La rose écorchée
France : 1969
Titre original : –
Réalisation : Claude Mulot
Scénario : Claude Mulot, Jean Larriaga, Edgar Oppenheimer
Acteurs : Philippe Lemaire, Annie Duperey, Elisabeth Teissier
Éditeur : Le chat qui fume
Durée : 1h34
Genre : Fantastique, Horreur
Date de sortie cinéma : 25 septembre 1970
Date de sortie DVD/BR : 10 juin 2019
Le peintre Frédéric Lansac vit un amour idyllique auprès d’Anne dans leur château isolé au centre de la France lorsqu’un drame vient briser brutalement cette passion. Grièvement brûlée, l’épouse de Lansac est défigurée, sans espoir de guérison. Jusqu’au jour où un chirurgien accepte de lui redonner un visage. Mais pour que l’opération réussisse, la donneuse doit être sacrifiée…
Le film
[5/5]
Vers le milieu des années 50, la réussite artistique et le succès populaire des films produits par les britanniques de Hammer Films ont véritablement donné le « la » du cinéma d’épouvante international. Ainsi, pendant presque vingt ans, le cinéma d’horreur s’est épanoui sur le mode du « gothique », qui se traduira à l’écran par le recours à une esthétique macabre : châteaux lugubres – et autres immenses demeures aristocratiques – plongés dans une brume mystérieuse, cryptes poussiéreuses, auberges où se réfugie le petit peuple effrayé, cimetières plongés dans l’ombre ou la nuit où déambulent les visions spectrales de jeunes femmes arborant des déshabillés vaporeux… D’un point de vue thématique, le cinéma gothique popularisé par la Hammer traitera le plus souvent de la survivance de drames du passé interférant avec le présent : amours interdits/maudits, personnages reclus ou rejetés se libérant de leurs « chaînes » (réelles ou symboliques), malédictions ancestrales, vengeances d’outre-tombe…
Les « révolutions » de 1968 changeront par la suite un peu la donne : la libération des mœurs et la métamorphose de l’habitat urbain permettront à quelques audacieux de créer de nouvelles formes de cinéma d’horreur, plus contemporaines, et le cinéma d’épouvante gothique s’éteindra petit à petit, du moins sous sa forme de l’époque, souvent considérée comme un « âge d’or ». La fin des années 60 et le début des années 70 représentent donc une espèce d’époque « charnière », dans le sens où de nombreux cinéastes se sont retrouvés le cul entre deux chaises, à devoir choisir entre le fait de perpétuer la tradition de l’épouvante gothique et le fait de se lancer, avec la fougue de la jeunesse, dans ce nouvel espace de liberté au sein du cinéma d’horreur. Le choix était difficile, ne serait-ce qu’économiquement (les producteurs prêts à se lancer dans la nouveauté sans garantie de retour sur investissement ne courent pas les rues), et de ce fait, de nombreux cinéastes ont opté pour la voie « centrale », celle du mélange des genres, du compromis entre tradition et modernité.
En France, ce sont deux jeunes cinéastes qui se sont lancés dans l’aventure : Jean Rollin, 30 ans, qui signerait Le viol du vampire en 1968, puis La vampire nue en 1969, et Claude Mulot, 27 ans, qui réaliserait La rose écorchée dans le courant de l’année 1969. Les deux cinéastes ont d’ailleurs beaucoup en commun. Outre un attachement clair pour l’épouvante gothique, dont Rollin ne se débarrasserait jamais totalement, les deux cinéastes ont par ailleurs passé quelques années de leurs existences respectives à œuvrer dans le cinéma pornographique ; Rollin sous les pseudos de Michel Gentil et Robert Xavier (même s’il n’aimait pas en parler, il signerait également en 1994 le scénario du Parfum de Mathilde, un des classiques de l’ère « vidéo » de chez Marc Dorcel), Mulot sous le pseudo de Frédéric Lansac. Le revers de la médaille, c’est qu’ayant travaillé dans l’industrie du porno durant des années, ils n’ont jamais été réellement pris au sérieux en tant que cinéastes que par une petite poignée de critiques et de cinéphiles, triés sur le volet et le plus souvent amateurs de « bis ». Pour la majorité des autres, ils n’étaient considérés que comme de vulgaires tâcherons. Mais aussi et surtout, ils furent à leurs débuts tous deux énormément influencés par l’œuvre de Georges Franju (1912-1987). La vampire nue est en effet un hommage évident à Judex (1963), et le scénario de La rose écorchée est une relecture tout aussi évidente des Yeux sans visage (1960), œuvre fondatrice du cinéma fantastique français.
L’heure de la réhabilitation semble néanmoins enfin avoir sonné pour Claude Mulot, sous l’impulsion du Chat qui fume, grand défenseur du cinéma de genre en France, qui nous propose ce mois-ci de redécouvrir deux des œuvres « phares » de la carrière traditionnelle du cinéaste. Et quoiqu’en disent certains, La rose écorchée s’affirme aujourd’hui plus que jamais comme une véritable perle, un trésor du cinéma fantastique hexagonal. Le premier qui parle de « nanar » sera violemment trépané1.
La rose écorchée s’impose donc comme à la croisée des chemins entre tradition et modernité. Il semble d’ailleurs que ce fut également le cas du film précédent de Claude Mulot, l’invisible Bien faire et les séduire (1968). En effet, le fait que ce premier film soit également connu sous le titre Sexyrella laisse penser que le retitrage du film est postérieur à 1969, année de création du personnage de Vampirella, et surtout que ce premier long-métrage naviguait dans les mêmes eaux formelles et thématiques que le suivant. Mais revenons à celui qui nous intéresse aujourd’hui.
Même s’il s’agit d’un film relativement oublié de nos jours, dont la notoriété dans l’hexagone n’a guère dépassé une poignée de passionnés de fantastique, La rose écorchée risque bien de surprendre les cinéphiles contemporains qui, s’ils ne l’ont jamais vu, découvriront aujourd’hui une œuvre importante, belle, inspirée, touchant par moments littéralement au sublime. Ne serait-ce que d’un point de vue purement visuel, le film de Claude Mulot s’impose très rapidement comme une véritable merveille, baroque et sensuelle, sublimée par la photo de Roger Fellous. Décors grandioses, brume omniprésente, éclairages sophistiqués, le film passe en un clin d’œil du tableau de maître au kitsch le plus assumé, et crée par là même un contraste plongeant le spectateur dans un univers pictural étrangement et assez paradoxalement homogène, d’une beauté saisissante. La musique et l’histoire en elle-même, traitant d’un amour fou dépassant toutes les limites acceptables socialement parlant, en rajoutent encore dans la poésie macabre et mélancolique développée ici par Claude Mulot. Mais La rose écorchée n’est pas juste un bel objet creux – si bien sûr le film privilégie les plans longs plutôt qu’un montage sec ou nerveux, Mulot fait preuve d’un sens du suspense et de la narration que l’on ne croisait finalement pas si souvent au cœur des œuvres peuplant le cinéma « bis » de l’époque : les rebondissements se succèdent sans temps mort, le rythme est excellent, et l’intérêt du spectateur est maintenu en éveil du début à la fin du film.
Une des autres grandes qualités de La rose écorchée, c’est son interprétation, assurée par des acteurs alors encore relativement peu connus ou débutants, mais qui finiront par se faire un nom. On commence donc avec Philippe Lemaire, acteur à la destinée tragique restant surtout connu de nos jours pour avoir joué dans deux épisodes de la saga Angélique marquise des anges en 1964/65. A ses côtés, on trouvera Anny Duperey (le premier qui écrit encore « Annie » sera abattu sans sommation2) dans un de ses premiers rôles au cinéma. Tous deux s’avèrent excellents, littéralement habités par leurs rôles, et jouant avec l’énergie du désespoir. Et bien sûr, le film de Claude Mulot peut également compter sur l’interprétation enfiévrée d’Howard Vernon, acteur incontournable du bis des années 70. Si côté qualité de jeu, c’est nettement plus anecdotique, on notera également la présence au générique d’Élizabeth Teissier, future astrologue peu douée à la TV et dans Télé 7 Jours, mais qui à l’époque était principalement mannequin et actrice peu douée. Si on n’entend plus trop parler d’elle depuis quelques années, Teissier fut au cœur de nombreuses petites polémiques dans les années 90/2000, qui ont contribué à faire d’elle une figure-phare de l’astrologie en France, donnant surtout régulièrement du grain à moudre à ses nombreux détracteurs.
Le Combo Blu-ray 4K Ultra HD + Blu-ray + DVD
[5/5]
Alors que la grande majorité des éditeurs français joue la carte de la sécurité, avec des éditions aux bonus et aux visuels recyclés d’éditions antérieures en provenance d’autres pays du globe, alors que la notion de « bel objet » et d’optique de « collection » implique le plus souvent le fait de disposer d’un budget conséquent, Le chat qui fume casse décidément tous les codes. L’éditeur français prouve en effet mois après mois qu’il est possible de proposer à un prix raisonnable des films inédits en Haute-Définition. Encore mieux, ces dernières débarquent accompagnées d’une pleine cargaison de bonus, et sont présentées dans des éditions luxueuses, dont la maquette est composée par un graphiste de talent – Frédéric Domont – qui n’épargne pas sa peine afin de livrer, titre après titre, des visuels de toute beauté qui font baver le monde entier d’envie.
La rose écorchée marque encore un nouveau tournant dans l’excellence pour Le chat qui fume, puisqu’en plus du Blu-ray, le Combo propose également une galette Blu-ray 4K Ultra HD. En première mondiale s’il vous plait. C’est juste incroyable, on en reste sans voix. Le tout est comme d’habitude présenté dans un écrin splendide, un sublime digipack trois volets limité à 1500 exemplaires surmonté d’un étui cartonné aux couleurs du film. En deux mots comme en cent, le packaging est une nouvelle fois au top, dans la plus parfaite continuité du travail éditorial effectué par le Chat qui fume depuis quelques années.
Côté master, la restauration effectuée par Le chat qui fume sur La rose écorchée s’avère tout simplement majestueuse : l’image du Blu-ray 4K Ultra HD nous propose un rendu visuel époustouflant, avec une granulation préservée et un niveau de détail extraordinaire, et ce même si le film se déroule le plus souvent dans le noir ou dans l’obscurité – les couleurs, les contrastes et les noirs sont impressionnants : c’est magnifique, un bel hommage rendu au travail sur l’image assuré par Claude Mulot et son chef op’ Roger Fellous. On notera que le Blu-ray 4K Ultra HD ne propose aucun menu, au contraire de l’édition Blu-ray classique, qui affiche un rendu épatant, mais forcément un poil de cul moins fin et précis que la galette 4K. Ce qui est complètement logique, pour vous sortir des banalités pareilles je ferais encore mieux de fermer ma gueule. M’enfin voilà, si vous ne disposez pas encore de Xbox One ou de lecteur 4K pour profiter du grand spectacle proposé par la version 4K, la version Blu-ray vous proposera tout de même une alternative plus que solide pour découvrir le film, proposé dans un master stable et parfaitement respectueux du grain argentique d’origine, avec des couleurs resplendissantes et un piqué d’une précision extrême. C’est magique. Même constat d’excellence et de fidélité au matériau d’origine du côté des pistes sonores : version française et anglaise sont mixées en DTS-HD Master Audio 2.0, et proposent un bon équilibre et une excellente stabilité d’ensemble, sans souffle ni craquements intempestifs. Double dose de magie. Façon Garcimore. Qui était aussi bon en magie qu’Elizabeth Teissier en astrologie. Comme quoi tout se recoupe.
Passons maintenant au gros morceau de cette édition : les suppléments. Bon, alors on vous arrête tout de suite, ce Blu-ray ne contient pas d’entretien avec Elizabeth Teissier. Dommage, elle aurait pu nous prédire notre avenir. On ne trouvera pas non plus de trace d’Anny Duperey dans cette interactivité, par ailleurs foisonnante. Alors soit, par coquetterie, elle ne désire pas évoquer ses débuts un peu dénudés devant la caméra d’un futur pilier du cinéma porno, soit était-elle débordée par l’écriture de son prochain livre, le tournage d’un téléfilm pour TF1 ou celui de Just a gigolo d’Olivier Baroux. Qu’à cela ne tienne car Le chat qui fume se rattrape sans peine avec d’autres entretiens absolument passionnants.
On commencera tout d’abord avec un entretien avec Edgar Oppenheimer, producteur et scénariste (26 minutes). Ce dernier y évoquera sa grande amitié avec Claude Mulot, de leur rencontre jusqu’aux films qu’ils ont tourné ensemble. Il évoquera dans un premier temps les problèmes rencontrés par le film avec la censure de l’époque, qui le considérait comme une « atteinte aux bonnes mœurs »… Alors que de nos jours, il n’est « même pas interdit aux moins de 10 ans ». Il reviendra par la suite sur la drôle de coïncidence, la « chance » ayant mené à une exploitation du film à l’international. Il dira également deux / trois mots sur le tournage du film, en 18 jours, précisant que personne n’avait été payé, à l’exception d’Anny Duperey. Vif et sympathique, Oppenheimer, avec sa diction « à la Claude Piéplu », est un véritable plaisir à écouter. On continuera ensuite avec un entretien avec Jacques Assuérus, caméraman (35 minutes), qui reviendra sur son « idylle » avec Claude Mulot, ainsi que sur leur passion commune pour les femmes. Il reviendra ensuite sur le tournage de La rose écorchée, film tourné « en famille », puis sur celui de La saignée. Les anecdotes se suivent et ne se ressemblent pas, puisque le dernier tiers de l’entretien sera consacré à l’amitié qui liait Claude Mulot et Johnny Hallyday, qui « se passaient des films à longueur de journée ». Il lui réalisera d’ailleurs un court-métrage, intitulé Le survivant (1982), sous-Mad Max destiné à être projeté pendant ses concerts, qui fut tourné « chez Macron », c’est à dire sur la plage du Touquet. On aura ensuite droit à un entretien avec Hubert et Georges Baumann, respectivement régisseur et assistant-réalisateur sur La rose écorchée (11 minutes). Les deux frères y reviendront sur la façon dont ils sont arrivés sur le film, et la façon dont ils travaillaient au système D. Ils déclarent quant à eux avoir été payés, 400 francs par semaine, et évoquent leur admiration pour Roger Fellous, présenté comme « boudeur » et « toujours un mégot au bec ». Ils diront également quelques mots sur le casting, leurs propos virant parfois à la rubrique people. On terminera ensuite avec un entretien avec Brigitte Lahaie (10 minutes), qui de façon étrange est bien indiqué sur le site du Chat qui fume mais pas sur le boîtier du Combo Blu-ray 4K Ultra HD + Blu-ray + DVD. Si bien sûr l’actrice n’a pas joué dans La rose écorchée, elle a tourné dans quelques-uns des films porno qu’il a tourné par la suite ; elle se souvient d’un cinéaste beaucoup plus intéressé par leur côté « cinématographique » que par leur côté purement « sexuel », qui semblait ne pas réellement l’intéresser. De la même façon, si elle a par la suite joué dans Le couteau sous la gorge, elle est convaincue d’avoir été imposée par René Château (producteur) plutôt que d’avoir été réellement « choisie » par Claude Mulot. Et quand elle se prend à comparer Claude Mulot et Jean Rollin, elle déclare que cela revient à comparer une poule et un aigle : « Je ne dirai pas qui est la poule et qui est l’aigle… (…) Deux êtres qui n’ont absolument aucun point commun ».
Après avoir fait le tour de ces nombreux entretiens, on se penchera sur un court mais sympathique reportage d’époque sur le tournage de La rose écorchée, qui nous donnera l’occasion d’écouter Claude Mulot, Philippe Lemaire et Anny Duperey. Enfin, et en plus des traditionnelles bandes-annonces, on trouvera « La rose écorchée en mode VHS », qui comme son titre l’indique propose de retrouver le transfert VHS du film. Une horreur absolue, qui permettra de se rendre compte de la qualité du master proposé par Le chat qui fume ainsi que les progrès effectués en l’espace de 40 ans dans le petit monde de l’édition vidéo.
Parallèlement à cette édition Combo Blu-ray 4K Ultra HD + Blu-ray + DVD de La rose écorchée, on notera la parution du livre « Claude Mulot : cinéaste écorché », écrit par Philippe Chouvel aux éditions du Chat qui fume, collection Nitrate. A se procurer au plus vite sur le site du Chat qui fume !
1 comme le poisson du Cap’tain Igloo
2 Il s’agit d’ailleurs du titre d’un film qu’elle a tourné en 1973