France, 2014
Titre original : Nan Shui Bei Diao
Réalisateur : Antoine Boutet
Scénario : Antoine Boutet
Acteurs : –
Distribution : Zeugma Films
Durée : 1h49
Genre : Documentaire
Date de sortie : 28 janvier 2015
Note : 2,5/5
L’eau devient une ressource naturelle de plus en plus rare, au fur et à mesure que la population mondiale s’accroît et que les effets secondaires du changement climatique s’accentuent. Alors que sa pénurie ne constitue pas encore une urgence vitale en Europe, elle devient déjà palpable en Chine. Ce géant asiatique sur le chemin de la croissance aura en effet du mal à fournir une eau propre à ses milliards d’habitants, face à de vastes paysages en voie de désertification. Le problème n’est pas nouveau, même si la mise en chantier de l’opération gigantesque de déviation indirecte des principaux fleuves du pays s’est faite assez abruptement. Ce documentaire français cherche à tenir compte d’une multitude d’aspects du programme « Sud Eau Nord Déplacer », au risque de s’éparpiller et de ne pouvoir s’appuyer que sur une certaine virtuosité visuelle pour rendre son sujet attrayant.
Synopsis : Imaginé il y a plus de cinquante ans par Mao Zedong, le projet Nan Shui Bei Diao prévoit la redistribution de l’eau entre le sud de la Chine, qui en a en abondance, et le nord avec la capitale Pékin, qui souffrent régulièrement de sécheresses. Réparti en trois voies distinctes, l’orientale, la centrale et l’occidentale, le chantier global va nécessiter une durée d’un demi-siècle, ainsi qu’une dépense d’environ 80 milliards de dollars. Tandis que les bienfaits concrets du projet restent à être prouvés, des centaines de milliers d’habitants ont déjà dû être relogés afin de permettre le passage des nouveaux canaux. Le réalisateur et plasticien français Antoine Boutet a accompagné pendant des années cette entreprise hors du commun, en se laissant inspirer autant par les paysages complètement remodelés que par les histoires que les riverains lui ont racontées.
Un projet insensé
Les décors naturels au début de Sud Eau Nord Déplacer paraissent tout droit sortis d’un film d’anticipation : du désert à perte de vue, dans lequel de rares hommes se promènent en solitaire, à moins d’entreprendre des tentatives presque absurdes, afin de rendre cette étendue sableuse plus verdoyante. Le transport d’un arbre sur des centaines de kilomètres ou l’arrosage abondant de six misérables troncs, aucun effort ne paraît trop disproportionné pour mener à bien un projet décrété d’en haut de la hiérarchie politique chinoise et promu sur des banderoles riches en paroles de propagande. Ces quelques indices ponctuels et presque attachants par leur caractère dérisoire ne sont cependant que la partie visible de l’iceberg, c’est-à-dire d’une ambition infiniment plus grande. Puisqu’il faudra plus que quelques gouttes d’eau pour inverser une tendance naturelle nuisible à une population nombreuse, le projet gigantesque consiste à modifier le tracé de cours d’eau entiers. Pendant que l’ingénieur en chef expose fièrement la nécessité irréfutable de l’opération, les pelleteuses sont déjà à l’œuvre pour défigurer le paysage par des voies d’eau artificielles d’une fonctionnalité froidement calculée.
Un documentaire qui l’est beaucoup moins
La caméra du réalisateur Antoine Boutet suit ce chantier mégalomane dans un ordre vaguement géographique. Elle remonte ainsi du manque d’eau dans le nord vers son abondance dans les montagnes de l’Himalaya, le « château d’eau » de l’Asie. Alors que – d’un point de vue esthétique – ce documentaire regorge de plans magnifiques, qui laissent la beauté sauvage des décors naturels et les traces durables de l’intervention humaine s’entrechoquer au rythme du montage contemplatif, son propos manque à la fois de clarté et d’informations précises. A commencer par l’identification des quelques intervenants, du nageur du barrage jusqu’à la poétesse tibétaine, dont le spectateur doit plus ou moins deviner le lien par rapport au sujet du film à travers leur discours. De même, au niveau temporel, les repères sont si rares qu’ils finissent par instaurer un ton de flottement, sans doute en accord avec les motivations abstraites de la mise en scène, mais guère engageant pour mobiliser l’intérêt d’un public occidental pour un chantier à l’autre bout du monde, aux implications internationales limitées.
Conclusion
La Chine peut être considérée comme une référence dans bon nombre de domaines, à l’exception notable de la protection de l’environnement. Créer un immense réseau de fleuves artificiels pour contrecarrer des effets climatiques aux conséquences néfastes n’est sans doute pas la façon la plus respectueuse de la nature pour garantir un niveau de vie minimal à l’ensemble de la population. En dépit de la difficulté manifeste de recueillir des expressions sincères du discours officiel d’un côté et de ses mises en questions par une population en colère, car déplacée de force, de l’autre, il aurait été préférable de se concentrer soit sur le volet social de l’entreprise, soit sur ses signes extérieurs, captés néanmoins dans quelques motifs tristement grandioses. A force d’alterner un peu trop vaguement entre ces deux approches, Sud Eau Nord Déplacer risque de ne rendre justice à aucun d’entre eux.