Les charnelles
France : 1974
Titre original : –
Réalisation : Claude Mulot
Scénario : Claude Mulot, Jean-Paul Guibert
Acteurs : Anne Libert, Francis Lemonnier, Patrick Penn
Éditeur : Le chat qui fume
Durée : 1h27
Genre : Drame, Thriller, Érotique
Date de sortie cinéma : 8 février 1984
Date de sortie DVD/BR : 13 juillet 2020
Psychologiquement instable, perverti par sa belle-mère dans des jeux sexuels particulièrement troubles, Benoît Landrieux, jeune homme marginal vivant dans l’ombre de son riche industriel de père, est devenu un voyeur à l’adolescence. Seule sa déviance lui permet désormais de retrouver sa virilité. Sa rencontre avec Jean-Pierre et Isabelle, couple de paumés vivant de larcins, va l’entraîner dans une folle cavale marquée par des actes de violence de plus en plus graves, jusqu’à atteindre le point de non-retour…
Le film
[4/5]
Les charnelles est le quatrième long-métrage de Claude Mulot, et, avec le recul, renvoie l’image d’un film maudit, marquant un véritable tournant dans la carrière du jeune cinéaste français. Le film semble en effet né d’une frustration et d’un constat d’échec : après les naufrages commerciaux de La rose écorchée (1970), La saignée (1971) puis de Profession : aventuriers (1973), Les charnelles est également le premier film que Mulot tournera sous le pseudonyme de Frédéric Lansac.
Ce pseudonyme, tiré du personnage principal de La rose écorchée (1970), ne tarderait d’ailleurs pas à lui apporter la gloire dans le domaine du cinéma pour adultes. Ainsi, dès l’année suivante, Le sexe qui parle se verrait unanimement reconnu comme l’un des plus grands classiques – si ce n’est le plus grand – du cinéma pornographique français, et enterrerait définitivement ses velléités de cinéaste traditionnel. Les charnelles est donc ce que l’on appelle, de façon certes un peu galvaudée, une œuvre « charnière », dans le sens où elle marque la « naissance » de Frédéric Lansac cinéaste. Exit Claude Mulot donc, dont la carrière serait par la suite quasiment éclipsée par son alter-ego vicelard.
Pour autant, et malgré sa classification « X » totalement injustifiée, Les charnelles n’est en rien comparable avec les pornos que tournerait Claude Mulot sous pseudo durant les six années suivantes. Il s’agit d’un drame psychologique certes fortement teinté d’érotisme, mais flirtant également avec le polar et proposant un étrange discours social aux relents nihilistes. Certaines ramifications de l’intrigue le rapprochent également d’un film tel que Les valseuses, tourné la même année par Bertrand Blier, même si bien sûr le film de Blier adoucissait son propos par une forte dose d’humour.
Il n’est en revanche pas question d’humour dans Les charnelles, qui comme on l’a évoqué un peu plus haut est sans doute né des frustrations de Claude Mulot de ne pas rencontrer son public, et ne transpire pas franchement la joie de vivre. Même les différentes scènes érotiques qui émaillent le métrage se dirigent – du moins pour celles qui servent l’intrigue – davantage vers le glauque et le sordide plutôt que vers la concupiscence : Les charnelles est un film sombre, à l’image de son névrosé de personnage principal, et développera volontiers une atmosphère lourde, destinée à mettre le spectateur mal à l’aise.
Ainsi, derrière ce mélange d’obsessions, de voyeurisme et de misogynie baignant volontiers dans une certaine complaisance, se dessinent au fur et à mesure que l’intrigue avance les contours d’une œuvre dure, très noire, rythmée par la musique volontiers inquiétante d’Eddie Vartan (Mulot faisait en effet partie du « clan » de Johnny Hallyday). L’atmosphère est d’autant plus sombre que Les charnelles dépeint une société française à la dérive, complètement sclérosée par les affrontements de classes. Le film semble en effet tisser des liens étroits entre le pouvoir financier, qui appartient à la classe dominante, et son impact sur le petit peuple, dont la pauvreté et la constante lutte pour la survie semblent avoir pour conséquence l’impuissance sexuelle dont souffre le personnage principal du film.
On soulignera également la qualité générale de l’interprétation, menée par Francis Lemonnier tout en fièvre et réellement flippant. A ses côtés, on reconnaitra également Anne Libert, connue pour ses collaborations régulières avec Jess Franco et Jean-François Davy, ou encore Katia Tchenko, actrice incontournable de la comédie populaire des années 80 ayant la particularité notable d’avoir reçu, en 2005, les insignes de chevalier de l’ordre national du Mérite. Comme quoi avoir joué dans Les charnelles peut vraiment mener à tout…
Le coffret Blu-ray 4K Ultra HD + Blu-ray
[5/5]
Si le film de Claude Mulot était sorti, dans les années 80, sur support VHS, Les charnelles était jusqu’ici totalement inédit au format Blu-ray, et à plus forte raison encore en Blu-ray 4K Ultra HD. Grâces soient donc rendues au Chat qui fume, éditeur touche à tout français dévoué à la redécouverte du glorieux cinéma bis, qui nous permet de (re)découvrir dans l’hexagone et sur une galette Ultra Haute Définition revue et corrigée le film de Claude Mulot. Comme d’habitude avec Le chat qui fume, Les charnelles débarque qui plus est dans un packaging assez sublime composé par Frédéric Domont : un beau digipack trois volets surmonté d’un fourreau et comprenant le film au format Blu-ray 4K Ultra HD, le film au format Blu-ray et un DVD de l’avant-dernier film de Claude Mulot, le très intéressant Black venus (1983). Le tout nous est proposé dans un tirage limité à 1000 exemplaires. La classe absolue !
Et quel plaisir de découvrir en 4K des films aussi rares et précieux ! Si le master source présente encore quelques menus défauts (probablement dus à la conservation aléatoire des films de cette époque), Le chat qui fume a en revanche apporté un soin maniaque à la restitution la plus fidèle du film de Claude Mulot. Cela passe bien sûr par une préservation maniaque du grain d’origine et à une gestion des noirs et des couleurs tout simplement éblouissante. Un bel hommage est donc rendu à la fois au film et à sa photo, signée Jacques Assuérus (Le démon dans l’île). L’upgrade 4K sera tout particulièrement parlant sur certaines scènes, telles que celle marquant la première soirée au château, durant laquelle on assistera à une série d’amour sous l’emprise de champignons hallucinogènes. En ce qui concerne le son, le film est proposé en DTS-HD Master Audio 2.0 et mono. L’équilibrage entre les dialogues et la musique d’Eddie Vartan est très satisfaisante, et le tout est d’une propreté remarquable : du très beau travail technique donc ! On notera par ailleurs la possibilité d’écouter la piste musicale isolée.
Du côté des suppléments, on commencera tout d’abord avec un entretien avec Anne Libert (21 minutes), qui reviendra sur sa carrière dans le cinéma Bis, aux côtés de Jess Franco ainsi que de Claude Mulot. Ses souvenirs du tournage des Charnelles semblent empreints d’une grande nostalgie. On continuera ensuite avec un entretien avec Gérard Kikoïne (27 minutes), au cœur duquel ce légendaire cinéaste pour grands garçons reviendra longuement sur l’amitié qui le liait à Claude Mulot. Malgré les anecdotes et l’humour de façade, KiKoïne laissera percer une grande émotion à la fin de son intervention. On passera ensuite à un autre grand nom du porno avec un entretien avec Didier Philippe-Gérard (23 minutes), également connu sous le nom de Michel Barny, qui officiait en tant qu’assistant-réalisateur sur Les charnelles. Il reviendra sur l’amour du cinéma qui caractérisait Claude Mulot, sur son sens de la fête et de l’amitié, mais également sur son côté un peu plus sombre. On terminera enfin avec un entretien avec Francis Mischkind (34 minutes), distributeur, producteur, éditeur vidéo et véritable légende vivante dans le monde du porno français de « l’âge d’or ». Très amusant et ne maniant pas DU TOUT la langue de bois, il abordera pêle-mêle le cinéma porno des 70’s, la censure et la stigmatisation du genre, le nouveau féminisme, ainsi que bien sûr ses souvenirs de son travail aux côtés de Claude Mulot, tout particulièrement sur Les charnelles. Ses anecdotes sont intéressantes et transpirent la nostalgie d’une époque de liberté aujourd’hui révolue : c’est passionnant !
Les plus curieux pourront ensuite se régaler de la présence de deux scènes coupées inédites ainsi que d’un générique alternatif présentant un des nombreux titres du film : « Les émotions secrètes d’un jeune homme de bonne famille ».
Last but not least : Le chat qui fume nous propose également de découvrir, au format DVD, l’avant-dernier film de Claude Mulot, Black venus, sorti sur les écrans français en 1983. Il s’agit d’un film érotique en costumes, adapté de Balzac par le prestigieux Harry Alan Towers (Le masque de Fu Manchu, Le cirque de la peur…). Black venus est une production élégante, en partie financée par Playboy et présentée dans sa version intégrale de 95 minutes (VF uniquement). Si on tarit pas d’éloges concernant la mise en scène de Claude Mulot, la photographie de Jacques Assuérus et le faste des décors et des costumes en général, on déplore en revanche un peu le faible investissement des acteurs et surtout des actrices du film, qui le tirent clairement vers le bas en jouant comme des truffes. Cela dit, si vous parvenez à faire abstraction de cela, l’ensemble s’avère absolument divertissant dans son genre – une curiosité très méconnue mais intéressante de la carrière de Claude Mulot, cinéaste décidément plein de surprises.
On terminera enfin avec deux bandes-annonces des Charnelles, en français et en anglais. Comme d’habitude, vous pouvez commander cette édition indispensable sur le site de l’éditeur Le chat qui fume.