Le Mépris
France, Italie : 1963
Titre original : –
Réalisateur : Jean-Luc Godard
Scénario : Jean-Luc Godard
Acteurs : Brigitte Bardot, Michel Piccoli, Jack Palance
Éditeur : StudioCanal
Durée : 1h44
Genre : Drame
Date de sortie cinéma : 20 décembre 1963
Date de sortie BR4K : 14 juin 2023
Camille aime son mari, Paul, écrivain qui vit à Rome. Le producteur Jérémie Prokosch lui demande de remanier le scénario d’un film que Fritz Lang tourne en Italie. Et, subitement, sans raisons nettes, mais qui peuvent se deviner, Camille s’aperçoit qu’elle n’aime plus son mari, plus exactement qu’elle le méprise…
Le film
[4,5/5]
« Dans l’absolu, un film parfait existe-t-il ? Pour en avoir vu sans doute des milliers au cours d’une passion cinéphile plus ou moins marquée au fil des ans, nous devons admettre qu’il n’y en a pas énormément, sous réserve des aléas toujours très subjectifs du goût personnel et de la réceptivité pour certains styles ou thématiques à tel ou tel moment de notre vie. Le Mépris s’approche toutefois de cet idéal avec une régularité bluffante, par le biais d’une admiration quasiment sans bornes que nous éprouvons à l’égard du chef-d’œuvre de Jean-Luc Godard. (…)
Son réalisateur y excelle dans l’association plus qu’astucieuse des hautes sphères artistiques à la banalité d’un couple en pleine rupture : l’antithèse du romantisme sur fond d’une conception du cinéma ironiquement snob. Car comme la plupart des films qui nous tiennent particulièrement à cœur, Le Mépris est avant tout un hommage vibrant au cinéma, à son pouvoir de séduction et d’élévation intellectuelle, miné sans cesse par un recours à l’artifice dont le revers réaliste n’est que pessimisme et tragédie.
Finie la tendresse
La mémoire mondiale du cinéma a surtout retenu les premières répliques du Mépris, où les amoureux s’échangent des mots doux et vaguement érotiques, la femme passant en revue les parties de son corps que son mari acquiesce adorer sans exception. La véritable portée affective du film va cependant beaucoup plus loin que ce roucoulement sous la couette au petit matin. Il y est question de la fragilité des sentiments, ainsi que de cette transformation horrible qui voit sans préavis des amants devenir des adversaires. Au cœur de cette tragédie conjugale se situe une Brigitte Bardot probablement jamais plus délicate que dans l’interprétation de ce simulacre d’une femme fatale, que l’on pourrait après tout aussi bien interpréter comme une ménagère docile, écœurée par la facilité avec laquelle son mari l’abandonne corps et âme à un autre homme. Son jeu des regards blessés et des poses prises au piège entre la provocation et une lascivité presque enfantine érigent sans la moindre affectation son personnage en monument du Septième art. (…) Son pendant masculin aurait difficilement être plus magistralement complémentaire sous les traits de Michel Piccoli. Celui-ci y campe un homme peut-être encore plus complexe – parfois un salaud jaloux, parfois un lâche indifférent – que son épouse, d’ores et déjà porteuse, ne serait-ce qu’à l’état embryonnaire, de bon nombre de revendications féministes à venir.
Voyage en Italie
A l’intimité en pleine tempête, agencée de main de maître par la mise en scène de Jean-Luc Godard, répond en quelque sorte le volet qui se moque autant qu’il met en abîme le monde du cinéma, depuis ses modes de production clinquants jusqu’aux interrogations existentielles d’artistes qui veulent y voir autre chose qu’une machine à fric. Les deux protagonistes de cette lutte éternelle entre le commerce et l’art sont évidemment le producteur manipulateur et hédoniste d’un côté, interprété avec une désinvolture cynique par Jack Palance, et le vieux metteur en scène roublard de l’autre, le géant Fritz Lang dans ce qui allait être sa dernière participation au monde du cinéma et quel chant de cygne plein de lucidité instruite et espiègle ! Le support de leur lutte – sans merci et néanmoins condamnée au statu quo du compromis – pour le monopole idéologique du cinéma est l’adaptation passablement bizarre d’une épopée grecque, conçue comme une contemplation abstraite dont le seul attrait pour le public seraient les nymphes se baignant nues dans les flots d’un bleu profond de la mer Méditerranée. (…)
Le Mépris est tellement plus que le thème de Camille qui a assuré une place à Georges Delerue au panthéon des musiques de film, que les images splendides signées Raoul Coutard (…), et même plus que les fesses rondes de Brigitte Bardot ! C’est pour nous l’un des coups de maître de Jean-Luc Godard, le film au croisement parfait entre de discrètes expérimentations formelles, par exemple au montage ou sur la bande son, une analyse au ton acerbe du mode opératoire du cinéma et son influence sur le spectateur, ainsi que la catastrophe guère embellie d’une rupture, à la laideur sentimentale paradoxalement sublime ! »
Extrait de la critique de notre rédacteur Tobias Dunschen. Découvrez-en l’intégralité en cliquant ici !
Le Blu-ray 4K Ultra HD
[5/5]
A film parfait, édition 4K parfaite : deuxième film de Jean-Luc Godard à sortir au format Blu-ray 4K Ultra HD, Le Mépris fête ses soixante ans en grande pompe, avec une édition StudioCanal s’affichant dans un superbe digipack deux volets surmonté d’un étui cartonné. Le visuel de cette édition, assez superbe, est signé Laurent Durieux, et le tout est accompagné d’un livret collector.
Comme on pouvait s’y attendre de la part de StudioCanal, cette édition Blu-ray 4K Ultra HD du Mépris enterre littéralement toutes les précédentes éditions du film, et impose un rendu visuellement bien supérieur à toutes celles que l’on connaissait jusqu’ici – le rendu est même clairement meilleur que celui de la restauration exploitée dans les salles obscures il y a quelques années. La restauration 4K est tirée d’un scan du négatif original (35MM) et de l’interpositif, et a été effectuée entre 2021 et 2023 par le laboratoire Hiventy. Le film est naturellement présenté en Cinemascope avec un nouvel étalonnage des couleurs supervisé en Dolby Vision, avec comme référence la copie retravaillée en 2002 par le chef opérateur Raoul Coutard.
Et on ne pourra que s’avérer conquis par le résultat, absolument superbe : à l’exception d’une scène ou deux (au début du film notamment), le master est d’une propreté immaculée, le piqué est d’une précision époustouflante, le grain cinéma a été respecté, les textures sont fines et les arrière-plans / la profondeur de champ sont absolument bluffants. L’étalonnage des couleurs est dominé par des couleurs vives (rouge, bleu) au rendu lumineux et nuancé, avec des teintes affichées avec une profondeur et une intensité remarquables – les vêtements d’époque des personnages en tirent régulièrement profit. Compte tenu de l’âge du film, on est vraiment en présence d’une restauration irréprochable, éblouissante, somptueuse. Merci StudioCanal. Côté son, Le Mépris est présenté en DTS-HD Master Audio 2.0, et le mixage nous offre une belle clarté, avec des dialogues nets et bien sûr la musique mémorable de Georges Delerue qui sonne ouverte et aérée. Du très beau travail.
Du côté des suppléments, on se régalera tout d’abord d’un livret de 24 pages signé Jean-Baptiste Thoret. Sur la galette à proprement parler, le gros morceau de cette édition est le passionnant documentaire rétrospectif Il était une fois… Le Mépris (52 minutes), réalisé par Antoine de Gaudemar, et que l’on avait pu découvrir en 2009 sur TCM. On continuera ensuite par une présentation du film par Colin MacCabe (6 minutes), et on terminera par deux courts-métrages de Jacques Rozier, Paparazzi (22 minutes) et Le Parti des choses : Bardot et Godard (10 minutes) – deux courts ayant la particularité d’avoir été tournés sur le plateau du Mépris. Indispensable !