Pique-nique à Hanging Rock
Australie : 1975
Titre original : Picnic at Hanging Rock
Réalisation : Peter Weir
Scénario : Cliff Green
Acteurs : Rachel Roberts, Vivean Gray, Helen Morse
Éditeur : ESC Éditions
Durée : 1h48
Genre : Fantastique
Date de sortie cinéma : 30 mars 1977
Date de sortie BR4K : 19 juillet 2023
En Australie, Hanging Rock est une montagne sacrée, autrefois lieu de culte des aborigènes. Le 14 février 1900, les élèves d’une école de jeunes filles y partent en excursion afin de pique-niquer. Une fois sur place, plusieurs d’entre elles sont comme étrangement attirées par les rochers. Trois des élèves, accompagnées d’une professeure, s’engouffrent dans les passages dessinés par les monolithes. C’est au retour à l’école que l’on se rend compte que les quatre jeunes femmes manquent à l’appel. Des battues sont organisées pour les retrouver , la police enquête. L’une d’entre elles est bientôt retrouvée, totalement amnésique…
Le film
[5/5]
« En 1900 en Australie, le jour de la Saint-Valentin, un groupe de 19 jeunes filles quittent leur pensionnat privé, l’Appleyard College, à l’éducation très stricte pour une sortie dans le site montagneux de Hanging Rock, roches volcaniques du mont Macedon. Un professeur et trois élèves disparaissent dans les rochers. Où sont-elles, que leur est-il arrivé ? Et qu’ont vu celles qui les accompagnaient ?
Comme l’a dit Edgar Allan Poe, « tout ce que nous voyons ou croyons voir, tout ceci n’est qu’un rêve dans un rêve », citation qui apparaît en préambule de ce film qui est beaucoup cela, un rêve, ou plutôt un cauchemar. La mise en scène de Peter Weir est magique et le spectateur vit une expérience sensorielle grâce au travail sur l’image et le son qui accentuent l’aspect fantasmagorique des scènes, où l’espoir d’une issue est maintenant par ces voix que l’on entend mais dont l’origine restera indéterminée. Rarement un film n’aura autant approché avec une telle maîtrise la frontière ténue entre la réalité et l’imaginaire. Les effets de répétition et de distorsion du montage, la musique de Bruce Smeaton avec la flûte de pan de George Zamfyr, ainsi que la très belle photo de Russell Boyd nous emportent et nous captivent dans un climat hypnotisant, sous l’effet de la chaleur. Pique-nique à Hanging Rock a une intrigue riche en ellipses, avec un minimum d’explications ou de résolutions finales. Nous sommes ainsi transportés dans un autre monde, une autre époque.
En ce début de XXème siècle, les désirs sont exagérément contenus et l’éveil aux sens prend des proportions dramatiques pour ces adolescentes et leurs enseignantes toutes corsetées physiquement et moralement, dans une Australie où l’influence coloniale victorienne ne laisse pas de place aux caractères en quête de liberté. La libération des mœurs impossible en ces temps reculés, dans des lieux où l’atmosphère mystique est prégnante et où les rochers semblent vivants, au point d’avaler leurs proies avec une férocité presque érotique. Cette excroissance de la terre née de l’explosion d’un volcan agit comme la métaphore de leur évolution sensorielle, mais pas de morale judéo-chrétienne ici : celle qui revient a trouvé la force de se libérer du carcan de l’époque, ce que ses camarades restées loin du rocher n’auront pas réussi à faire.
Par ailleurs, ne nous y trompons pas, au-delà de l’aspect fortement symbolique de tout ce qui apparaît à l’écran, la mise en scène est charnelle avant d’être intellectuelle. Nous sommes prévenus par le carton du générique : certaines des disparues n’ont jamais été retrouvées. Le mystère est bien plus intriguant dans ce récit prétendument tiré de faits réels (en réalité adapté d’un roman de Joan Lindsay publié en 1967) pour en augmenter encore la portée terrifique, car le film est aussi effrayant, un étrange voyage au-delà de la vie et de la mort.
Les adolescentes, au physique qualifié de préraphaélite par le réalisateur (les amateurs apprécieront) et les femmes adultes de ce film rappellent notamment celles des Proies de Don Siegel, qui vivaient elles aussi en autarcie, avec des mœurs voisines et dans le même climat à la limite du cinéma fantastique, où innocence et perversité se confondaient et s’opposaient de façon jumelle, alors au détriment du pauvre Clint Eastwood. Plus tard, Sofia Coppola avec Virgin Suicides s’inscrira dans cette thématique propice aux grands moments de cinéma.
Parmi les comédiens, on retrouve ici parmi les comédiens, Dominic Guard, Le Messager de Joseph Losey, en jeune aristocrate, un nouveau rôle d’observateur distancié d’une histoire qui mêle la découverte du sexe à la destruction d’un monde trop protégé, au moins en apparence. Et dans le rôle d’une employée ‘libérée’ de l’institution, on peut remarquer Jackie Weaver, qui fut remarquée en 2010 en marâtre dans Animal Kingdom.
C’est à l’époque de ce tournage qu’est née une nouvelle vague de cinéastes australiens prometteurs qui savaient jouer avec la géographie d’un pays mal connu de ceux qui n’y vivaient pas et de ceux qui le connaissaient mal. Le mystère hantera longtemps les spectateurs de cette rêverie éveillée, inoubliable, certainement le plus beau de son auteur, et l’un des très grands films de l’Histoire contemporaine du cinéma, au moins pour ceux qui acceptent de se perdre dans la volupté de ces jeunes filles en fleur et l’imaginaire de Peter Weir, qui tournera plus tard Witness, Mosquito Coast, Green Card ou The Truman Show. On a le droit d’oublier Le Cercle des Poètes Disparus, il vaut mieux que ce film terriblement sclérosé… »
Critique de notre rédacteur en chef Pascal Le Duff.
Le Blu-ray 4K Ultra HD
[4,5/5]
Un peu plus d’un an après Les Voitures qui ont mangé Paris, Le Plombier et La Dernière vague, ESC Éditions continue son exploration des années « australiennes » du cinéma de Peter Weir, et le moins que l’on puisse dire, c’est que cela valait le coup d’attendre : Pique-nique à Hanging Rock s’offre de ce fait un transfert sur Blu-ray 4K Ultra Haute-Définition ! Le film de Peter Weir et la sublime photographie de Russell Boyd le méritaient bien.
Le panneau proposé au début du film nous précise que ce nouveau scan 4K est issu du négatif original 35MM et que la restauration et l’étalonnage HDR ont été réalisés sous la supervision de Russell Boyd et Peter Weir. Vous pouvez donc oublier votre DVD de 2004 : le film retrouve donc ici son format 1.66 et s’avère assez bluffante. Pour autant, à cause de son côté « éthéré » et de ses nombreuses transitions optiques, la photo de Boyd n’était certainement pas le candidat idéal à un encodage en 4K. Pour autant, le niveau de détail et les textures sont considérablement améliorés par rapport aux versions du film que l’on connaissait jusqu’ici. Le grain cinéma est assez fluctuant, voire même absent lors de certaines séquences, mais même si on soupçonne une légère utilisation du réducteur de bruit (DNR), le niveau de détail conserve toujours une belle précision. L’étalonnage HDR10 permet de proposer plus de profondeur dans les ombres et les niveaux de noir, ce qui tend à renforcer la large différence de contrastes entre les scènes les plus sombres et celles les plus lumineuses de Pique-nique à Hanging Rock. Les couleurs sont également plus saturées, ce qui rehausse presque toutes les teintes du film. Bien entendu, on notera de flagrantes baisses de définition sur les plans à effets (les fondus enchainés notamment).
Du côté des enceintes, la VO anglaise nous est proposée en DTS-HD Master Audio 5.1, dans un mixage faisant la part belle aux ambiances et à la musique de Bruce Smeaton, et qui préserve bien heureusement l’esprit du film. La version française d’origine a été retrouvée par les équipes d’ESC Editions, et se voit proposée en DTS-HD Master Audio 2.0, en mono évidemment ; on préfèrera la VO pour les voix et les ambiances d’origine, mais la version française d’origine, pleine du charme désuet des doublages des années 70, s’en tire plutôt bien – les deux mixages sont bons, équilibrés, et débarrassés de tout souffle trop important.
La section suppléments est également plutôt fournie : sur le Blu-ray 4K Ultra Haute-Définition, on aura droit à une présentation du film par Bernard Bories (4 minutes) au cours de laquelle le fondateur du Festival des Antipodes reviendra sur sa découverte de Pique-nique à Hanging Rock, et à quel point le film de Peter Weir a changé sa vie. Pour les autres suppléments, il faudra se rabattre sur le Blu-ray du film, et on commencera par une riche présentation du film par Olivier Père (37 minutes), qui reviendra tout d’abord sur les origines littéraires du film, puis l’abordera sous ses aspects esthétiques et thématiques les plus intéressants. Au final, il nous livre une présentation très complète, liant occasionnellement le film à d’autres longs-métrages réalisés par Peter Weir au fil des années. On continuera avec quelques mots sur le film par la réalisatrice franco-sénégalaise Mati Diop (12 minutes), qui avait proposé le film lors de sa carte blanche à l’Étrange Festival en 2019, et expliquait en quelques mots au public présent dans la salle les raisons de son choix. Enfin, on terminera avec un documentaire d’époque sur le tournage du film (26 minutes), qui, grâce à une poignée d’entretiens avec différents acteurs et membres de l’équipe, explore le sujet et les thématiques de Pique-nique à Hanging Rock, tout en revenant rapidement sur l’histoire de sa production.