36 Quai des orfèvres
France : 2004
Réalisation : Olivier Marchal
Scénario : Olivier Marchal, Franck Mancuso, Julien Rappeneau, Dominique Loiseau
Acteurs : Daniel Auteuil, Gérard Depardieu, André Dussollier
Éditeur : Gaumont
Genre : Policier
Durée : 1h51
Date de sortie cinéma : 24 novembre 2004
Date de sortie DVD/BR/4K : 20 novembre 2024
Paris. Depuis plusieurs mois, un gang de braqueurs opère en toute impunité avec une rare violence. Le directeur de la PJ, Robert Mancini a été parfaitement clair avec ses deux lieutenants les plus directs, Léo Vrinks, patron de la BRI (Brigade de recherche et d’intervention), et Denis Klein, patron de la BRB (Brigade de répression du banditisme) : celui qui fera tomber ce gang le remplacera à son poste de grand « patron » du 36, quai des Orfèvres. La lutte est ouverte entre ces deux grands flics, autrefois amis, qu’aujourd’hui tout sépare : leurs vies, leurs méthodes, leurs équipes et une femme, Camille Vrinks…
Le film
[4/5]
Quand 36 Quai des orfèvres est sorti dans les salles en novembre 2004, le polar français était moribond. En dépit de quelques tentatives afin de le ranimer, avec des films tels que J’irai au paradis car l’enfer est ici (Xavier Durringer, 1997), Total Western (Éric Rochant, 2000) ou encore Gangsters (Olivier Marchal, 2002), le genre s’était éteint de sa belle mort au milieu des années 80, probablement en partie sous l’effet de la concurrence du néo-Film Noir américain, représenté par des cinéastes comme les frères Coen ou John Dahl. Avec vingt ans de recul, on se rend d’autant plus compte aujourd’hui que 36 Quai des orfèvres dénotait, pour Olivier Marchal, d’une volonté farouche de renouer avec l’atmosphère des films ayant marqué le renouveau du polar français à la fin des années 70 et au début des années 80. Se débarrassant tout doucement de l’héritage de Jean-Pierre Melville, le film policier français s’était alors teinté d’une coloration crapuleuse héritée du poliziottesco italien, tout en développant un univers dans lequel flics et truands se vouaient une guerre sans pitié, et utilisaient les mêmes méthodes crapuleuses, les mêmes coups bas, les mêmes attitudes de petites frappes.
A cette atmosphère volontiers viriliste s’ajoutaient souvent des histoires d’honneur aux accents tragiques et/ou de sombres histoires de vengeance : le tout était porté par des acteurs solides et des cinéastes convaincus, et le polar français avait alors connu un « deuxième Âge d’or », grâce à des films tels que La Guerre des polices (Robin Davis, 1979) ou, bien sûr La Balance (Bob Swaim, 1982). Et si avec un peu plus de deux millions d’entrées dans les salles françaises en 2004, 36 Quai des orfèvres était encore loin des 4,2 millions d’entrées réalisées par La Balance en 1982, le succès du film d’Olivier Marchal permit au genre de connaître une nouvelle renaissance, un « troisième Âge d’or » du polar made in France qui permettrait aux histoires de truands d’occuper les écrans français pendant encore une dizaine d’années1. En tant qu’ancien policier, Olivier Marchal est de plus parvenu à insuffler au cœur de 36 Quai des orfèvres une authenticité qui manquait parfois un peu au genre : ainsi, derrière les figures de pierre de ces personnages de tragédie grecque se cachent également des hommes plus vrais que nature, qui dansent sur les tables lors de soirées arrosées et, dans l’ensemble, picolent un peu trop et flirtent volontiers avec les limites.
Les personnages d’Olivier Marchal sont des « intuitifs », qui n’obéissent qu’à leurs règles, et qui semblent avoir appris leur métier de flic aux côtés des deux grandes figures du film policier d’action des années 80 : Jean-Paul Belmondo et Alain Delon. Pour marquer encore davantage cette filiation avec 36 Quai des orfèvres, le cinéaste est par ailleurs aller rechercher une poignée d’acteurs ayant fait les beaux jours du cinéma populaire français, à commencer par Mylène Demongeot, qui s’était fait connaître dans les années 60 avec la saga Fantomas, et Daniel Duval, qui avait joué dans deux fiers représentants du renouveau du polar français au début des années 80 : Le Bar du téléphone (Claude Barrois, 1980) et Le Juge (Philippe Lefebvre, 1984). A ces têtes connues s’ajouteront bien sûr celles de Daniel Auteuil et Gérard Depardieu dans les deux rôles principaux, ainsi qu’une poignée d’amis d’Olivier Marchal, rencontrés sur les tournages des séries TV sur lesquelles il s’est fait la main pendant une dizaine d’années : Francis Renaud, Guy Lecluyse, Alain Figlarz, Jo Prestia et bien sûr son épouse Catherine Marchal.
L’intrigue de 36 Quai des orfèvres, qui fut originellement conçue pour Yves Rénier qui devait en faire son premier long-métrage de cinéma, s’inspire de faits réels s’étant déroulés au milieu des années 80. Les passionnés de faits divers reconnaîtront évidemment des événements tirés de l’affaire Loiseau, alias l’affaire des « Ripoux du 36 », qui se télescopa à l’époque avec les braquages du fameux « gang des postiches » et la mort en service d’un inspecteur la BRI (Brigade de recherche et d’intervention), tué suite à une négligence du chef de la BRB (Brigade de répression du banditisme) de l’époque. Bien sûr, Olivier Marchal prend des libertés avec la réalité, et nous livre ici une œuvre de fiction : la présence de Dominique Loiseau au poste de coscénariste tend forcément à donner une « orientation » au récit, et ne risque pas de présenter l’alter-ego de l’enquêteur (Daniel Auteuil) comme coupable d’autre-chose que d’un malheureux concours de circonstances. Pour autant, le moins que l’on puisse dire, c’est que le scénario d’Olivier Marchal – également cosigné par Franck Mancuso et Julien Rappeneau – s’avère prenant, et même absolument passionnant.
La photo de Denis Rouden, magnifique, et les décors remarquablement sélectionnés contribuent également à la réussite de 36 Quai des orfèvres. L’équilibre tonal du scénario, et le fait qu’il conserve tout au long du récit une certaine retenue dans le lyrisme et le pathos – ce qui ne sera pas forcément le cas dans les films suivants d’Olivier Marchal – permettent au spectateur de se plonger dans l’ambiance noire du récit de façon assez intense. Bien sûr, tout n’est pas parfait au cœur du film : certains effets stylistiques – ralentis, effets visuels – tombent malheureusement comme un cheveu sur la soupe, et nuisent à la lisibilité du film. Pour autant, l’entretien avec Olivier Marchal présent sur le Blu-ray 4K Ultra HD du film nous apprendra que ces effets lui avaient été imposés, à l’époque, par son monteur Hachdé (alias Hugues Darmois, collaborateur régulier de Claude Lelouch tout au long des années 80). Par manque d’expérience, il n’avait à l’époque pas osé s’affirmer et imposer son point de vue artistique, ce qu’il regrette amèrement aujourd’hui.
Le Blu-ray 4K Ultra HD
[5/5]
Petit à petit, les classiques de chez Gaumont passent le test de la 4K (Katka), qui permet aux succès d’hier d’être confrontés au regard critique du 21ème Siècle. 36 Quai des orfèvres vient donc de s’offrir une galette Blu-ray 4K Ultra HD exemplaire, dont le master est sans doute tiré d’une nouvelle restauration. Bien évidemment, le format Scope est respecté, l’ensemble est superbe, et nous est proposé à la fois en Dolby Vision et en HDR10. De fait, les noirs sont d’une profondeur absolue, et les couleurs tranchent net, affichant une belle pêche et une intensité du tonnerre. Par ailleurs, le grain a été scrupuleusement préservé, et naturellement, les plans à effets (tels que les fondus enchaînés par exemple) marquent de petites baisses de définition. Côté son, le film nous est proposé, au choix, dans un mixage DTS-HD Master Audio 5.1 ou dans un mixage stéréo DTS-HD Master Audio 2.0, qui sera probablement le choix à privilégier si vous n’utilisez pas de Home Cinema. Pour ce qui est de la version spatialisée en 5.1, si bien sûr le film n’est pas un déluge ininterrompu d’action, le mixage sait tout de même en imposer au spectateur, avec des passages bien tendus nous proposant des effets dynamiques de toutes parts.
Du côté des suppléments, on notera d’entrée de jeu que Gaumont recycle ici les bonus disponibles sur l’édition Blu-ray de 2009. On commencera donc par un intéressant Commentaire audio d’Olivier Marchal, au cœur duquel l’ancien flic utilisera surtout les séquences du film non pas pour révéler au spectateur l‘envers du décor de la production, mais plutôt comme un moyen de se remémorer des anecdotes – parfois riches en émotion – sur ses années dans la police. On continuera ensuite avec un making of (1h10), intitulé « Qui veut la peau d’Olivier Marchal ? ». Comme son titre l’indique, ce docu mettra en exergue les problèmes auxquels a dû faire face Olivier Marchal pendant la préparation et le tournage de 36 Quai des orfèvres. On y découvrira un personnage attachant, plus vrai que nature, confronté à des problèmes étant le plus souvent d’ordre purement financier. Passant de l’euphorie au désespoir, du rire aux engueulades, le cinéaste se voit, tout au long de ce documentaire passionnant, obligé de composer avec les affres d’un tournage dont on se demande comment il ne l’a pas rendu fou. On terminera ensuite avec deux featurettes, dédiées aux essais de costumes et de coiffures (14 minutes) et au choix des armes (13 minutes), qu’il s’agisse des armes à feu ou des armes blanches.
Mais Gaumont nous réserve également un bonus inédit : un entretien avec Olivier Marchal (26 minutes), qui lui permet de revenir sur 36 Quai des orfèvres vingt ans après la sortie du film dans les salles. Il évoquera le projet initial, imaginé pour Yves Rénier, reviendra sur le rôle confié à Vincent Lindon, qui a finalement abandonné et sera remplacé par Daniel Auteuil, qu’il qualifie d’acteur « très cérébral », en opposition avec Gérard Depardieu et son « animalité ». Il révélera avoir revu le film récemment, et avoir d’énormes regrets sur le montage du film, qui avait été confié à Hachdé. Au sein de sa filmographie, il avouera que son film préféré est Borderline (2014), qui est son projet le plus personnel, mais s’avère être un téléfilm. Il révélera que son dernier film, Bastion 36, est une espèce de suite à 36, remise au goût du jour et dans la société contemporaine. Entre deux anecdotes, il nous apprendra qu’Antoine Fuqua a dit du bien de lui, qu’il devait mais n’a finalement pas pu rencontrer Michael Mann à cause d’un problème de santé de ce dernier, qu’il désire faire un film avec des américains (Jeff Bridges, Catherine Zeta Jones, Maria Bello, Mark Ruffalo…). Sans filtre et sans langue de bois, il terminera son intervention en évoquant la « grande famille du Cinéma », qui le considère comme le « Beauf de service, le Patrick Sébastien du cinéma français » ou encore « le prolo du cinéma », et avouera sans concession qu’il « est beaucoup plus ému par l’amour du public que par la considération de ce milieu de merde ».
1 Outre les films suivants d’Olivier Marchal, on pense à des films tels que Truands (Frédéric Schoendoerffer, 2007), Le Dernier gang (Ariel Zeitoun, 2007), Sans arme, ni haine, ni violence (Jean-Paul Rouve, 2008), les deux opus de Mesrine (Jean-François Richet, 2008), L’Immortel (Richard Berry, 2010) ou encore La French (Cédric Jimenez, 2014).