Haute Tension
France : 2003
Titre original : –
Réalisation : Alexandre Aja
Scénario : Alexandre Aja, Grégory Levasseur
Acteurs : Cécile de France, Maïwenn Le Besco, Philippe Nahon
Éditeur : ESC Éditions
Durée : 1h31
Genre : Horreur
Date de sortie cinéma : 18 juin 2003
Date de sortie BR4K : 20 mars 2024
Une maison isolée. Deux amies inséparables. Une famille unie. Un tueur sanguinaire qui rôde dans la région. À la nuit tombée, une seule règle : survivre…
Le film
[5/5]
Après le succès du Pacte des loups en 2001, une poignée de producteurs a cédé aux sirènes du cinéma de genre, et pendant presque une décennie, on a régulièrement vu débouler sur nos écrans une poignée de films d’horreur aux partis pris radicaux, qui nous donnaient à voir des spectacles extrêmement violents et graphiques tout en explorant des thèmes parfois difficiles et tabous. L’apparition de cette nouvelle vague du cinéma d’horreur « à la Française » s’est faite en parallèle avec la popularisation des films du mouvement « Asian Extreme », dont des films tels que Battle Royale, Audition ou Ichi the Killer étaient de fiers représentants, ou encore de l’apparition du genre américain surnommé le « Torture Porn », né avec Saw en 2001, mais qui trouverait son expression la plus radicale avec le diptyque d’Eli Roth Hostel / Hostel II.
On entend par là que cette inclinaison à se vautrer dans les outrances gore et l’extrême violence graphique n’était pas, à proprement parler, une particularité exclusivement française, mais correspondait davantage à l’air du temps d’une époque. Après une décennie 90’s dominée par des films fantastiques et/ou horrifiques falots et sans âme, les cinéastes de tous les pays ont accouché d’œuvres que l’on peut aisément lier aujourd’hui par leur nature transgressive, et leur volonté de se distinguer des films tournés durant la décennie précédente par leur représentation du sexe et de la violence. L’idée de repousser les limites de ce qui était considéré comme « socialement acceptable » au cinéma était au cœur des films d’horreur tournés au début des années 2000, et on peut considérer que l’expression la plus éclatante du genre serait atteinte en 2008 avec le fameux Martyrs de Pascal Laugier.
Sorti sur les écrans en 2003, Haute Tension est non seulement l’un des premiers, mais également un des plus mémorables et impressionnants représentants de cette Nouvelle Vague du cinéma d’horreur made in France. Comme la plupart des films appartenant à ce mouvement, il ne met pas en scène une histoire « fantastique » à proprement parler : on n’est pas ici en présence d’un récit surnaturel, mais d’une histoire au cœur de laquelle Alexandre Aja et son coscénariste Grégory Levasseur vont explorer les recoins les plus sombres de l’âme humaine. Une grande partie de la terreur développée par le film est exacerbée par le fait que la notion de « corps » est au centre du débat : la souffrance des personnages nous est montrée dans toute sa crudité la plus sordide, et la violence y est tellement extrême qu’elle prend par moments des atours presque grotesques, façon « Grand-Guignol ».
Prenant le soin de présenter, en l’espace de quelques minutes, ses deux personnages principaux Marie et Alex (Cécile de France et Maïwenn) ainsi que le « Tueur » (Philippe Nahon), Haute Tension prendra le parti d’un démarrage assez lent, qui néanmoins s’avère efficace dans la façon remarquable dont il fait comprendre au spectateur le lien très fort qui unit les deux jeunes femmes. Les jeux de regards notamment expriment mieux que cent-mille mots l’attirance frustrée de Marie pour sa camarade. Après cette introduction efficace, Haute Tension mettra clairement en évidence le lien entre la sexualité et la violence qui marquera tout le reste du film : Marie nous est en effet montrée en train de se masturber et, par le montage, mettra en parallèle la montée du plaisir de la jeune femme et l’arrivée du tueur sur les lieux du massacre à venir. La puissance orgasmique de la violence qui se déchainera dans les séquences suivantes n’échappera à personne, et le film de dresser un parallèle intéressant entre l’explosion de violence et le fait, pour Marie, de devoir cacher aux yeux de tous sa véritable nature.
Bien évidemment, si vous avez déjà vu Haute Tension, il ne vous aura pas échappé non plus que [Attention #Spoilers] cette nature qu’essaie désespérément de cacher Marie n’est pas uniquement liée à son orientation sexuelle. Cela dit, si certains observateurs ont régulièrement avancé le contraire depuis la sortie du film en 2003, le scénario d’Alexandre Aja et Grégory Levasseur parvient, notamment grâce au sentiment d’urgence qu’il développe tout au long du film sans jamais le lâcher, à maintenir un effet de surprise optimal quant au « Twist » de la mort qui tue qui débarque dans le dernier acte du film.
Si vous me permettez un aparté personnel, j’aimerais vous raconter une petite histoire liée au film d’Alexandre Aja. J’ai pour ma part découvert Haute Tension au format DVD, en le louant au vidéo-club du coin. Grand amateur de bandes horrifiques, j’avais été sidéré par la puissance viscérale du film, et je décidai immédiatement après l’avoir vu d’effectuer une copie du film afin de le visionner le lendemain avec un ami, également fan de films d’horreur depuis sa plus tendre enfance. Ce que je n’avais pas prévu, c’est que comme pour me signifier clairement que « le piratage, c’est mal », la gravure du DVD avait merdé, et notre séance du lendemain a dû s’interrompre lors de l’affrontement entre Cécile de France et Philippe Nahon, dans la serre, vers la fin du film. Pas moyen d’aller plus loin, les bugs de lecture nous forçant à arrêter le film avant le dénouement. En en discutant avec mon ami, je lui demandais donc s’il avait une idée de ce qui allait se passer ensuite, hé bien figurez-vous que comme moi la veille, il n’avait pas vu venir le twist, ce qui prouve soit que nous sommes tous les deux très cons, soit que le twist imaginé par Aja et Levasseur fonctionnait parfaitement, même sur de vieux briscards tels que nous.
Bien sûr, avec le recul et les visionnages successifs, il est évident que certains indices émaillent la narration de Haute Tension. Au début du film, le personnage de Cécile de France raconte son rêve : perdue dans les champs, elle était poursuivie par un tueur voulant lui faire la peau ; quand Maïwenn lui demande qui était ce type qui la poursuivait, elle lui répond « C’était moi ». Un peu plus tard dans le film, au moment où Marie tente de sortir de la maison pour accéder à la camionnette du tueur, on voit le personnage campé par Philippe Nahon rentrer dans la maison, et se saisir d’un grand couteau de cuisine. Lors de la séquence suivante, on découvre Cécile de France raser les murs extérieurs de la demeure, et que tient-elle dans la main ? Le couteau évidemment. Pour autant, il nous semble que ces indices, si flagrants soient-ils, n’apparaissent pas clairement au spectateur lors du premier visionnage du film, et il convient de fait de saluer l’habileté d’Alexandra Aja et Grégory Levasseur afin de parvenir à nous les faire oublier, en nous scotchant à notre siège par l’intensité générale du film. [Fin des #Spoilers]
Bien sûr, en raison de ses partis pris esthétiques sans concessions, Haute Tension n’est pas forcément un film à mettre devant tous les yeux : il s’agit d’un film très violent, qui pourra même aisément choquer un certain nombre de spectateurs. Le film a un côté ouvertement craspec, mais celui-ci s’avère tout à fait approprié par rapport à ce qui nous est raconté. Dans le même état d’esprit, la bande-originale agressive de François Eudes et l’utilisation du morceau « New Born » de Muse ajoutent à l’atmosphère délétère du film, et le contraste avec les tubes un peu ringards de Ricchi e Poveri (« Sara perque ti amo ») et de Felix Gray et Didier Barbelivien (« À toutes les filles ») est très efficace. Ce grand écart artistique entre la modernité et les tubes populaires des années 80 contribue aussi, à sa manière, à conférer une petite dose de chaos supplémentaire au jeu du chat et de la souris pour le moins brutal que nous donne à voir le film.
Par ailleurs, la sauvagerie survoltée de l’ensemble n’empêche pas Alexandre Aja de nous livrer au cœur de Haute Tension quelques plans extrêmement sophistiqués, dont certains évoquent bien sûr le style de cinéastes extrêmement connus et réputés. Le fait d’avoir choisi Philippe Nahon pour incarner le tueur du film est un clin d’œil évident au cinéma de Gaspar Noé, et plus particulièrement au tétanisant Seul contre tous. L’influence de Dario Argento est également particulièrement palpable, notamment lors de la séquence de massacre prenant place au début du film : la mort de la mère d’Alex, et le long plan nous donnant à voir son regard lorsqu’elle s’écroule sur la porte de la penderie, n’aurait pas détonné au cœur d’un film tel que Ténèbres. La scène des toilettes semble bien entendu conçue comme un hommage direct au Maniac de William Lustig. On notera aussi un hommage appuyé à Brian De Palma : le plan en contre-plongée dans lequel Philippe Nahon laisse tomber une poignée de balles fait évidemment écho au fameux plan de L’Impasse, quand Al Pacino laisse tomber les balles dans la poubelle, signifiant ainsi l’arrêt de mort du personnage incarné par Sean Penn.
Le coffret Blu-ray 4K Ultra HD
[5/5]
Les (nombreux) fans du film désespéraient de le voir arriver un jour au format Blu-ray, mais c’était sans compter sur ESC Éditions, qui nous propose aujourd’hui de (re)découvrir Haute Tension carrément en Blu-ray 4K Ultra HD. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le résultat est assez époustouflant. Le film a bénéficié d’une restauration 4K, et nous est proposé en HDR10 + Dolby Vision. De fait, le film d’Alexandre Aja s’offre un niveau de détail absolument excellent, un grain d’une finesse absolue, tout en respectant à la lettre la granulation argentique de l’ensemble. Les couleurs sont profondes, et les scènes en basse lumière ne donnent jamais le moindre signe de faiblesse, grâce à une gestion des contrastes et des noirs tout à fait remarquable : c’était très important étant donné que la quasi-intégralité du film se déroule de nuit. Du côté des pistes son, ESC nous propose tout d’abord de revoir le film dans un puissant mixage Dolby Atmos : l’immersion au cœur du film y est optimale. Le tout est parfaitement clair et homogène, les dialogues sont limpides et la spatialisation vous fera assurément sauter au plafond, surtout lors des scènes les plus éprouvantes. Un autre mixage du film est disponible, en DTS-HD Master Audio 5.1, et ce dernier nous propose également un environnement acoustique aussi nerveux qu’efficace. Bref, toutes les conditions sont réunies afin de revoir Haute Tension dans les meilleures conditions possibles, et de fêter comme il se doit les vingt ans du film.
Du côté des suppléments, on commencera avec une présentation du film par Rafik Djoumi (5 minutes), qui ne nous proposera pas une analyse du film mais plutôt une « remise en contexte », en revenant sur la réputation du film hors des frontières françaises, son échec dans les salles mais son succès en vidéo. On enchaînera avec le recyclage des bonus de l’édition DVD Collector estampillée Pathé, sortie début 2004 : on aura donc droit au même making of (36 minutes), que l’on peut aujourd’hui qualifier « d’époque », ainsi qu’une série d’interviews d’époque, avec les acteurs Cécile de France, Maïwenn Le Besco, Philippe Nahon et le maquilleur de Giannetto De Rossi (40 minutes au total). On aura ensuite le droit à une série de suppléments tout à fait inédits. On abordera dans un premier temps la « Nouvelle Vague du French New Horror » (38 minutes). Les débuts de ce cinéma transgressif et ultra-violent made in France (tantôt appelé « New French Extremism », tantôt appelé « New French Extremity ») seront abordés par le biais d’entretiens croisés avec Rafik Djoumi, Julien Maury, Alexandre Bustillo et Mathieu Turi. On y reviendra sur les films les plus marquants de cette vague, ainsi que sur son retentissement à l’international ainsi que du côté d’une nouvelle génération de cinéastes.
On continuera ensuite par un entretien avec Alexandre Aja (48 minutes). Le cinéaste y reviendra sur sa passion pour le cinéma et sur sa rencontre avec Grégory Levasseur (qui se fait, en classe de sixième, autour du numéro 111 de L’écran Fantastique, avec Shocker en couverture), le tournage et l’échec de son premier film Furia, et la genèse de Haute Tension. Il expliquera que c’est Luc Besson qui a relancé le projet, alors au point mort, mais qu’à la demande de ce dernier, le « Twist » final a été placé plus tôt dans le film, ce qui a occasionné des réécritures et des problèmes de logique. On apprendra également que le film a été tourné en Roumanie en 36 jours, avec des équipes locales, que la maison des parents d’Alex a été composée à partir de plusieurs maisons différentes. Il reviendra également sur le casting du film, et sur les difficultés qu’il a eu pour imposer Cécile de France (« Cécile qui ? ») auprès de ses producteurs. Heureusement, la sortie de L’Auberge espagnole a fini par débloquer la situation. Maïwenn s’est par la suite imposée comme une évidence, même si l’actrice ne garde pas forcément aujourd’hui un très bon souvenir du tournage. Il abordera également la prestation de Philippe Nahon (« un type vraiment adorable »), puis reviendra sur sa volonté de rendre hommage au cinéma d’horreur américain des années 70, sur le style formel du film, ainsi que sur la musique et les chansons. Enfin, il reviendra sur la sortie du film en France : en dépit d’un succès très modeste dans les salles françaises, le film fait le buzz dans d’autres pays du monde (Corée, États-Unis…). On enchaînera ensuite avec un entretien avec Grégory Levasseur (28 minutes), qui commencera par évoquer l’échec de Furia, et la volonté de revenir à une histoire plus « simple » et à un projet sur lequel ils parviendraient à conserver davantage de contrôle. Il se remémorera ensuite des débuts de son tandem avec Alexandra Aja, leurs relations de travail et leurs références communes dans le genre horrifique, et abordera les différentes étapes de la création du film, et son « héritage » dans la culture populaire. On continuera ensuite avec un entretien avec le directeur de la photographie Maxime Alexandre (20 minutes). Ce dernier reviendra sur sa rencontre avec le réalisateur, ainsi que sur le travail à ses côtés. Il abordera ensuite l’ambiance visuelle qu’ils avaient tenté d’apporter au métrage, la mise à profit de l’omniprésence de l’obscurité au coeur du film, et l’évolution de sa carrière suite à sa contribution à Haute Tension. Enfin, on terminera par un entretien avec le maquilleur Gianetto De Rossi (17 minutes). Dans un entretien détendu et parsemé d’anecdotes amusantes, il évoquera sa participation à l’aventure du film, et nnous expliquera ses méthodes afin de tirer le maximum d’un budget limité. Il reviendra également sur les effets spéciaux « pratiques » du film ainsi que son travail aux côtés des actrices. Passionnant !
On notera par ailleurs que Haute Tension est proposé dans une « Édition Spéciale Fnac » – il s’agit d’un superbe coffret en tirage limité, qui contient :
– Un superbe Steelbook aux couleurs du film
– Le film au format Blu-ray 4K Utra HD
– Le film au format Blu-ray
– Un Blu-ray de suppléments
– Une affiche
– Cinq photos
– Des Goodies