Test Blu-ray : Albert Pyun – Crazy Six + Explosion imminente

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Metropolitan Vidéo a jeté un sacré pavé dans la mare cinéphile en éditant au mois d’avril le tout premier Blu-ray français consacré à Albert Pyun : le sublime bi-pack contenant les films Nemesis (1992) et Mean guns (1997) – lire notre article. Cette initiative s’inscrivait dans la lignée des bi-packs consacrés à Jean-Claude Van Damme sortis en 2016 et 2017, qui remettait sur le devant de la scène toute un pan du cinéma populaire des années 90, ouvertement méprisé de nos jours, mais qui était farouchement défendu par des revues aujourd’hui disparues telles que Starfix (1983-1990), Ciné-News (1985-1994) ou encore Impact (1986-2001). Bien entendu et comme toujours, la sortie de ce Blu-ray consacré à Albert Pyun n’a pas bénéficié du respect qui lui était du, et a essuyé toutes sortes de quolibets ou critiques assassines de la part de la presse et des sites Internet : « rythme arthritique, réalisation incertaine et manque quasi-total d’intention » pour les uns, « deux bouses, rien à en tirer, tout pourri » pour les autres… On ne leur fera même pas l’honneur de citer les auteurs, ça leur ferait de la pub, gonflerait leurs statistiques en « clic » et il y a de fortes chances que cela vous fasse saigner les yeux.

Quelques mois à peine après ce premier jet n’ayant manifestement pas plu à tout le monde, l’amateur de cinéma « bis » ne pourra cependant retenir ses larmes de bonheur et de reconnaissance devant la sortie chez Metropolitan Vidéo d’un deuxième bi-pack Blu-ray consacré à Albert Pyun, contenant cette fois les films Crazy six (1997) et Explosion imminente (2001). On suppose donc que les fans français auront su faire taire les langues de putes de la sphère médiatique en assurant à Metropolitan des ventes suffisamment confortables pour envisager la sortie d’une deuxième salve sur support Blu-ray, et ce alors que le marché de la vidéo physique en France poursuit sa longue descente aux enfers (les chiffres CNC-GFK pour le premier semestre 2017 constatent une nouvelle baisse de 13,7% par rapport au premier semestre 2016).

Sur critique-film, on garde un maigre espoir que le marché de la vidéo physique puisse un jour se relever, grâce à des éditeurs passionnés pleins de respect pour le consommateur : on réitère donc ici une nouvelle fois tous nos messages d’amour désintéressé et notre plus folle reconnaissance à Metropolitan Vidéo. On applaudit à tout rompre cette initiative aussi courageuse que vraiment inattendue, que l’on doit à la passion de l’équipe éditoriale de Métro, et en particulier de Nicolas Rioult qui, s’il sera probablement trop modeste pour l’avouer, tient probablement sur ses épaules une grande partie de la responsabilité de ces récentes sorties « musclées » sur le territoire français : on se réjouit d’ailleurs qu’il sorte enfin de l’ombre à l’occasion de cette deuxième salve, en assurant les présentations des deux films en tant que « Pyunophile » !

Crazy Six

États-Unis, Slovaquie : 1997
Titre original : –
Réalisation : Albert Pyun
Scénario : Galen Yuen
Acteurs : Rob Lowe, Burt Reynolds, Mario Van Peebles
Éditeur : Metropolitan Vidéo
Durée : 1h35
Genre : Thriller, Action
Date de sortie DVD/BR : 12 septembre 2017

Dix ans après la chute de l’Union Soviétique, de puissantes organisations mafieuses règnent sur la région et contrôlent le trafic des armes et des technologies de pointe. A Prague, plaque tournante du réseau, Billie, surnommé Crazy Six, et son gang se sont alliés à la bande de Dirty Mao pour contrer Raul, le chef d’un des plus puissants cartels du crime d’Europe. Mais l’affrontement tourne au massacre : face à l’argent et au pouvoir, c’est chacun pour soi…

Explosion imminente


États-Unis : 2001
Titre original : Ticker
Réalisation : Albert Pyun
Scénario : Paul B. Margolis
Acteurs : Tom Sizemore, Dennis Hopper, Steven Seagal
Éditeur : Metropolitan Vidéo
Durée : 1h32
Genre : Thriller, Action
Date de sortie DVD/BR : 12 septembre 2017

Afin d’obtenir la libération de sa complice, Swan, un terroriste des plus dangereux menace de faire sauter un immeuble de San Francisco toutes les heures. Chargé de l’enquête, l’inspecteur Ray Nettles s’adjoint les services de Frank Glass, le meilleur en explosifs du pays. Tous deux vont devoir rivaliser d’efficacité pour anéantir Swan et sa bande lesquels commencent à mettre leurs menaces à exécution…

Les films

[5/5]

Tourné en quelques jours à Bratislava (Slovaquie), Crazy six ballade son intrigue flottante et son rythme déliquescent sur les plate-bandes du cinéma de Walter Hill. En effet, il sera bien difficile de ne pas penser à Streets of fire – Les rues de feu (1984) ou à Dernier recours (1996) devant cette histoire de truands fatigués prenant place, comme les deux films de Hill, dans un pays fantasmé, irréel, presque onirique. « Europe de l’Est. » « Crimeland » sont les seuls repères géographiques que Pyun livrera au spectateur. Les États-Unis pourtant sont souvent cités par les personnages, comme un Eldorado où tout semble possible ; ils sont présents également par l’entremise du personnage de Burt Reynolds, un « shérif » aux motivations troubles, dont on ne sait s’il appartient réellement à la police, au même titre que le personnage interprété par Norbert Weisser, habitué du cinéma de Pyun, qui se déclare autrichien. Que font cet américain et cet autrichien en Europe de l’Est ? Ce Crimeland serait-il un repaire pour les parias, les laissés pour compte, ceux qui sont rejetés par leur pays ? Une série de mentions écrites en introduction du film indique que l’endroit est peuplé de « chasseurs de fortune venus du monde entier, de criminels, de toxicomanes et d’âmes perdues ». Assurément, cette ville fantôme livrée à l’anarchie, à la violence urbaine et à la corruption s’apparente à la Sin City de Frank Miller, qui elle-même se définissait en tant qu’hommage aux polars Hard Boiled, dans la grande tradition d’un Raymond Chandler dans les années 40 : détectives, femmes fatales, etc. D’où le choix de Pyun de ne pas plus situer son film dans le temps que dans l’espace : l’histoire de Crazy six est intemporelle, se déroulant presque comme un rêve éveillé, dans une atmosphère étrange et très musicale. La « femme fatale » du récit, entourée (malgré elle ?) par la mort et la violence, est incarnée par Ivana Milicevic, dont la carrière exploserait quelques années plus tard avec la série Banshee. A la façon d’une Rita Hayworth dans Gilda (1946), elle hypnotise les hommes en chantant dans un night-club. Extrêmement mis en valeur par la caméra d’Albert Pyun, son personnage s’impose visuellement comme un véritable « ange de la mort », commentant l’action de façon détournée et omnisciente à travers ses chansons. Car plus encore peut-être que dans Streets of fire, la musique signée Anthony Riparetti est quasi-omniprésente dans Crazy six, à un tel point qu’elle prend parfois le pas sur l’image ou les dialogues, comme dans une comédie musicale en mode désespéré et profondément pessimiste.

Cette ambiance sombre et fantomatique régnant au cœur de Crazy six se voit par ailleurs renforcée dans le choix d’Albert Pyun de fragmenter « visuellement » son histoire de gangsters tournant, à la base, autour d’un vol de plutonium, mais s’éparpillant rapidement en morceaux à la façon d’un puzzle volontiers surréaliste. Et si chaque personnage se coupe toujours un peu plus des autres au cœur d’une intrigue de plus en plus morcelée au fur et à mesure qu’elle avance en direction d’un dénouement forcément sanglant, Pyun et son directeur photo attitré George Mooradian isolent également chaque personnage par un choix de couleur, une ambiance visuelle qui termine de les séparer nettement les uns des autres. Ces partis pris visuels flagrants contribuent à dessiner les contours d’un univers extrêmement classe et soigné. En 1997 (la même année que Mean guns), George Mooradian semble véritablement au sommet de son Art et signe ici l’un de ses films les plus aboutis, permettant à Pyun de livrer quelques-uns des plus beaux plans et des séquences les plus poétiques de toute sa carrière.

Côté casting, ce polar intrigant développant plus de « personnages » que d’enjeux narratifs à proprement parler est porté par quelques habitués du cinéma d’Albert Pyun, tels que Norbert Weisser (qui a tourné 19 films avec le cinéaste hawaïen), Thom Mathews (qui en a tourné 12) ou Ice-T (6 seulement !), mais accueille aussi quelques nouveaux venus, qui d’ailleurs ne tourneraient plus jamais avec lui par la suite : Rob Lowe, Burt Reynolds, Mario Van Peebles… Des « tronches » de cinéma burinées, idéalement filmées en gros plan pour un film que beaucoup considèrent comme « LE » chef d’œuvre d’Albert Pyun. Mais parmi la cinquantaine de films et les dizaines de pépites étranges et de trésors déviants qui peuplent sa filmographie, qui saurait, au fond, avouer une préférence ?

Énorme succès vidéo dans le monde entier, Explosion imminente (2001) est un film étrange, à la fois attachant (pour tout un tas de raisons sur lesquelles on va revenir) mais également vraiment décevant par certains aspects. Et une fois n’est pas coutume, c’est par ceux-ci qu’on va commencer, parce que 1/ si vous lisez cet article, il y a de fortes chances que vous ayez déjà vu le film et 2/ parce qu’en réalité, les défauts du film ont une explication logique, qui vous forceront à revoir le Explosion imminente pour le réhabiliter et finalement, rendre les armes devant l’ingéniosité déployée par Pyun et son monteur pour satisfaire public et producteurs.

Revenons donc sur les aspects les plus décevants du film. En découvrant Explosion imminente il y a un peu plus de quinze ans, on se disait donc qu’avec la collection de gueules cassées qu’il était parvenu à réunir devant sa caméra grâce aux lascars de chez Nu Image qui produisaient le bouzin par le biais de leur filiale Millennium Films (on parle quand même de Tom Sizemore, Dennis Hopper, Steven Seagal ou Peter Greene, en plus des habitués Ice-T, Michael Halsey ou Norbert Weisser…), Albert Pyun pourrait nous livrer quelques bons moments bien hardcore, et un de ces polars énervés à la Mean guns qui reviennent souvent tourner dans le lecteur DVD de l’homme. Que ce soit bien clair malheureusement : il n’en fut rien. En effet, dés ses premières minutes, Explosion imminente donne en effet une diffuse impression d’hétérogénéité, que l’on aura tendance à mettre sur le compte d’un tournage rapide, ne permettant pas forcément à tous les acteurs de se donner la réplique en face à face. De fait, le film se révèle assez excellent dans ses passages les plus « posés » (même les discussions sentimentalo-philosophiques entre Sizemore et Saumon agile ne passent finalement pas trop mal), et c’est dans les scènes d’action que la mise en scène de Pyun devient vaguement confuse, et même par moments presque incompréhensible / incohérente. Dans son ensemble, le film en prend des allures de mollesse, à l’image de ce Steven Seagal déjà bien empâté qui refuse de se mêler à l’action sous prétexte qu’il est démineur, et que ce n’est pas son boulot de faire des enquêtes.

Cependant, Albert Pyun n’a jamais habitué le spectateur à bâcler ses scènes d’action, sur lesquelles reposent parfois ses films dans leur totalité. Ainsi, si l’on cherche à comprendre les raisons de la débâcle, c’est bel et bien du côté de chez Nu Image qu’il faut chercher : de coupe budgétaire en coupe budgétaire, les moyens alloués à Albert Pyun se sont réduits comme peau de chagrin… On fait un film sur un poseur de bombes, mais on n’a pas de thune pour faire des explosions ; on modifie le scénario de façon à faire intervenir Steven Seagal dans une scène d’action en ouverture de métrage, mais on n’a pas de thune pour filmer des scènes d’action. Pas de budget, mais un catalogue de films qui comptait déjà au début des années 2000 quasiment 80 films de série B, dans lesquelles Pyun pourrait piocher afin de composer de toutes nouvelles scènes d’action pour pas un rond ! Un plan par ci, un plan par là, le cinéaste Hawaïen se faisait un des premiers artisans du « mashup » cinématographique dont certains youtubeurs se sont fait la spécialité quelques années plus tard. Bien malin qui saura déterminer combien de films ont été utilisés pour construire les diverses scènes d’action d’Explosion imminente. Sur le commentaire audio du film, Albert Pyun parle d’une « cinquantaine » de films. Le site IMDb en recense déjà une douzaine, parmi lesquels Hollow Point, Frankie la Mouche, État d’urgence ou Sweepers… Avouez que déjà, on voit le film d’un autre œil – Albert Pyun est décidément un artisan aux multiples talents.

Restent donc quelques superbes explosions (et il y en a un paquet, faut avouer, même si beaucoup sont en réalité issues de films antérieurs), et au delà de cette curieuse expérience de Frankenstein du celluloïd, composant des séquences entières à partir de stockshots d’autres films, le père Pyun parvient toute de même à glisser au cœur d’Explosion imminente quelques-unes de ses obsessions : nature, famille, amour… De même que son attirance de toujours pour les mécanismes qui se dérèglent (une belle séquence de réparation de montre) et plus largement pour les robots (de déminage ici), qui lui permettent de filmer une nouvelle fois cette poésie qui lui est toute personnelle et n’appartient définitivement qu’à lui, composée de plans sur des fils et des circuits imprimés. Au final, et malgré sa photo forcément hétéroclite et passe-partout (George Mooradian n’est plus aux commandes) et sa musique loin d’être inoubliable, Albert Pyun livre un polar tout ce qu’il y a de classique (enfin, si l’on considère comme classique un interrogatoire au cours duquel un enquêteur demande à sa suspecte « allez, steu’plait, dis-moi où va avoir lieu ce gros coup ») et contre toute attente très attachant… La preuve, vous qui lisez ces lignes, vous l’avez déjà vu… Mais vous comptez bien le revoir, non ?

Sans compter que dans la carrière d’Albert Pyun, il y a définitivement un « avant » et un « après » Explosion imminente. On en veut pour preuve sa cadence de travail avant et après ce film tourné pour Millennium Films : durant les 15 ans qui précédaient le tournage du film, ce stakhanoviste de la série B avait tourné rien de moins que 34 longs-métrages ; dans les 15 ans qui suivraient cette expérience, il n’en tournerait plus que 10, qui ont d’ailleurs tous le triste point commun d’être restés inédits en vidéo en France.

Le Blu-ray

[5/5]

Chaque nouveau film d’Albert Pyun débarquant sur support Haute Définition en France est un petit événement en soi – alors deux d’un coup, c’est tout simplement inespéré ! D’autant que l’acquisition du Blu-ray édité par Metropolitan Vidéo est vendu grosso modo le prix d’une place de cinéma en IMAX – et on sait bien que le cinéma « bricolé » en mode série B et système D d’Albert Pyun est beaucoup plus attachant que n’importe quel blockbuster !

Comme dans le cas du premier bi-pack consacré à Albert Pyun, à peine le disque inséré dans le lecteur et l’apparition sur l’écran du logo Metropolitan, vous aurez droit à un menu fixe vous donnant le choix entre Crazy six et Explosion imminente, tous deux proposés en VF + VO en DTS-HD Master Audio 2.0 d’origine ; les deux versions françaises sont naturellement d’origine, et les mixages sont très soignés, relayant la bande originale sur un second-plan relativement ample, beaucoup plus impressionnant sur Crazy six évidemment, le film étant beaucoup plus musical que celui mettant en scène Steven Seagal. Côté image, et puisque l’on aborde le cas de Crazy six, autant dire que l’on redécouvre complètement le film grâce à cette édition Blu-ray, qui s’avère la première au monde à proposer le film en HD au format Cinemascope 2.35 respecté : difficile de retenir sa mâchoire devant le rendu du bouzin. Superbe boulot de restauration, couleurs superbes, encodage aux petits oignons… L’image est tout simplement magnifique, rendant pleinement justice au merveilleux boulot de Mooradian sur la photo du film. C’est d’autant plus flagrant si l’on compare cette édition avec l’édition DVD TF1 Vidéo de 2004, qui proposait le film au format mais sur un DVD encodé en 4/3…

Bien sûr, le master d’Explosion imminente, même s’il est tout à fait propre, stable et bien encodé, ne tient naturellement pas la comparaison pour de simples raisons « esthétiques » – mais les cinéphiles préférant Explosion imminente à Crazy six (cela doit exister!) tout autant que les fans de Steven Seagal les plus complétistes seront ravis de constater un bon upgrade HD sur le film de 2001 qui, si notre mémoire est bonne, représentait le premier DTV de Saumon agile, et marquait donc, comme dans le cas de Pyun, un tournant dans sa carrière.

Dans la section suppléments, on trouvera tout d’abord, comme on l’indiquait en introduction, deux présentations des films signées Nicolas Rioult, collaborateur régulier de DVDVision à la grande époque de cette revue, mais également de L’écran fantastique, de Premiere ou de Brazil. Il est également l’auteur du bouquin Starfix, histoire d’une revue, réédition d’un texte écrit à l’époque du fanzine Phantom. Grand amateur d’Albert Pyun, il défend ses convictions avec ferveur, dressant des passerelles entre le film d’Albert Pyun et d’autres films tels que L’ange bleu de Josef von Sternberg ou In the mood for love de Wong Kar-Wai. Crazy six aura également droit à une galerie de photos contenant notamment un track listing de tous les passages musicaux du film, tandis qu’en bonus d’Explosion imminente, on trouvera un intéressant commentaire audio d’Albert Pyun et Paul Rosenblum (VOST), durant lequel on découvre un cinéaste vaguement gêné, évoquant ses idées de mise en scène malheureusement avortées et le fait d’avoir du « remonter » le film à partir d’autres longs-métrages de l’écurie Nu Image. Du beau travail éditorial pour un nouveau Blu-ray indispensable !

1 COMMENTAIRE

  1. Quel plaisir de lire un article comme celui-ci, détaillé, renseigné et passionné. Ca change effectivement drastiquement des « critiques » ridicules et surtout insupportables que j’ai pu lire concernant le 1er bipack, évoquant plus la vie inintéressante au possible de ces bloggeurs que les films en eux-mêmes… On attend avec impatience un 3ème bipack, qui nous proposerait en HD (soyons fous) KNIGHTS, KICKBOXER 2-4, ou encore l’excellent ADRENALINE.

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