certain rythme à l’ensemble, Gilles Grangier et son scénariste Pierre Laroche font preuve d’une certaine habileté dans la construction narrative du film, notamment dans le recours à d’étonnantes ellipses temporelles, la plus surprenante d’entre elles voyant le personnage d’Olga quitter le P’tit Zouave, pour nous montrer dans la séquence suivante les habitués du bistrot revenir des obsèques de la jeune femme.

Alors bien entendu, Au P’tit Zouave ne possède peut-être pas la férocité d’un film tel que L’Assassin habite au 21, avec lequel il entretient quelques similitudes, mais Gilles Grangier parvient sans trop de peine à se démarquer de l’influence de Clouzot pour prendre une toute autre direction, entrelaçant les scènes avec un certain talent, croquant la faune pittoresque du bistrot en donnant suffisamment de place à chacun pour exister, et développant une atmosphère qui prendra rapidement le pas sur l’intrigue policière à proprement parler. Ce mélange des genres donne au film une identité qui lui est propre, et contribue à atteindre une certaine « universalité », dans le sens où, malgré les 75 ans qui nous séparent de sa sortie en salles, Au P’tit Zouave nous propose des portraits qui, encore aujourd’hui, paraîtront encore assez réalistes aux spectateurs aimant s’arrêter dans les petits bistrots de quartier aux quatre coins de la France. Un excellent moment !

Le Combo Blu-ray + DVD

[5/5]

Jusqu’ici totalement inédit en DVD et Blu-ray, Au P’tit Zouave intègre ce mois-ci la collection « Version restaurée par Pathé », s’offrant pour l’occasion un superbe transfert Haute-Définition qui permettra au film de Gilles Grangier de venir tenir compagnie à d’autres titres restaurés par Pathé, depuis quelques années, allant des classiques reconnus (Les enfants du Paradis de Marcel Carné, Paradis perdu d’Abel Gance…) aux films méritant une réhabilitation immédiate (Showgirls de Paul Verhoeven, Le Monocle noir de Georges Lautner, Boulevard de Julien Duvivier…). On notera par ailleurs que le film est proposé dans un très beau Digipack surmonté d’un fourreau en carton : un packaging très classe pour une édition qui ne l’est pas moins !

Et comme d’habitude avec les titres intégrant cette riche collection, le boulot de restauration 4K effectué en 2024 par les équipes de Pathé est assez bluffant : Au P’tit Zouave s’impose en effet dans une copie de toute beauté, respectueuse de la granulation d’origine, mais proposant un piqué précis et des contrastes soignés, restituant parfaitement les ambiances voulues par Gilles Grangier et son directeur photo Marcel Grignon. Côté son, nous avons droit à un mixage DTS-HD Master Audio 2.0 propre, net et équilibré, même lorsque plusieurs personnages s’expriment en même temps. On notera également la présence d’une piste en audiodescription.

Côté suppléments, on trouvera tout d’abord un entretien avec Olivier Barrot (22 minutes), qui reviendra sur la prestation de François Périer dans le film tout en élargissant au reste de sa carrière, considérée par l’intervenant comme étant en tous points intéressante. On continuera ensuite par un entretien avec Henry-Jean Servat (24 minutes), qui reviendra quant à lui avec un grand enthousiasme sur la carrière de Dany Robin, et ce qui la différenciait de toutes les autres actrices de sa génération. On terminera enfin par un autre entretien avec Olivier Barrot (10 minutes), cette fois consacré à Robert Dalban, l’éternel second-rôle du cinéma français de l’époque. Très intéressant !

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