Test Blu-ray : À bout portant

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À bout portant

États-Unis : 1964
Titre original : The killers
Réalisation : Don Siegel
Scénario : Gene L. Coon
Acteurs : Lee Marvin, Angie Dickinson, John Cassavetes
Éditeur : BQHL Éditions
Durée : 1h33
Genre : Policier
Date de sortie cinéma : 15 mars 1965
Date de sortie DVD/BR : 31 mars 2021

Tueurs à gages, Charlie Strom et son partenaire exécutent froidement Johnny North dans une institution pour aveugles. Intrigué par le comportement de sa cible qui, plutôt que de tenter de fuir, se laisse abattre, Charlie Strom reconstitue son parcours. Il découvre que sa victime est un ancien pilote automobile qu’une blessure de course et l’influence d’une séduisante jeune femme poussent à servir de chauffeur à un gang à l’occasion de l’attaque d’un fourgon postal. Butin : un million de dollars. De quoi faire tourner bien des têtes, de quoi expliquer certains comportements et la volonté d’un commanditaire de jouer la discrétion…

Le film

[5/5]

La nouvelle d’Ernest Hemingway « Les tueurs » avait déjà été transposée au cinéma en 1946, dans un film de Robert Siodmak également – et fort logiquement – intitulé Les tueurs. On ne vous fera pas l’offense de vous présenter le chef d’œuvre de Siodmak, qui a reçu en 2008 l’insigne honneur de se voir inscrit pour conservation au National Film Registry de la bibliothèque du Congrès américain pour son intérêt « historique et esthétique important ».

Dix-huit ans plus tard, avec À bout portant, Don Siegel fait le choix de revisiter tout à la fois le roman mais également le film original, dont il signe un remake aussi habile que singulier. Le film reprend donc la trame et la construction en flash-backs de la version de 46 (même si ce sont ici les tueurs qui mènent l’enquête), suivant tout d’abord le coup, le magot puis la trahison orchestrée par la Femme Fatale de service. Pour le reste, faisons table rase du passé donc, et place aux transformations : la particularité la plus remarquable du film de Don Siegel réside probablement dans son refus obstiné de « singer » l’original, avec lequel il n’a en réalité plus grand chose à voir.

La scène d’ouverture du film, très célèbre dans le film d’origine, ne se déroulera donc plus dans un petit Dinner typique de la banlieue US, mais dans un institut pour aveugles – il constituera d’ailleurs pour Don Siegel l’occasion de se laisser aller à une très étonnante démonstration de cruauté sur handicapés. Rejetant clairement la notion de fatalité et les motifs de la tragédie propres au Film Noir, le cinéaste remet la violence et le réalisme au centre des débats, ce qui confère à À bout portant un côté presque nihiliste. Même le fait que l’enquête soit dirigée par les tueurs eux-mêmes n’a pas les mêmes implications morales – les deux tueurs ne cherchent pas à résoudre un crime mais à remonter à la source d’un magot disparu…

Le personnage de Charlie, alias Lee Marvin, est un tueur vieillissant, qui ne pense plus qu’à se ranger des voitures et à couler des jours heureux pour une retraite bien méritée. Cependant, il n’est pas interdit de penser que si la résignation de sa victime lors de son exécution dans la séquence d’ouverture l’obsède tant, ce n’est non pas parce qu’elle est synonyme de la découverte d’un gros paquet de pognon, mais surtout parce qu’elle le met face à face avec sa propre mortalité. En fait, la passivité face à la mort dont fait preuve Johnny North (John Cassavetes) semble même plonger Charlie dans un état d’urgence, d’alerte de mort imminente – il semble à tout moment proche de l’explosion, comme si le temps lui était compté. Paradoxalement, en réalité, c’est plutôt son entêtement à essayer de remonter sur les traces de sa victime qui tiendra de la pulsion de mort, dans le sens où plus il s’approchera de la vérité, plus il s’approchera de son trépas.

Face à Johnny North, la classe et le magnétisme de la brune Ava Gardner dans la version de Robert Siodmak ont laissé la place à Angie Dickinson, qui campe dans À bout portant une blonde sensuelle, directe, sans mystère, typiquement dans l’air du temps et presque vulgaire. Même réflexion concernant le sport pratiqué par le personnage de John Cassavetes. Dans le film de 1946, c’était la boxe, soit le « Noble Art ». Dans celui de 1964, les auteurs optent pour un spectacle un peu plus clinquant, la course automobile, symbole d’une société pressée, où tout va toujours plus vite, trop vite sans doute.

Profondément ancré dans les années 60, À bout portant est de fait régulièrement considéré comme un film de « transition », assurant le passage de relais entre le Film Noir des années 40/50 et le polar urbain tel qu’on le verrait apparaître dans les années 60/70. Plus de cinquante ans après sa sortie, le film de Don Siegel n’a pas pris une ride, et s’impose encore aujourd’hui comme un spectacle sec, nerveux, brutal et parfaitement maîtrisé. De la belle ouvrage !

Le Blu-ray

[4,5/5]

C’est BQHL Éditions qui nous propose aujourd’hui de voir et revoir À bout portant, le chef d’œuvre de Don Siegel, sur galette Haute-Définition : ça sera là l’occasion pour ceux qui ne l’auraient pas encore vu de rattraper cette lacune et de se faire leur propre idée sur ce film décidément puissant et inclassable. Et pour ce faire, BQHL Éditions a tout particulièrement soigné son Blu-ray, qui propose une image précise, avec des couleurs qui pètent et des contrastes nickel. Le grain cinéma est pleinement respecté, même s’il est peut-être un poil trop accentué sur les scènes les plus sombres. Néanmoins, À bout portant s’offre sans conteste ici une très belle galette Haute-Définition. Côté son, VF et VO s’imposent toutes deux dans de solides mixages LPCM Audio 2.0 mono d’origine, fidèle au rendu acoustique d’origine.

Du côté des suppléments, BQHL nous proposera tout d’abord de nous plonger dans un livret inédit de 20 pages signé Marc Toullec, qui sera essentiellement consacré à la genèse du film ainsi qu’aux différentes étapes de sa production. Sur le Blu-ray à proprement parler, on trouvera tout d’abord un entretien avec Jean-Baptiste Thoret (19 minutes), consacré à la carrière de Don Siegel. Il y reviendra sur son parcours et nous proposera une ébauche d’analyse des thématiques au cœur de ses différents films. Il notera qu’il y a un « avant » et un « après » À bout portant au sein de sa filmographie, et que ce n’est qu’à partir de ce film qu’il sera vraiment considéré comme un « auteur » à part entière. Enfin, on terminera avec une analyse du film par Serge Chauvin (18 minutes), dont la particularité et de dresser des comparaisons entre le récit original, le film de Siodmak et celui de Siegel. C’est riche et assez passionnant : il s’agit en fait du complément idéal – une illustration par l’image – de son ouvrage « Les trois vies des Tueurs » (Rouge profond, 2010).

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