Test Blu-ray 4K Ultra HD : Le Jour de la bête

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Le Jour de la bête

Espagne, Italie : 1995
Titre original : El día de la bestia
Réalisation : Álex de la Iglesia
Scénario : Álex de la Iglesia, Jorge Guerricaechevarría
Acteurs : Alex Angulo, Armando De Razza, Santiago Segura
Éditeur : Extralucid Films
Durée : 1h44
Genre : Comédie, Horreur
Date de sortie cinéma : 23 juillet 1997
Date de sortie BR/4K : 22 novembre 2021

Le prêtre Ángel Berriartúa a décodé l’Apocalypse de Jean et est parvenu à déterminer le jour de la naissance de l’Antéchrist. Selon ce message, l’Antéchrist naîtra le 25 décembre 1995 à Madrid, où débute une vague de vandalisme et de criminalité. En revanche, il ignore tout du lieu où il viendra au monde…

Le film

[5/5]

Véritable prodige de la péloche, nous ayant livré au fil des années une palanquée de chefs d’œuvres dynamitant sévère le cinéma européen, Álex de la Iglesia est un cinéaste espagnol encore trop méconnu de notre côté des Pyrénées. Découvert en France en 1993 avec le sublime Action Mutante (qu’on désespère de redécouvrir un jour en Haute-Définition), le cinéaste s’était imposé avec ce premier essai comme un des nouveaux messies de la folie sur celluloïd. Auprès d’une petite marge de cinéphiles déviants, le nom d’Álex de la Iglesia était alors comparable à celui d’un Peter Jackson, également débutant à la même époque. Le destin ferait de l’un un Roi, tandis que l’autre continuerait à bricoler ses films dans son coin. « Prendre des p’tits bouts d’trucs et pi les assembler ensemble, et écouter l’résultat tranquille, dans ma chambre » chantait Stupéflip : les fans d’Álex de la Iglesia n’ont finalement eu réellement d’autre choix que de s’accommoder à faire pareil, tout en gardant à l’esprit que le cinéaste espagnol est l’un des cinéastes les plus grands et les plus injustement oubliés de ces vingt dernières années.

Soutenu de façon indéfectible par le magazine Mad Movies, qui donnait clairement le « La » en matière de cinéma fantastique en France dans les années 90, son deuxième long-métrage Le Jour de la bête sortirait finalement dans l’hexagone en 1997, deux ans après sa sortie en Espagne, et ne réunirait qu’un peu plus de 20.000 curieux dans les salles obscures. Pour autant, Le Jour de la bête se ferait en l’espace de quelques années une solide réputation de film « culte ». A titre personnel, si vous me permettez un aparté de quelques lignes, il s’agit probablement – avec Doom Generation peut-être – du film que j’ai le plus fait découvrir autour de moi ces deux dernières décennies. « Tu ne connais pas Le Jour de la bête ?!? Ah, mais ! Il faut le voir, allez hop hop hop ! » Et en toute honnêteté, rares sont ceux qui ne furent pas totalement conquis à la découverte de cette comédie noire, menée de main de maître par un cinéaste désireux de faire bouger les lignes de la comédie horrifique.

Crédité au générique du film en tant que co-scénariste et réalisateur, Álex de la Iglesia signe sans aucun doute avec Le Jour de la bête le film le plus « accessible » de son début de carrière : structuré, suivant une trame relativement linéaire, le film ne dévie jamais de son cap et emmène le spectateur d’un point A à un point B aux côtés du prêtre défroqué Ángel Berriartúa (Álex Angulo), du fan de Heavy Metal José María (Santiago Segura) et du médium télévisé Cavan (Armando Da Razza). Les digressions outrancières sont moins nombreuses que dans ses autres films, et si bien sûr les blagues de mauvais goût sont de la partie, la tension dramatique est suffisamment maintenue par le cinéaste pour conserver des enjeux clairs, parfaitement déterminés dès les premières séquences du film. C’est finalement ce qui permettra au spectateur de rester sur la durée à fond aux côtés du trio de bras cassés au centre du Jour de la bête : le cheminement de pensée et les raisonnements sous-jacents aux choix et aux décisions du trio ne nécessitent de ce fait pas d’être explicitées outre mesure, et le sentiment d’urgence développé par le film incite forcément le public à suivre le courant, passant d’un rebondissement à un autre dans la joie, l’humour noir et au fil de plans absolument sublimes dénotant d’un sens du cadre et du timing absolument ébouriffant de la part d’Álex de la Iglesia.

Et parallèlement à la mise en scène grandiose assurée par le cinéaste, il y a bien entendu la prestation extraordinaire du trio d’acteurs principaux, qui parviennent par leur énergie hystérique à insuffler à leurs personnages une richesse telle qu’elle contribue à leur donner une existence presque tangible, allant finalement bien au-delà de la simple intrigue du Jour de la bête. On n’aurait ainsi pas été spécialement étonnés de voir leurs aventures se prolonger dans d’autres médias, tels que la bande dessinée par exemple, ou à travers un autre film. Ce sont également ces personnages et leurs différentes facettes qui permettent au film d’Álex de la Iglesia de dépasser l’étiquette de la simple provocation et de l’anticléricalisme primaire. Dans Le Jour de la bête, les croyants les plus dévots, les satanistes et ceux qui, à l’image de Cavan, se situent quelque-part entre les deux, sont mis sur un pied d’égalité – ils passent au-dessus de leurs divergences de pensée pour s’unir dans un but commun. Le danger en réalité, la vraie violence aveugle, est d’avantage politique, et prend les traits d’un groupe extrémiste et xénophobe, le « Limpia Madrid ».

Et le moins que l’on puisse dire, c’est que redécouvrir aujourd’hui Le Jour de la bête s’avère une expérience toujours aussi réjouissante. Les séquences-cultes s’enchaînent à un rythme fou (l’invocation du démon dans l’appartement de Cavan, la recherche et l’obtention du sang de « la vierge », etc.), et l’humour se mélange sans peine à un aspect horrifique de plus en plus prégnant au fur et à mesure que le film avance. Comme d’habitude avec Álex de la Iglesia, grand amateur de slapstick devant l’éternel, le trio de personnages s’en prend littéralement plein la gueule au fil des différents rebondissements du film, et de ses poussées d’adrénaline.

On terminera en soulignant que si le film d’Álex de la Iglesia est encore aujourd’hui malheureusement trop peu connu chez nous, Le Jour de la bête avait cependant fait sensation en Espagne lors de sa sortie en 1995. Lors de la première édition de la cérémonie des Goya en 1995, le film avait ainsi reçu une pluie de récompenses : meilleure réalisation pour Álex de la Iglesia, meilleur espoir masculin pour Santiago Segura, meilleure direction artistique, meilleurs maquillages, meilleurs effets spéciaux et meilleur son. Le film a également obtenu le grand prix du jury au Festival Fantastic’Arts de Gérardmer en 1996, ainsi que le Corbeau d’or au Festival international du film fantastique de Bruxelles (BIFFF), ainsi que le Méliès d’or du meilleur film fantastique européen la même année.

Le Blu-ray 4K Ultra HD

[5/5]

On vous avait parlé, à l’automne 2020, de notre enthousiasme pour les sorties d’un nouvel éditeur vidéo en France, Extralucid Films. Un peu plus d’un an plus tard, notre intérêt pour les sorties estampillées Extralucid ne s’est pas tari : l’éditeur joue plus que jamais la carte de l’éclectisme en alternant les sorties articulées autour de deux collections phares : d’un côté, « Extra Culte », collection dédiée aux pépites du cinéma de genre, et de l’autre « Extra Monde », qui nous propose de découvrir des films indépendants du monde entier. Le Jour de la bête s’inscrit donc dans la collection « Extra Culte ». Disponible depuis la fin du mois de novembre, le film de 1995 est donc ressorti accompagné de deux autres films d’Álex de la Iglesia absolument indispensables : Perdita Durango (1997) et Balada Triste (2010).

Jusqu’ici uniquement disponible au format DVD, Le Jour de la bête s’offre donc ENFIN une ressortie lui permettant de goûter aux joies de la Haute-Définition. Mais la véritable grande nouvelle autour de cette sortie sous les couleurs d’Extralucid Films est que le film est proposé dans un Combo contenant non seulement le film en Blu-ray, mais également au format Blu-ray 4K Ultra HD. On en connaît qui, sans l’avouer, ont versé des larmes de joie à la découverte du coffret édité par Extralucid. La sortie du Jour de la bête en 4K marque donc un tournant dans la vie de l’éditeur, qui à peine à peu plus d’un an après avoir commencé à abreuver les fans de cinéma de genre français, joue ici la carte de l’excellence technique, du format de pointe. On ne saurait trop saluer ce tour de force, d’autant que le film nous est comme d’habitude présenté dans un écrin splendide, un sublime digipack deux volets surmonté d’un étui cartonné aux couleurs du film. En deux mots comme en cent, le packaging est une nouvelle fois au top, dans la plus parfaite continuité du travail éditorial effectué par Extralucid depuis ses débuts dans le petit monde de l’édition.

Côté master, la restauration 4K effectuée sur Le Jour de la bête s’avère tout simplement majestueuse : l’image du Blu-ray 4K Ultra HD nous propose un rendu visuel absolument inédit, époustouflant, avec une granulation préservée et un niveau de détail extraordinaire, et ce même si le film se déroule le plus souvent dans le noir ou dans l’obscurité – les couleurs, les contrastes et les noirs sont impressionnants : c’est magnifique, un bel hommage rendu au travail sur l’image et aux plans de ouf malade mis en scène par Álex de la Iglesia et son chef opérateur Flavio Martínez Labiano. L’ensemble est donc absolument merveilleux, à l’exception des quelques séquences à effets spéciaux, probablement tournés avec une résolution inférieure à celle dont on dispose aujourd’hui, et qui ne se voient pas réellement bien traitées par la résolution accrue de la version 4K UHD. Cela dit, ce défaut n’est en rien imputable au boulot d’encodage d’Extralucid Films, qui doit composer avec ce dont le film dispose et mérite amplement la note maximale pour le bonheur que représente une telle redécouverte du travail de cinéaste d’Álex de la Iglesia. Même constat d’excellence et de fidélité au matériau d’origine du côté des pistes sonores : la version originale espagnole et la cultissime version française (« Puissant ! ») nous sont proposées dans des mixages irréprochables en DTS-HD Master Audio 2.0. Toutes deux nous proposent un bon équilibre et une excellente stabilité d’ensemble, sans souffle ni craquements intempestifs. Du bonheur pur, encodé en 4K et aplati sous la forme d’un Blu-ray sans faille.

Du côté des suppléments, on ne trouvera rien d’autre que le film sur la galette Blu-ray 4K Ultra HD, mais le Blu-ray en revanche contient son lot de surprises et de bonus absolument formidables. On commencera tout doucement avec une présentation du film par Laurent Duroche (10 minutes). Le journaliste, figure incontournable du magazine Mad Movies depuis un peu plus de quinze ans, reviendra donc sur le film et son évolution. Il évoquera également les influences du film, le casting et les personnages, ainsi que les obsessions du réalisateur, notamment pour la télévision et son emprise sur la population. Il terminera en rappelant que le film fut un grand succès en Espagne en 1995, et qu’il fut largement couronné lors de la première cérémonie des Goya, chose qui, en France, parait absolument impensable pour un film de genre. On continuera ensuite avec un entretien exclusif avec Álex de la Iglesia (21 minutes), enregistré par les équipes de Splendor Films spécialement pour cette édition Extralucid. Le réalisateur y reviendra tout d’abord sur l’abandon du projet par son producteur Pedro Almodovar, qui par superstition refusait de faire un film traitant de démons. Il évoquera sa motivation première, qui était de faire du Jour de la bête un vrai film d’horreur, sans humour, mais lui et son co-scénariste Jorge Guerricaechevarría souffraient d’un « blocage » : le film ne fonctionnait pas. Il reviendra également sur ses personnages, ses références conscientes (étonnant de l’entendre citer la BD de Peyo Benoît Brisefer !). Enfin, le cinéaste citera quelques-uns des prestigieux « amis » que le film lui a permis de se faire dans le cinéma international.

On continuera ensuite avec un long documentaire intitulé Herederos de la bestia (2016, 1h19), qui n’est pas uniquement un documentaire rétrospectif sur le film d’Álex de la Iglesia, mais qui se sert du film, de sa mise en chantier et de son succès comme d’une véritable « date-charnière » dans l’Histoire du cinéma de genre espagnol. On y abordera donc les éléments contextuels ayant permis l’émergence du cinéaste, en les mettant en parallèle avec la situation sociopolitique de l’Espagne à la fin des années 80 / début des années 90. L’importance du Jour de la bête dans l’émergence et le succès de la vague de « fantastique espagnol » ayant inondé les écrans européens au début des années 2000 est clairement mise en évidence. Ainsi, si certains ne se font pas prier pour souligner qu’ils étaient déjà dans le circuit du court-métrage fantastique avant le succès du film de 1995, Herederos de la bestia met clairement en évidence l’impact qu’a eu le film dans la mise en lumière de toute une nouvelle génération de cinéastes espagnols spécialisés dans le fantastique. Les intervenants sont nombreux et pertinents et entre deux réflexions portant sur « l’avant » ou « l’après » Jour de la bête, on aura également droit à de nombreuses images d’archives du tournage ainsi qu’à une poignée d’entretiens et d’anecdotes. La façon dont nous est présentée l’arrivée de Santiago Segura sur le film est par exemple assez hilarante, d’autant que l’acteur n’a pas son pareil pour raconter les histoires. Par ailleurs, la présence derrière Santiago Segura d’une petite statuette dédiée au film Torrente 5 nous fait penser que les cinq films de la saga comico-policière Torrente (1998-2014) sont malheureusement toujours inédits en France. On espère sincèrement qu’un éditeur aura les cojones un jour de les proposer au public français en Blu-ray ou, encore mieux, en Blu-ray 4K Ultra HD.

Enfin, on terminera le tour des suppléments de cette richissime édition Blu-ray 4K Ultra HD du Jour de la bête avec le premier court-métrage d’Álex de la Iglesia, intitulé Mirindas Asesinas (1990, 12 minutes), suivant un Álex Angulo en tueur fou appréciant le Mirinda (un soda espagnol racheté par Pepsi dans les années 70, équivalent du Fanta de chez Coca-Cola), mais n’appréciant pas qu’on répondre approximativement à ses questions. Un jeu de massacre assez hilarant, dans un noir et blanc très contrasté, et bénéficiant déjà d’une mise en scène absolument remarquable.

Plus d’informations sur le site officiel d’Extralucid Films.

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